Une certaine idée de l’open data

Le 29 juillet 2011

Le 13 juillet dernier est sorti un rapport produit par 4 élèves de l'école des Ponts ParisTech, intitulé "Pour une politique ambitieuse des données publiques". Il résume parfaitement une certaine idée de l'Open Data.

L’open data est à la mode. Le conseil général de Gironde vient de lancer son site DataLocale, la Saône-et-Loire a annoncé l’ouverture d’un portail pour octobre, celui du gouvernement sortira dans quelques mois. Plusieurs villes y réfléchissent : Le Havre, Saint-Maur-des-fosses et Montpellier a sauté le pas. L’ouverture des données publiques est devenue la nouvelle mesure phare des collectivités en matière de transparence et de démocratie.

Dans ce contexte est sorti un rapport très complet, intitulé Pour une politique ambitieuse des données publiques produit par quatre élèves de l’école des Ponts ParisTech : Romain Lacombe, François Vauglin, Pierre-Henri Bertin et Alice Vieillefosse.

Il fait la synthèse des enjeux de l’open data et fournit une série de 16 recommandations pour la mise en oeuvre de la politique de l’État. Logique, puisque ces élèves sortent du Master Action Publique de l’école des Ponts. Le rapport a été remis le 13 juillet dernier à Éric Besson, ministre de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique .

Romain Lacombe, qui travaille aujourd’hui à Etalab en tant que chargé de l’innovation et du développement, explique à OWNI la genèse et le but de ce rapport.

“Identifier des modèles économiques”

Comment l’idée de ce rapport est-elle née ? Est-ce une commande ?

“Après des études scientifiques à l’école Polytechnique, j’ai intégré le corps des Ponts et suis parti terminer mes études au MIT [ndlr : Massachussets Institute of Technology, une prestigieuse université américaine] ; après mon diplôme, j’ai lancé en 2008, puis cédé début 2010, une startup d’applications mobiles géolocalisées, implantée dans la Silicon Valley.

Du fait de ma double culture, celle du numérique et celle des politiques publiques, l’ouverture des données m’est apparue, à mon retour en France, comme un des leviers majeurs à travers lesquels l’État pouvait encourager l’innovation. Pour apporter une contribution, modeste mais je l’espère utile, au développement de l’Open Data en France, j’ai proposé à l’école des Ponts ParisTech, à la fin de l’été 2010, de réaliser une étude sur les données publiques.

L’étude portait principalement sur l’économie des données publiques, mais nos expériences complémentaires nous ont poussé à nous intéresser à toute la largeur du spectre des enjeux qui entourent l’open data.”

Quel en était l’objectif ?

“L’objectif de notre étude était d’identifier des stratégies et des modèles économiques, desquels l’État puisse s’inspirer pour faciliter l’ouverture des données publiques et encourager leur réutilisation. Il s’agit donc d’une réflexion sur les leviers d’action de l’état en faveur de l’open data, et les raisons qui pourraient motiver ce choix de politique publique, concernant aussi bien ses données que celles des autres acteurs concernés, des établissements publics aux collectivités territoriales.

À partir d’un état des lieux des expériences internationales et locales, nous avons identifié les enjeux et les acteurs de l’open data, ainsi que les principaux freins subsistant à l’ouverture et la réutilisation des données, notamment techniques, juridiques, économiques et organisationnels ; et nous avons esquissé des solutions pour les dépasser.

Il s’agissait en particulier d’identifier des modèles économiques permettant d’assurer à la fois le soutien à l’innovation et à la réutilisation, et la sauvegarde des équilibres financiers du service public permettant la production de ces données.”

Quel lien entre ce rapport et la politique de l’État en termes d’open data ?

“Ce travail de prospective et nos échanges fructueux avec les différents acteurs du sujet ont abouti à la formulation de 16 propositions pour une politique ambitieuse des données publiques, présentées au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et au Ministère de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique.

Elles se déclinent en recommandations très concrètes sur des sujets comme les formats ouverts et l’interopérabilité, la gratuité de réutilisation, l’enrichissement « bottom-up » des données par la communauté, une stratégie nationale avec l’ensemble des acteurs publics, et l’émergence d’un véritable écosystème des données publiques.”

Des ambitions…

Les 16 propositions du rapport évoquent en effet quelques idées ambitieuses et rarement pointées, notamment :

- la nécessité de formation et de pédagogie auprès des différents acteurs publics qui devront intégrer la production et publication de données dans leur travail : c’est la première proposition du rapport. OWNI avait déjà eu l’occasion de constater à quel point le manque de connaissances et de consignes relatives aux données publiques sont des obstacles à leur accès.

- la question des formats est abordée à plusieurs reprises. La proposition 2 y est même entièrement consacrée :

encourager l’utilisation de formats facilement réexploitables, qui respectent les normes d’interopérabilité et de “lisibilité machine”.

La question est en effet cruciale : d’après les données issues de l’étude réalisée par François Bancilhon (Data publica) et Benjamin Gans (INRIA) et publiées par Proxima mobile le 26 juillet dernier, sur les 6,2 millions de fichiers de données publiques disponibles en ligne, seuls 11% le sont sous des formats exploitables.

- faire de la gratuité la norme. Le paiement d’une redevance pour accéder à certaines séries devient une exception. Une proposition à laquelle les auteurs du rapport sont arrivés de manière empirique :

Notre analyse économique nous mène à conclure que la gratuité la plus large, y compris pour une réutilisation des données à titre commercial, favorise l’innovation et les nouveaux usages, et contribue à financer le service public par l’impôt généré ; c’est le modèle économique optimal pour les données publiques.

- Plusieurs propositions visent à faire émerger un écosystème des données publiques, mettant ainsi en valeur que l’open data est une politique qui doit s’inscrire dans la durée et dans les habitudes de l’administration.

Il est ainsi préconisé que “l’ensemble des Contrats d’Objectifs et de Moyens des Etablissements publics et des Délégations de Service Public contractées avec des entreprises abordent explicitement le statut et les droits de réutilisation afférant aux données générées dans leur cadre”. Les données liées à de nouveaux contrats signés pour la délégation du service public de l’eau, des transports pourraient ainsi être rendues publiques…

…mais une volonté de contrôle

Comme l’essentiel des initiatives en open data, la philosophie portée par ce rapport reste celle d’une approche “top down” où le choix des données rendues publiques appartient à l’organisme qui les met en ligne. Ce qui n’est pas la seule voie : ouvrir les données publiques, c’est aussi les “rendre” aux citoyens grâce à qui elles sont produites.

C’est ce qu’explique ici Jean-Marc Manach et c’était l’idée de la campagne du Guardian “Free our data” qui a amené le gouvernement britannique à se lancer dans l’open data.

Dans le rapport, l’alternative inverse est même présentée comme un danger. Par exemple, le rapport évoque trois scénarios possibles d’attitude de l’État face à l’ouverture des données publiques : inertie, capture et symbiose.
Dans la cas de l’interie (c’est-à-dire le développement de l’offre de données publiques à son rythme historique) un des inconvénients évoqués est “le risque fort de manquer les opportunités stratégiques de l’ouverture des données publiques” et par là “fragiliser les institutions productrices de données” :

“la frustration des citoyens et consommateurs face à la difficulté d’accès à des données qui leur importent pourrait les pousser à développer leurs propres solutions ad hoc, par exemple de manière collaborative. Bien que louable si ces solutions évoluent vers une relation public-privé efficace, ce développement comporte une part de risques, notamment celui de la perte de légitimité des institutions qui historiquement ont produit des données importantes pour les citoyens. Le risque serait alors grand de voir s’effriter un tissu d’expertises utiles, et la qualité des services aux citoyens pourrait en souffrir.”

Lâcher le monopole de production des données n’est pas pour demain.

Ainsi, la seule fonctionnalité “bottom-up” (la demande ou l’initiative vient des citoyens) proposée dans le rapport se fait par le biais du crowdsourcing et reste relativement limitée.

L’État devra donc réfléchir à la possibilité de passer d’un modèle “à sens unique” (diffusion des données du secteur public vers la société civile) à un modèle d’écosystème où les données de l’État et des collectivités, ouvertes à la société civile, pourraient être enrichies en retour de façon collaborative (“crowdsourcing”).

Le rapport ne recommande pas la mise en place, sur le site d’ouverture des données, d’un formulaire permettant de demander un jeu de données spécifiques, par exemple. Dans les sites open data des gouvernements, la Suède est d’ailleurs la seule à le proposer.

Ce rapport est une étude remise à un ministère : il ne représente pas la feuille de route d’Etalab ni même la politique globale du gouvernement français autour de l’ouverture des données publiques, même si de nombreux points sont communs (la gratuité des données par exemple).

Son contenu est cependant assez révélateur de la philosophie qui prévaut actuellement dans les politiques et initiatives open data et qui constitue une façon bien spécifique de voir l’ouverture des données publiques. Les données publiques commencent à être libérées en France. Mais d’une certaine manière.


Crédits photos Flickr CC by-nd loop_oh et Laurent Jégou

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