Casser l’internet à coup de bêche, c’est possible

Le 15 avril 2011

Baptisée la « hackeuse à la bêche Â», une Géorgienne de 75 ans aurait privé pendant plusieurs heures l'Arménie d'internet en sectionnant malencontreusement un unique câble sous-terrain. Le Net est-il finalement si fragile ?

Cet article a été initialement publié sur Silicon Maniacs sous le titre “Peut-on couper un pays d’internet d’un simple coup de bêche?”

Le 28 mars dernier, la quasi-totalité des habitants de l’Arménie, ainsi qu’une partie de ceux de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie, ont été soudainement coupés d’internet pendant plusieurs heures. L’agence de presse russe RIA Novosti rapportait alors qu’ « une panne en Géorgie» avait obligé les fournisseurs d’accès à internet (FAI) du pays à utiliser des réseaux de réserve pour tenter de rétablir le service.

Une semaine après l’incident, le ministère de l’Intérieur géorgien annonçait mercredi avoir découvert le coupable : une ferrailleuse géorgienne de 75 ans. Pensant trouver du cuivre, cette dernière a endommagé un câble sous-terrain près de la capitale géorgienne, Tbilissi, sans réaliser les conséquences de son geste. 90% du réseau arménien étant branché sur celui de la Géorgie voisine, comme le rappelle le Guardian [en], la connexion de 3,2 millions d’Arméniens est brusquement tombée.

Depuis, l’information fait le tour du web. Un simple coup de bêche peut-il suffire à couper un pays d’internet ? Le réseau est-il finalement si fragile ?

Black-out sur le Net

En ce début d’année, les régimes égyptien, puis libyen ont censuré internet, pour tenter d’étouffer la contestation. Dans ces deux cas cependant, il n’y a eu aucune intervention sur le réseau physique. Le régime de Moubarak a contraint les FAI au blocage des protocoles BGP (Border Gateway Protocol, qui permet aux sites de signaler leur adresse) et DNS (Domain Name Server, qui permet aux navigateurs Internet d’orienter vers un site), tandis que celui de Kadhafi a considérablement réduit la bande passante, provoquant un ralentissement drastique du service. Rien de comparable avec le cas arménien. Aucune pression ici d’un régime autoritaire sur les FAI, mais simplement une grand-mère armée d’une bêche face à un câble de fibre optique.

Pour Benjamin Bayart, président du FAI associatif FDN (le plus ancien FAI en France encore en exercice), cet incident n’a cependant rien d’incroyable, même si il précise qu’il vaut mieux se munir d’une solide pince monseigneur que d’un banal outil de jardinage pour détériorer un tel câble renforcé:

Tout dépend du tissu économique local. Si il y a peu d’entreprises qui travaillent sur internet et sur les couches basses du réseau, il est techniquement possible qu’un petit pays comme l’Arménie soit quasiment dépendant d’un unique câble.

Le moindre incident peut dès lors créer véritable un black-out.

Quid de la France?

Mais pourrait-on imaginer une telle coupure en France ? La situation est totalement différente dans les pays développés, dans lesquels le maillage est infiniment plus dense. Là où un coup de bêche à eu raison du réseau arménien, internet à résisté au tremblement de terre au Japon. La solidité de l’architecture d’internet repose justement sur sa non-centralisation et sur une imbrication de réseaux les uns dans les autres. Lorsqu’un câble est endommagé, une autre route est automatiquement empruntée.

En France des centaines de milliers de kilomètres de câbles cheminent le long de toutes les voies de chemin de fer, des voies navigables, des autoroutes, du tunnels, des lignes haute-tension. Benjamin Bayart résume:

Par exemple, essayer de priver Paris d’internet en s’attaquant aux câbles reviendrait à tenter de mettre en place un barrage routier sur toute la capitale. Même si on coupe les principaux axes, il reste des milliers d’itinéraires bis.

Des dizaines de câbles relient ainsi la France aux continents américain, asiatique ou africain. Une réalité illustrée par le drame du tunnel sous la manche en 2008, estime Benjamin Bayart:

L’incendie dans le tunnel de la manche en 2008, n’a par exemple eu aucune incidence sur le réseau. Il y a suffisamment de routes secondaires pour que la destruction de quelques câbles soit imperceptible pour les internautes. Même dans le cas d’une attaque terroriste qui ciblerait simultanément tous nos câbles transatlantiques, il serait toujours possible d’accéder aux sites hébergés aux États-Unis en passant par Taïwan. La seule conséquence serait une éventuelle congestion du réseau

Tractopelle et câbles optiques

La France serait dès lors à l’abri d’un black-out global. Cependant le réseau reste vulnérable à l’échelon local. En février dernier, le journal Sud-Ouest rapportait un incident similaire à ce qui s’est produit en Arménie. En préparant des tranchées pour ses plants, un vigneron de Libourne (33) a brusquement arraché une gaine comprenant une fibre optique et des câbles de cuivre.

Un accident qui eut pour conséquence immédiate de priver d’internet et de téléphone la moitié du département de la Dordogne, pendant une après-midi. « Ce genre d’incident arrive en effet régulièrement, en particulier dans les zones blanches, dans lesquels il n’y pas de connexion ADSL. Il reste beaucoup de villes en France qui ne sont reliées au réseau que par un seul câble, voir uniquement un relais Wifi », détaille Benjamin Bayart. Dans ces régions, la chute d’un arbre ou un accident de bêche peut alors suffire à plonger les habitants dans le noir pendant des jours.

Et une connexion internet ce n’est pas comme un réseau électrique : on peut pas utiliser un générateur d’appoint en attendant d’être rebranché.

Illustration CC Flickr par courambel

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