Twitter change le marketing politique

Le 29 mars 2012

Twitter bouleverse surtout le marché des conseillers en com' politique. Les chercheurs que nous avons rencontrés et qui étudient Twitter, déchiffrent les changements de fond provoqués par le réseau social chez les politiques. Avec des élus qui séduisent vraiment si vie publique et vie privée se confondent et s'ils s'expriment au même titre qu'un citoyen ordinaire.

Avec la Twittosphère, le cycle classique de l’information est rompu. C’est l’un des enseignements de cette campagne, pour les communicants au services des partis politiques. Des discussions privées se déroulent au sein desquelles citoyens, journalistes et élus sont sur le même plan, mais surtout sans que l’on distingue toujours le responsable politique dans sa vie publique ou dans sa vie privée.

Pour Olivier Le Deuff (@neuromancien), maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à Bordeaux 3, et twittos de la première heure, la distinction doit se faire naturellement sans altérer la réciprocité de l’échange :

Twitter implique une projection totale de l’utilisateur et non pas partielle. Notre identité personnelle et professionnelle y sont mixées. C’est cet élément qui crée le lien social et politique. De la sympathie qui en découle naît le sentiment de proximité. Le mauvais exemple, c’est Nadine Morano qui ne fait aucune distinction entre sa propre personne et sa projection institutionnelle. Il en résulte une incapacité a communiquer. Du coup, elle est dans l’erreur et ne devrait pas aller sur Twitter.

Le lien qui relie la personnalité politique à ses followers (ses abonnés) suppose la gestion du compte par la personnalité politique elle-même. Une réalité d’utilisation qui n’est pas une évidence pour tout le monde. Les deux principaux candidats en lice pour l’Elysée ne respectent d’ailleurs pas la règle en faisant administrer leurs comptes par leurs équipes de campagne. Sans doute, les enjeux sont-ils trop importants pour risquer la moindre gaffe par manque de maîtrise ou de pratique. Mais, une fois l’élection passée, le nouveau chef de l’Etat pourrait-il se permettre de tweeter ? Sur ce point, Olivier Le Deuff, émet des réserves :

L’image de l’institution présidentielle bloque. En France, avec une autorité présidentielle quasi monarchique, il n’y a pas de réciprocité mais une suprématie. On peut écouter ses déclarations mais pas discuter avec elle d’égal à égal.

Pour l’heure, en campagne électorale, cette twittosphère semble se développer comme un complément aux autres vecteurs de communication. La blogosphère politique n’est pas moins forte depuis le succès de Twitter, au contraire. C’est le constat de Louis-Serge Real Del Sarte (@LouisSerge), auteur du livre «Les réseaux sociaux sur Internet» et fondateur de l’agence de conseil en e-réputation ReaClic :

La politique, c’est de l’information, qu’elle soit de l’intox ou de la désintox, cela reste de l’information et elle n’a pas tué le blog. Il ne mourra jamais pour une évidence, le blog reste un endroit où l’on a ses propres règles contrairement aux réseaux sociaux où l’utilisateur est soumis à des règlementations communes. Twitter permet de faire voyager l’information alors que le blog est un espace numérique en ligne destiné à quelqu’un qui va vouloir séduire. Twitter est un outil précieux qui génère du buzz et de la viralité.

Twitter ne peut donc pas être l’unique vecteur de l’information puisqu’il suppose la présence d’autres appareils de communication pour le compléter. Une conception du réseau social qui nécessite une certaine pratique numérique de la part des utilisateurs. D’ailleurs, la «communauté des twittos» est plutôt jeune rapporte Louis-Serge Real Del Sarte :

Twitter rassemble 70% d’utilisateurs âgés de moins de 45 ans et touche une majorité élective plutôt masculine ainsi qu’une population plus urbaine puisque 30% sont localisés en Île-de-France. Le problème qui se pose alors c’est qu’avec Twitter, vous ne touchez pas le reste de la population.

Une suractivité des spécimens parisiens de la “génération Y” sur le réseau social ne constitue pas une faiblesse mais une opportunité électorale supplémentaire pour Olivier Le Deuff :

Le public est différent sur Twitter. On y trouve surtout des journalistes et des universitaires. C’est important pour un homme politique d’y aller car c’est un moyen de convaincre des gens qui savent s’exprimer et qui peuvent, à un moment donné, traduire une pensée plus large.

Tempête dans un verre d’eau diront les détracteurs de Twitter. Pourtant, la communauté des “Twittos” n’a fait que s’agrandir ces derniers mois (1 million de français inscrits sur Twitter au quatrième trimestre 2011 pour 5,2 millions de profils ). Conséquence de l’effet de mode ou envie d’accéder à une nouvelle manière d’interagir avec ceux qui nous représentent. Et Louis-Serge Real Del Sarte d’assurer que la tendance ne peut que se confirmer :

La France vit une révolution culturelle. Le taux d’équipement de la population est important puisqu’il y a 18 millions de «mobinautes» Android et iPhone. On compte déjà plusieurs millions de comptes en France alors Twitter ne peut que se développer. Quand il arrivera à maturité, 100% des personnes l’utiliseront.

Mimétisme

Malgré l’attractivité qu’il dégage de part sa visibilité sur la toile, Twitter reste un outil en voie de généralisation qui constitue l’exception plutôt que la règle. Arnaud Mercier (@ArnauddMercier), professeur en science de l’information et de la communication à l’Université Paul Verlaine de Metz, et auteur de “Médias et Opinions Publique” reste sceptique. Pour lui, Twitter est loin d’être indispensable :

Une partie des politiques inscrits sur Twitter le sont par mimétisme. Il faut en être parce que ça fait moderne mais certains ne savent pas eux-même pourquoi ils y vont. Je ne crois pas que cela soit devenu essentiel d’être sur Twitter. C’est une caisse de résonance supplémentaire.

Un avis partagé par Edouard Gassin, directeur de l’agence de communication politique Mille Watts fondée en octobre 2006 :

Est-ce qu’il faut vraiment être sur Twitter quand on est un homme politique ? Nous, la réflexion que l’on a, c’est de savoir si c’est pertinent de déployer [le politique NDLR] sur Twitter. C’est un outil très chronophage qui nécessite un investissement important. Si l’on parle des campagnes présidentielles de Hollande et Sarkozy, des dizaines de personnes travaillent dessus. Mais c’est une évidence, les résultats sont bien meilleurs en terme d’audience quand ce sont les vrais élus qui s’investissent personnellement.

Pour, arriver à générer ce fameux lien de proximité avec ses followers, les politiques sont amenés à conjuguer leur rôle d’élu avec celui de n’importe quel utilisateur de Twitter. Cela suppose d’autres tweets que ceux ayant tendance à cantonner le propriétaire du compte dans une forme de communication unidirectionnelle. Pour Edouard Gassin, il s’agit d’éviter la banalisation de l’élu dans son caractère uniquement politique, déjà véhiculé par d’autres médias :

On est dans un espace de discussion et d’échanges. Si on l’utilise comme un tuyaux à informations, ça ne sert à rien. On ne se sert qu’à moitié de l’outil.

Du coup, une utilisation adaptée de Twitter à une campagne électorale nécessite parfois un apprentissage de la part de la classe politique dont beaucoup de membres frôlent souvent la cinquantaine et n’ont pas toujours l’expérience du net suffisante pour appréhender l’utilisation des réseaux sociaux :

Les élus quadragénaires voire quinquagénaires ont parfois une conception ancienne de l’outil. Mais il est plus simple d’agréger de vraies personnes [à Twitter NDLR] que de créer de faux comptes de followers. En plus, c’est moins difficile d’animer un compte Twitter qu’un blog qui demande une certaine expertise.

Twitter ne peut former qu’une partie du dispositif de communication qui est censé s’articuler autour d’un raisonnement de fond. Jamais, en 140 caractères, il ne sera possible de développer une pensée politique comme cela peut se faire sur un blog, un site Internet ou lors d’une interview. D’après Arnaud Mercier, la twittosphère est encore trop restreinte pour constituer un enjeu majeur :

Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’il y ait, en France, de stratégie marketing électorale sur Twitter. Investir massivement une stratégie sur ce réseau social est un non-sens.

Cependant, Arnaud Mercier reconnaît que la forme d’interaction correspond avec les besoins de la communication politique 2.0, avec de sérieuses limites :

Les 140 signes sont en parfaite osmose avec l’habitude qui consiste à faire de Twitter un support de rédaction de petits piques à décocher en espérant que cela sera repris. Une partie de ce qui fait le buzz sur Internet a encore besoin d’un adoubement par les médias traditionnels pour avoir une influence.

Une petite révolution qu’il convient également de souligner est la communication par live tweet. Elle consiste à commenter en temps réel les émissions politiques se déroulant en direct, sur les médias traditionnels, à la télévision ou à la radio. Une évolution qui fait sens,  d’après Arnaud Mercier :

Le commentaire en live tweet des émissions politiques deviendra probablement un phénomène social. Il permet de nourrir un regard critique sur les stratégies de communication politique à grands coups de hashtag. Vous avez, en direct-live, de la contre communication politique.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés