Un fidèle de Kadhafi a-t-il aidé Sarkozy à initier la révolte libyenne ?

Le 30 mars 2011

Depuis octobre 2010, l'ex chef du protocole de Kadhafi est réfugié à Paris, sous la protection de la DGSE. Les services français l'ont-ils utilisé pour lever la révolte des insurgés? Un journal italien en est convaincu. Récit.

Pendant que les avions français survolaient la Libye, les ailes sanglées de missiles, le chef du protocole de Mouammar Kadhafi, Nouri Mesmari, regardait le printemps briller de la fenêtre d’un grand hôtel parisien. Une scène improbable et pourtant bien réelle que les comptes rendus des dernières semaines d’actualité libyenne n’ont pas évoqué.

Et pourtant, ce n’est pas faute d’un titre gueulard : le 23 mars dernier, le quotidien Libero affichait en première page

Sarko manoeuvre la révolte libyenne

Et le journal de décrire par le menu la rocambolesque fuite de ce proche du « raïs » à la veille de l’embrasement du pays et évoquant une trahison au profit de la France. Un article aussi ignoré à Paris qu’en Italie. Peut-être parce que le journal ne cache pas ses proximités avec Silvio Berlusconi. Ou peut-être parce que, privée de ses détails, l’histoire de cet exilé de la cour libyenne ne semble qu’une anecdote de plus dans la décadence du régime. Alors que l’affaire vaut le détour.

Proche de Kadhafi, c’est comme un véritable chef d’État en fuite que Nour Mesmari s’est rendu en France : en prétextant une opération chirurgicale.

Une défection organisée par les services secrets

Le 21 octobre 2010, le haut dignitaire de la Jamahiriya débarque à Paris avec toute sa famille et s’installe à l’hôtel Concorde Lafayette, “sans recevoir aucun médecin” précise le journaliste de Libero. A la place, c’est la police qui vient bientôt frapper à sa porte : suite à un mandat d’arrêt international émis par la Libye le 28 novembre pour “détournement de fonds”, Mesmari est arrêté le lendemain… et placé en résidence surveillée dans un luxueux hôtel de la Porte Maillot. La France refuse d’extrader le chef du protocole déchu. Le chef d’État libyen décide alors de tout mettre en Å“uvre pour le convaincre de revenir.

C’est d’abord le fils le plus « libéral » de Kadhafi, Saif El-Islam, qui s’avance, par l’intermédiaire de son agence Libyapress pour tenter de convaincre le haut fonctionnaire en fuite de rentrer à Tripoli… sans succès. Selon la lettre d’information Maghreb Confidentiel, le clan des « sécuritaires » proches de Kadhafi décide alors de fermer la société incapable de ramener Mesmari à Tripoli avant d’expédier un autre proche du raïs à Paris. Abdallah Mansour, ancien directeur général de l’Office général de radio et télévision du régime, est dépêché sur place en décembre, porteur d’un message de réconciliation sur le ton de “si tu reviens, on annule tout”. Nouvel échec.

Refusant de lever la demande d’extradition, le pouvoir libyen tente une dernier carte : Moatassim, fils du raïs, conseiller à la sécurité nationale et tenant notoire de la ligne “dure” du régime. “Il est étonnant qu’on ai laissé un tel profil, proche des comités révolutionnaires et des sécuritocrates, pénétrer sur le territoire français”, s’étonne-t-on dans le corps diplomatique français. Le fils Kadhafi descend pourtant à l’hôtel Bristol fin janvier pour continuer la ronde devant la porte de Mesmari. Le 10 février, Maghreb confidentiel publie un aveu d’échec : Moatassim a repris l’avion pour Tripoli le 5 février, laissant à Paris l’ancien chef du protocole. Une semaine plus tard, le mouvement anti-Kadhafi se lève. Et, selon Libero, le retour du fils bredouille ne serait pas pour rien dans cette explosion.

Colonel félon et barbouzes agricoles

Car la défection de Nouri Mesmari serait, selon le quotidien italien, non pas le fait de tour de passe-passe financier mais un échange de bons procédés : asile politique contre informations stratégiques. Avant qu’un mandat d’arrêt international ne passe la Méditerranée, de drôles de Français s’étaient glissés dans une délégation de gros bonnets de l’agro-business : au milieu des cravates de France AgriMer et de Soufflet, une poignée d’agents de la DGSE ont pris l’avion le 18 novembre pour rencontrer à Benghazi, non pas des paysans de Cyrénaïque, mais le colonel Abdallah Gehani, dignitaire de l’armée de l’air proche de Mesmari.

Selon le quotidien italien, les agents des services secrets français vont rencontrer l’homme sur les conseils de l’ancien chef du protocole. De sa résidence parisienne, Nouri Mesmari aurait obtenu l’autorisation de sortir pour aller dîner avec quelques amis libyens, dont certains auraient joué un rôle dans le soulèvement de Benghazi. Conclusion du journaliste du quotidien pro-Berlusconi: Mesmari a été utilisé comme une marionnette par Nicolas Sarkozy pour renverser le dictateur libyen.

Une hypothèse qui se heurte au manque des fameuses “preuves” vantées par Libero. Mais qui n’enlève rien à la pertinence de certaines questions, comme la raison pour laquelle la France a si légèrement décidé de donner refuge à un proche du régime libyen avant d’offrir le séjour au fils le plus radical de la lignée Kadhafi.

Image de Une par Marion Boucharlat @Owni /-)

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Illustration sous licence CC via FlickR: sludgegulper

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