Petits partis en ligne

Le 24 février 2012

Au-delà du PS et de l'UMP, les "petits partis" se saisissent également des questions numériques. D'un simple outil de communication à la troisième révolution industrielle, Internet suscite l'intérêt. Mais reste secondaire.

Nicolas Sarkozy fraîchement débarqué, c’est toute la course présidentielle qui s’est emballée. Une accélération synonyme d’un recentrage médiatique sur les bisbilles occupant le PS et l’UMP. IRL [NDLA : In real life, expression utilisée sur Internet pour qualifier la vie hors du réseau ] comme sur Internet. A l’ombre des deux pachydermes de la vie politique française pourtant, des partis plus modestes tentent de faire émerger d’autres réflexions. Et là aussi, numérique compris.

Pour les petits Poucet de la campagne, le réseau est avant tout une chance de se faire connaître, en marge des médias traditionnels. Loin d’être un enjeu de campagne, Internet représente d’abord un outil de communication. La thématique n’est pas intégrée aux programmes, ou reléguée à l’arrière-plan, à l’instar des favoris de la campagne. Question de priorités. Certains l’investissent néanmoins, conscients du boulevard politique qui s’ouvrent à eux. Sans toutefois envisager sérieusement l’émergence d’une formation politique numérique. OWNI est allé à la rencontre des moins de 3%.

“Internet avant tout comme un outil de communication”

Une campagne pas très net

Une campagne pas très net

Après Facebook, Twitter. Accusée ce week-end d'avoir censuré des comptes parodiant le président sortant, l'équipe de ...

“Les questions sur le numérique, [...] nous les abordons quand on nous demande notre avis sur le sujet.” Chez Lutte Ouvrière (LO), on ne s’en cache pas : Internet ne fait pas partie de ses priorités. Aucune occurrence, ni sur le site de Nathalie Arthaud, sa candidate, ni dans la brochure explicative de son programme. Le parti trotskiste préfère concentrer ses efforts sur des revendications jugées plus “vitales pour les classes populaires” : “l’emploi, le salaire, ou le contrôle sur l’économie”. Même ligne pour l’autre formation d’extrême-gauche en lice, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), qui perçoit “Internet avant tout comme un outil de communication”. “On se demande d’abord comment l’utiliser pour porter nos idées” explique Antoine Larrache, qui s’occupe du volet Internet de Philippe Poutou, le candidat du NPA.

Dominique de Villepin (République solidaire) va plus loin : plus qu’un moyen de communiquer, Internet permet aux petits partis d’exister. “Mon site Internet, mon compte Twitter, ma page Facebook ou ma chaîne Dailymotion me permettent de parler directement aux Français, sans filtre, sans détours – possibilité que les grands médias n’offrent qu’aux deux candidats qu’ils ont décidé de présenter aux Français.” Et de conclure : “c’est une forme de confiscation du débat démocratique.” (lire l’interview dans son intégralité sur son site de campagne)

Lacunaire

Si Internet est avant tout porteur de messages, il n’en reste pas moins un enjeu politique, tempère Antoine Larrache (NPA). “Certes secondaire. Mais il garde une place importante”, assure-t-il.

Préservation de la liberté d’expression, alternative à la loi Hadopi, couverture du territoire en haut et très haut débit : ces trois thèmes reviennent sans cesse chez les outsiders de la présidentielle. Plus ou moins détaillé, plus ou moins étoffé par d’autres propositions sur le numérique, ce trio de sujets est systématiquement repris par les petits candidats. De droite comme de gauche : Philippe Poutou (NPA), Nathalie Arthaud (LO), Dominique de Villepin (République Solidaire), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République), Corinne Lepage (Cap 21) et, en leur temps, Hervé Morin (Nouveau Centre) et Christine Boutin (Parti Chrétien Démocrate) aujourd’hui ralliés à Nicolas Sarkozy ; tous s’attardent ou se sont attardés sur cette poignée d’idées, pour peu qu’on ait ouvert le débat numérique avec eux.

Hadopi en sursis

Hadopi en sursis

À la faveur de l'affaire Megaupload, l'opposition entre droits d'auteur et Internet s'est installée au nombre des sujets de ...

Tous sont favorables à l’instauration d’une licence globale en lieu et place d’Hadopi, un dispositif légalisant les échanges d’œuvres non-marchands et rémunérant les auteurs via une contribution financière des internautes. Tous encore récusent la politique numérique de Nicolas Sarkozy, qu’ils associent à son orientation politique générale : “je tire de la politique numérique des cinq dernières années le même bilan que du quinquennat dans son ensemble. Au-delà des effets d’annonce et autres opérations de communication de type e-G8, aucune priorité n’a été définie”, fustige Dominique de Villepin. C’est d’ailleurs la constante du positionnement numérique de la majorité des “petits” partis : il se fait en réaction à la mandature passée. Et manque parfois de concret.

Le cas Hadopi est symbolique. A droite comme à gauche, il est perçu comme symptomatique de la politique générale de Nicolas Sarkozy, jugée répressive et plus proche des grands groupes industriels que des citoyens. Le numérique n’est alors qu’une autre façon de se démarquer du président sortant, et de se présenter comme alternative politique. C’est ainsi que le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan, pour qui “Nicolas Sarkozy a mis Internet dans les mains des majors”, rejoint des partis à l’extrême-gauche de l’échiquier politique. Comme Lutte Ouvrière, qui estime que la loi Création et Internet, à l’origine d’Hadopi, “est surtout une loi qui défend les intérêts des grands groupes de l’audiovisuel et de la communication”.

Mais pour ce parti comme pour le NPA, il faut d’abord “remettre en cause les fondements capitalistes de cette société” avant d’envisager cette seule problématique. “Il y a des choses importantes à dire sur Internet. Mais elles rentrent dans un combat plus global pour changer la société”, explique Antoine Larrache (NPA).

Dans la mesure où notre temps de parole est limité, on peut en plus difficilement communiquer là-dessus sur un plateau.

Au-delà de la lutte contre Hadopi, la réflexion numérique reste lacunaire. L’avantage, c’est qu’elle ne porte que sur les thématiques susceptibles de bien intégrer le socle des valeurs fondamentales des partis. Donnant ainsi l’impression d’une certaine cohérence, quand les plus grosses formations politiques se voient reprocher une approche d’Internet purement sectorielle, sans vision ni articulation globale, divisée entre l’industrie et la culture à l’heure numérique. L’inconvénient, c’est qu’elle manque de technicité. Et qu’elle laisse en friche bien des aspects de la question numérique : déploiement du très haut débit en France, éducation au numérique, services de e-santé, gouvernance internationale du réseau…

Hérauts numériques

Un Acta de guerre

Un Acta de guerre

Samedi dernier, un peu partout en Europe, des dizaines de manifestations se sont déroulées contre l'Acta ; un texte qui ...

Sous la barre des 3%, certains candidats semblent néanmoins vouloir se distinguer sur la question.

Dominique de Villepin, dont le projet formalisé n’accorde pourtant pas une large place à Internet, explique réfléchir à une “vie politique numérisée”, qui s’appuierait sur un renforcement de la “libération et la normalisation des données publiques” et sur l’utilisation d’Internet “comme levier de démocratie directe”, en l’intégrant à “des référendums d’initiative populaire”.

Mais c’est Nicolas Dupont-Aignan et Corinne Lepage qui se disputent la place du héraut numérique. Le premier est positionné par Le Monde entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. La seconde se veut être l’autre voix écolo, derrière Eva Joly.

“Nous sommes le parti qui travaille le plus sur Internet !”, affirme, catégorique, Nicolas Dupont-Aignan, quand Corinne Lepage déclare de son côté “faire d’Internet sa ligne de fond.”

Difficile de savoir si cela relève d’un opportunisme politique, embrassant un sujet peu investi par les partis traditionnels, ou d’une réelle appétence pour Internet. Certainement un peu des deux. Une chose est sûre, l’un comme l’autre sont des historiques de la lutte anti-Hadopi. Chacun a publié un ouvrage mise à l’entière disposition des internautes : Corinne Lepage l’a laissé en téléchargement gratuit (licence CC By-SA), Nicolas Dupont-Aignan a privilégié la licence libre. Tous deux encore ont pris part aux manifestations contre l’Acta, le projet international qui vise à renforcer l’arsenal juridique des industries culturelles pour lutter contre la contrefaçon sur Internet.

Sur les programmes, l’avantage va néanmoins à Corinne Lepage, dont la réflexion repose en partie sur Internet, perçu comme constitutif d’une troisième révolution industrielle”. “Pour moi, la question des nouvelles technologies et de l’informatique n’est pas un chapitre. Tout comme l’environnement, c’est un fil conducteur”, explique la candidate de Cap 21, qui accuse les favoris des sondages “d’être restés dans le siècle d’avant”.

Je me mets dans la perspective d’un monde qui a changé et auquel on doit s’adapter. Eux sont dans le vieux monde qui vieillit et qu’il faut préserver.

Néanmoins, Internet n’a pas encore accédé au statut de pierre angulaire de son programme, Corinne Lepage ne l’évoquant pas systématiquement lors de ses interventions, lui préférant, comme ce matin sur France Info, la thématique écologique.

“J’appelle tous les pirates à voter pour moi !”

Pour autant, ni Corinne Lepage, ni Nicolas Dupont-Aignan ne se voient devenir la force politique numérique française. Ils ne croient d’ailleurs pas en l’émergence d’un parti d’Internet, à l’instar d’un Parti Pirate français, qui fait partie du paysage politique sans toutefois peser sur le dispositif. Pour la candidate de Cap 21, “cette force peut exister mais c’est peu probable. Quand on voit comme l’écologie politique a du mal à percer”, regrette-elle.

Nicolas Dupont-Aignan, qui dit ne “pas croire aux partis catégoriels”, appelle quant à lui “tous les pirates” à voter pour lui, après avoir brièvement évoqué “l’affaire Megaloop”. On ne saurait être plus clair.


Illustration et couverture par Marion Boucharlat pour OWNI


En bref, leur vision du numérique…

- Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière)
> le numérique n’apparaît pas dans le programme
> Pour une abrogation d’Hadopi. Selon les équipes de LO, “si tous les films, les disques, les reportages,… étaient en accès libre et gratuit via internet, ce serait une très bonne chose. Il faudrait mettre en place un service public associé qui permette aux artistes de réaliser leurs projets dans les limites du possible, bien sûr.”

- Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République)
> Point 29 : “Autoriser le téléchargement en abrogeant la loi Hadopi”. Y sont abordées l’abrogation de la loi, la mise en place de la licence globale, la protection de la neutralité du net et la mise en échec du traité liberticide Acta.

- Corinne Lepage (Cap 21)
> Point 4 : “Internet de l’énergie”
> Point 7 : “Encouragement à l’innovation à la lumière de l’expérience de la Silicon Valley”
> Point 19 : “Développement du télétravail et unification dans toute la France de l’accès et de l’usage d’Internet
> Point 28 : “Expérimentation et  développement  de nouvelles pédagogies à l’école et de nouveaux rythmes scolaires”
> Point 57 : “Garantie des droits des internautes, promotion des logiciels libres et de l’open source”. Y sont abordées l’abrogation de la loi Hadopi, la mise en place de la licence globale, la protection de la neutralité du net et l’adoption des logiciels libres dans le secteur public, après audit.

- Philippe Poutou (NPA)
> Rien dans le programme [PDF], mais un communiqué sur la fermeture du site Megaupload
> Pour une abrogation d’Hadopi et la mise en place d’une licence globale

- Dominique de Villepin (République Solidaire)
> Point 25 :  mention du numérique,  considéré comme l’une des “filières d’excellence industrielle”
> Retrouvez l’interview complète du candidat par OWNI. Y sont abordées l’abrogation de la loi Hadopi, la mise en place de la licence globale, la protection de la neutralité du net et l’e-administration.

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