De la difficulté d’intervenir en Libye

Le 10 mars 2011

Intervenir, mais comment ? Aucun consensus n'est pour l'heure dégagé entre les grandes puissances. Au risque de voir Kadhafi écraser les opposants.

Doit-on intervenir en Libye ? Il ne faudrait pas que la réponse à cette question se fasse encore trop longtemps attendre, car cela risquerait d’être trop tard. Les forces fidèles au colonel Kadhafi et les mercenaires qu’il a recrutés un peu partout en Afrique pourraient être venus à bout des insurgés, au prix d’un nombre considérable de victimes dans la population civile.

Pourtant il n’est pas facile de répondre rapidement à la question. Une chose est sûre : les Occidentaux ont exclu une intervention militaire qui supposerait l’envoi de troupes au sol. Avec les Américains encore présents en nombre en Irak et les forces internationales engagées en Afghanistan, il n’est pas question d’ouvrir un troisième « front ». Tout le monde s’accorde à penser que les conséquences politiques en seraient désastreuses.

Les mouvements populaires dans les pays arabes ne sont dirigés ni contre les Occidentaux en général ou les Etats-Unis en particulier, ni contre Israël. Le président yéménite Saleh a bien essayé d’entonner cette vielle antienne pour déconsidérer les manifestants mais sa tentative a fait long feu. Il en irait sans doute différemment si des troupes de l’OTAN foulaient le sol du Moyen-Orient.

L’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye (no fly zone) ne présente pas les mêmes risques. Elle est d’ailleurs demandée par le Conseil supérieur de la révolution, représentant les insurgés qui ont pris le pouvoir dans l’est de la Libye, et soutenue par la Ligue arabe. Elle n’en constitue pas moins un acte de guerre, comme l’a rappelé [en] le secrétaire américain à la défense Robert Gates :

Une zone d’exclusion aérienne commence par une attaque sur la Libye pour détruire ses défenses aériennes.

Il s’agit en effet de neutraliser tous les types d’armements encore aux mains du colonel Kadhafi, qui mettraient en danger l’aviation des pays chargés de faire respecter cette zone d’exclusion aérienne. Le sénateur démocrate John Kerry, proche de Barack Obama, considère au contraire [en] qu’une zone d’exclusion aérienne n’est pas synonyme d’intervention militaire.

Souveraineté

Quoi qu’il en soit, c’est une décision grave qui ne peut être prise sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. La France et la Grande-Bretagne ont pris la tête du mouvement, devant des États-Unis plus circonspects bien que décidés eux aussi à obtenir la chute du régime Kadhafi. Les ministres des affaires étrangères des deux pays ont précisé que toute décision devait avoir la légitimité internationale accordée par le Conseil de sécurité.
Or, la Russie et la Chine, qui disposent d’un droit de veto, ne semblent pas disposées à soutenir l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au nom du respect de la souveraineté des États.

Cela ne veut pas dire qu’elles ne s’y résigneront pas mais il faudra certainement plusieurs jours de négociations à New-York pour les convaincre de ne pas bloquer un texte qui, de toute manière, sera certainement moins contraignant que nécessaire. Et pendant ce temps, Kadhafi aura tout loisir de poursuivre sa contre-offensive.

Une autre hypothèse, qui n’est pas exclusive de la no fly zone, serait d’armer « secrètement » les insurgés, comme le suggèrent démocrates et républicains américains. Cette politique rappelle le slogan lift and strike (lever l’embargo sur les armes pour les Bosniaques et se livrer à des frappes aériennes sur les positions serbes), qui était à la base de la politique de Bill Clinton dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Elle ne fut jamais vraiment appliquée parce que les Européens, qui avaient des soldats au sol parmi les casques bleus, craignaient pour leur vie.

Elle pourrait l’être en Libye mais elle ne produira pas ses effets du jour au lendemain. Or le temps presse.

Article initialement publié le 7 mars sur Boulevard Extérieur sous le titre Les affres de l’intervention

Crédits photo via Flickr: Avion de chasse par Mashley Morgan [cc-by-sa] ; Combattants rebelles en Libye par Nasser Nouri [cc-by-nc-sa]

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