“Nettoyer” l’Internet européen du terrorisme

Le 7 septembre 2012

Une nouvelle initiative européenne entend en finir avec l'utilisation d'Internet par les terroristes. Sans passer par voie législative, le projet Clean IT entend rassembler États et société civile pour mettre en place des bonnes pratiques et des principes généraux. Interview de l'un des artisans, But Klaasen, membre de la coordination antiterrorisme aux Pays-Bas.

Bannir le terrorisme d’Internet en Europe en adoptant une kyrielle de bonnes pratiques. Une initiative récente, restée jusqu’ici assez discrète, a été lancée il y a plus d’un an. Le projet Clean IT se veut novateur sur un point : sa composition. Il fait la part belle à la société civile, tonne l’un des responsables du projet, But Klaasen, de la coordination de la lutte antiterroriste néerlandaise.

Dans l’interview qu’il a accordée à Owni, But Klaasen insiste sur le rôle joué par le secteur économique et les ONG au sein de Clean IT, financé à hauteur de 400 000 euros par la Commission européenne. Un projet structuré autour de quelques mots-clés : “bonnes pratiques”, “principes généraux”, “communauté de confiance”, “utilisation d’Internet par les terroristes” avec en ligne de mire le cyberjihad.

Quand le projet Clean IT a-t-il été lancé ?


En mai 2011, à Belgrade. Il a commencé pendant l’EuroDIG, un rassemblement sur la gouvernance d’Internet ouvert à tous, car c’était une belle opportunité. Aucune décision n’est prise lors de ces rencontres, c’est en quelque sorte le pendant européen du Forum sur la gouvernance d’Internet [qui dépend des Nations Unies, NDLR]. L’environnement était très propice, c’est pourquoi nous l’avons lancé à ce moment-là.

Brièvement, en quoi consiste le projet Clean IT ?

Nous essayons de définir les problèmes transversaux avec les États et les acteurs économiques. Nous avons une vision commune de ces problèmes et essayons de trouver des solutions dans un dialogue ouvert. Les acteurs économiques sont en première ligne. Nous avons créé une communauté de confiance entre eux, les États et les ONG avec une compréhension commune des problèmes. Le dialogue doit être aussi ouvert que possible, tout le monde peut exprimer son point de vue.

Neuf États

Cinq États européens participent à ce jour. Les autres ont-ils refusé ?

Ils n’ont pas refusé. En avril, tous les États européens ont été invités à participer. Nous avons commencé à cinq car il fallait bien commencer à un moment ! Les réponses de tous les États ne nous sont pas encore parvenues. Par exemple, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie et le Danemark viennent de rejoindre la coalition de Clean IT. Nous sommes maintenant neuf pays. Certains hésitent, comme le Portugal dont le ministère de la Justice, et non de l’intérieur, est compétent pour se prononcer.

La France n’est pas partenaire pour l’heure, mais s’y intéresse de près. Je sais qu’ils ont déjà des activités très proches de celles de Clean IT. Nous sommes en contact avec le ministère de l’Intérieur.

La société civile est également associée ?

Nous avons contacté nous-mêmes des ONG pour leur proposer de participer, toutes n’ont pas accepté. Nous faisons de notre mieux pour avoir un l’équilibre le plus juste possible entre ces trois acteurs.

Sur le site de Clean IT, il est fait mention d’entreprises liées à Internet. A qui faites-vous allusion : aux opérateurs, aux moteurs de recherche ?

Je crains de vous décevoir car nous avons convenu avec les participants de ne pas révéler leurs noms, sauf accord de leur part. En France, la Licra et l’Afa participent, de même que l’Internet Society en Belgique et l’International Network Against Cyberhate. Un membre du Parti Pirate suisse a participé à notre dernière rencontre. Les autres noms ne seront pas révélés à ce stade, mais à la fin lorsqu’ils annonceront officiellement leur soutien.

Parmi les acteurs économiques, aucun n’a accepté de divulguer son nom ?

Non, aucun, ils veulent attendre.

Pourquoi Clean IT n’est-il porté par les Parlementaires européens ?

Cleant IT est spécial car il s’agit d’une initiative public-privé. Nous voudrions suivre les standards européens qui permettraient d’inclure tous les pays et aboutiraient à des recommandations et une législation européenne. Ce serait une possibilité. Mais le secteur privé ne peut être impliqué, ce qui nous posait problème.

Il fallait trouver une nouvelle procédure qui serait aussi proche que possible des standards mais dont le secteur privé pourrait être à la tête. Une procédure similaire existe à Bruxelles au sein du groupe de travail sur le contre-terrorisme auquel participent tous les États membres. J’ai présenté le projet Clean IT à deux ou trois reprises à ce groupe et nous avons recueilli leurs commentaires, mais leur avis est consultatif et non décisionnel.

Vous évoquez un système de signalement des contenus : en quoi consiste-t-il ? Quel contenu est signalé ? Par qui ?
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Prenez par exemple le système de signalement de YouTube. Les utilisateurs peuvent signaler un contenu qui sera ensuite vérifié par les managers. Ce système marche très bien et nous pensons qu’il pourrait être étendu à bien plus de sites qui proposent du contenu.

Ces dispositifs ne concernent que les médias et réseaux sociaux ?

Oui, uniquement pour les contenus générés par les utilisateurs (Users Generate Content). Ces dispositifs et bonnes pratiques existent déjà en partie mais ils sont souvent implantés dans un pays spécifique et nous pensons qu’ils devraient l’être au niveau européen au moins.

Les trois strates d’Internet

Les “contenus terroristes” sont ciblés par le système de signalement. Comment seront-t-ils définis ?

En préambule de notre document de travail, les Etats l’ont défini de façon précise car ils savent bien ce qu’est l’utilisation d’Internet par les terroristes. Il faut d’abord comprendre qu’il existe plusieurs strates sur Internet : la première des réseaux et médias sociaux, la seconde de sites plus idéologiques sur laquelle sont lancés les appels à la violence, et la troisième plus clandestine. Pour faire court, les terroristes utilisent Internet de deux façons.

D’abord à des fins de radicalisation qui commence sur la strate supérieur en lisant de la propagande pour le jihad. Ils sont alors dirigés vers la strate idéologique où ils trouvent les informations pour aller sur les chats, dans le web profond où se trouvent les informations pour planifier des attaques terroristes. Ensuite pour la propagande en suivant le schéma inverse : de la strate inférieure à la strate supérieure.

La question n’est pas simplement la légalité de certains contenus, mais les processus tout entier que je viens de décrire. C’est pourquoi il est si complexe de déterminer ce qui est illégal et ce qui ne l’est pas, surtout dans un monde comme Internet régi par des octets et des bits… C’est tout un processus qui se produit et à certains moments seulement le seuil de l’illégalité est franchi.

Certains responsables de la lutte antiterroriste ont émis des craintes quant à l’utilisation accrue du chiffrement, en cas de durcissement des législations. De nombreuses arrestations de terroristes sont possibles grâce à leurs activités sur Internet. Craignez-vous qu’ils recourent davantage à des moyens sécurisés comme le chiffrement  ?
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Ils peuvent utiliser le chiffrement ! Tout le monde peut le faire. Plus vous êtes intelligent, mieux vous l’utilisez. Les personnes les plus malignes sur Internet ne sont pour le moment pas les terroristes, mais les hackers. Si un jour ces deux groupes s’unissent, la situation deviendra vraiment dangereuse.

Quelqu’un me disait récemment que le web profond n’existe pas, il y a simplement certaines personnes plus intelligentes que d’autres sur Internet. Il faut plutôt le comprendre comme ça…

La cible principale qui apparaît dans les documents de Clean IT est le cyberjihad. Est-ce la seule?

D’un point de vue managérial, il n’est pas possible d’inclure tous les domaines comme la pédopornographie, le copyright ou autre. Ce serait un projet immense ! Il fallait commencer quelque part.

Qu’en est-il des autres formes de terrorisme comme les séparatistes ? Avez-vous évalué qu’ils utilisaient moins Internet que les jihadistes ?

Vous avez raison sur ce point. Mais pour l’instant, la menace la plus inquiétante sur Internet vient des jihadistes. Nous n’excluons pas les autres terrorismes, ça ne change pas grand chose. Nous conservons la définition européenne du terrorisme qui est notre ancrage légal.


Interview réalisée par téléphone le 31 août 2012.

Photo FlickR CC by-sa FHKE

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