Luz dessine le clubbing du plaisir
Luz, l'un des dessinateurs emblématiques de Charlie Hebdo, est aussi DJ. Il évoque ici avec passion sa vision du clubbing, avant tout mue par le plaisir qu'il donne et celui qu'il prend.
Florian Pittion-Rossillon nous propose une nouvelle interview passionnante d’un acteur de la scène clubbing française. Retrouvez ses autres papiers sur son excellent blog Culture DJ.
Luz est un des piliers de Charlie Hebdo. Dessinateur politique à l’humour acéré, c’est aussi un jouisseur pour qui le DJing est l’occasion de se vautrer dans une luxure d’esthète : celle de transmettre sa vision musicale en faisant danser les gens. Où quand un trentenaire humaniste à la culture rock est arrivé, en prenant les chemins du plaisir, à faire le lien avec les perspectives de l’electro. D’où le jouissif “King of Klub“, dernier recueil en date.
Et quand Luz le caricaturiste politique met son art de l’observation au service de la musique live, il en révèle les plus lointains et primaires soubassements. Et quant à la question ô combien récurrente de l’état du clubbing français, Luz apporte quelques réponses… basées sur le rythme, la basse, et … « une hystérie spatio-metal ». Luz + musique = voyage.
Le lien s’est fait tout seul car je suis devenu DJ à une période où le DJ n’était plus méprisé des rockers. C’était la belle affaire des années 2000, après l’arrivée des 2 Many DJs, qui ont eu cette bonne inspiration de mélanger tous les styles musicaux, en passant du coq à l’âne. Je suis arrivé là -dedans par hasard. C’était par l’intermédiaire de l’équipe du magazine Magic. Ils m’ont fait mixer dans une soirée Blur. Ils se sont aperçus que je n’avais passé aucun titre de ce groupe, alors ils ont décrété que j’étais un très bon DJ et qu’il fallait que je recommence.
Ce qui m’a intéressé, c’est le fait de pouvoir transmettre des envies musicales, en établissant un lien de confiance avec le public en face de moi. Et cela sans être ennuyeux… C’est mon obsession depuis que je suis gamin : comment transmettre la musique à des gens qui ne la connaissent pas.
Mon anti-conception plutôt, c’est ce que m’a dit un DJ rock un jour : « Il faut pouvoir être plus intelligent que ton public ». Je me suis demandé ce que ça pouvait bien signifier… Mais il avait un collier à boules en bois, et en général tu portes assez peu de crédit à quelqu’un qui porte ça. Et j’ai eu la conviction que je ne voulais pas ressembler à ce genre d’individu. Car quand tu mixes, tu amènes une partie de toi-même. Quand tu mixes chez les autres, il faut d’abord écouter les disques chez soi, dans l’intimité. Et la transmission de cette intimité passe aussi par ce que tu veux présenter de toi. Cela change tous les jours, toutes les semaines. Donc un DJ qui sait d’avance ce qu’il va passer, du premier au dernier morceau, ce n’est pas un DJ… OK il sait enchaîner mais sans plus. Tu dois construire une histoire en direct. Donc : improvisation, de telle sorte que, racontant ton histoire, les gens te racontent la leur. Si tout d’un coup il n’y a plus de réaction, ou si au contraire ça réagit sur un morceau, c’est une information, ça a un sens. Et cela change ta manière de raconter l’histoire.
Mise en danger
A mort. Surtout que le premier intérêt de tout cela, c’est cette mise en danger. C’est ce qui m’a tout de suite plu : le fait que les gens voient ton travail en direct, ce que tu n’as pas dans le dessin. Et aussi ce qui est bien, c’est d’accomplir ce rêve d’adolescent, d’arriver et de dire « Bonsoir Paris ! »… quand tu es à Paris. Ou « Bonsoir Dijon ! » quand tu es à Dijon. Donc ça caresse l’égo, à condition de mettre des choses qui viennent de toi. Si tu ne mets que des tubes du moment, OK les gens sont contents, mais qu’as-tu amené de toi ? Être DJ, c’est le meilleur moyen d’aller dans une soirée où il y a de la bonne musique puisque c’est la tienne qui passe. Donc si tu ne passes que ce que les gens attendent, tu finis par passer de la merde. Donc tu passes de la musique que tu défends. Ca m’est arrivé de jouer ce que les gens attendaient, car parfois on se cherche… Mais à quoi ça sert ? Cela dit il ne faut pas être non plus dans le plan ultra-autiste du mec qui ne fait pas attention à ce qu’il y a autour de lui.
Le festival Benicassim quand j’ai joué dans la tente Pop. J’avais mixé tard, à 4h du matin. Je devais mixer une heure et demie. Avant ça, ambiance Benicassim, Espagne… J’avais fait Pac Man toute la journée. Tout y est passé. Tout. Les copains me disaient que je ne pouvais pas monter sur scène. Moi ça allait très bien, j’étais super conscient. J’étais dans un état de sur-stonerie et je voyais très bien ce que je voulais faire. J’ai pris les platines. Je me suis lancé dans un show bizarre. Je me suis dessiné sur le corps, des trucs comme ça… A un moment, j’ai passé un morceau des Breeders, et un deuxième, car j’ai raté mon enchaînement avec l’autre morceau que j’avais prévu. Mais personne ne s’en est aperçu tellement les gens étaient à bloc.
Je me suis dit que j’avais fait une connerie devant 2000 personnes.
Bref, tout roulait. A un moment, j’ai eu envie de silence, j’ai mis « Hallelujah » de Jeff Buckley, ça a scotché tout le monde, moi y compris. Je me suis dit que j’avais fait une connerie devant 2000 personnes. Mais les gens se tenaient par la main, s’embrassaient, pleuraient. Tout le monde a eu la même remontée de drogue au même moment. C’était LOVE ! J’en ai encore des frissons. Voilà , ça c’était très intime : on se sent bien ensemble, on teste un truc. Si les gens se sentent bien avec toi, on se sent beaucoup plus libre d’essayer.
Je n’ai pas l’impression. Ou alors c’est le fait de vouloir faire plus Ed Banger que Ed Banger. Alors ça c’est très français. Et ça c’est très très dur. Surtout quand tu as une soirée en France avec Ed Banger et les clones de Ed Banger réunis. Je me souviens d’une soirée au Rex, comme ça. C’était plus possible.
Justice sur NRJ, c’était comme une grande victoire.
Mais je trouve ça bien, Ed Banger. Je trouve ça bien qu’il y ait une marque qui signifie à l’international qu’il se passe quelque chose en France, mais aussi qui signifie aux français qu’il se passe quelque chose chez eux. Et que cela traverse la barricade de la radio populaire. La première fois que j’ai entendu Justice sur NRJ, c’était comme une grande victoire, même si c’est une radio mainstream. Normalement, quand tu es un groupe français qui fait de la musique instrumentale, tu n’es pas sur les ondes, ce que j’ai compris un jour où Jean-Michel Jarre pleurnichait, car il n’est pas considéré comme de la musique française. Donc il ne rentre pas dans les quotas. Alors si la musique française qui ne rentre pas dans les quotas arrive à percer les quotas et devenir mainstream, c’est intéressant. C’est un combat gagné, en tous cas une brèche.
La basse qui malaxe
Le clubber en moi est multiple ! En tant que clubber j’aime être surpris. J’aime quand je suis au bar et me faire avoir par le DJ, de telle sorte que je suis attiré sur le dancefloor.
N’importe laquelle. Cela dit il me faut de la basse. Une basse roulante, un drive. Qui me malaxe les couilles. De la basse physique. Et ça tu l’as dans presque toutes les musiques.
Oui. Il a été étiqueté electro-rock, alors que c’est un discoboy. Il écoute de la disco. Sauf qu’il est passé par le grunge, plein d’autres choses… Mais il a une manière disco. LCD a été très important, car j’ai compris que ce que j’écoutais depuis des années pouvait être joyeux. La première fois que je suis tombé sur le EP « Losing My Edge », j’étais à fond dans le post-punk genre The Fall, du punk intellectuel… Et tout d’un coup j’entends ça, qui est du The Fall avec un truc dans le slip, jouissif, chaloupé. J’aime le chaloupement. C’est ce qui me fait aller sur le dancefloor comme attiré par le joueur de flûte qui attire les rats. Je veux être comme un rat qu’on conduit dans le ravin du dancefloor. Ca c’est vraiment excitant. Donc avec « Losing My Edge », j’ai compris que la musique n’était pas uniquement faite pour écouter chez soi. Il y a une transmission. Un besoin de se libérer de l’écoute intime pour la partager avec les autres sur le dancefloor.
Je veux être comme un rat qu’on conduit dans le ravin du dancefloor.
LCD, c’est la quintessence de ce que j’aime car c’est un passeur. Il assume de dire que sa musique, il ne la crée pas de rien. Il y a des influences Eno, Bowie, disco, punk, pop. C’est une musique qui te dit : « commence par moi, et vas chercher ailleurs ». Un de mes amis m’a dit : « Je suis très jaloux des jeunes gens qui ont découvert la musique avec LCD Soundsystem ». C’est magnifique. Je suis aussi très jaloux… J’ai découvert des choses avec LCD, mais j’en connaissais pas mal. Il a fait naître des auditeurs electro-rock. Ni electro ni rock… ni pop mais pop en même temps. Ni hip-hop mais hip-hop en même temps. Et donc ces auditeurs sont obligés d’aller voir ailleurs pour trouver encore mieux. Il a cette humilité de dire « Je ne suis pas le meilleur groupe du monde. Les meilleurs groupes du monde, je les ai écoutés et ils passent à travers moi ».
Prétention & détention
Quand tu es sur le dancefloor en France, il faut pouvoir exprimer au DJ qu’il doit te mériter. C’est insupportable, et c’est très français. Il y a un problème français tout court, le même dans tous les secteurs culturels. La prétention d’être détenteur d’un passé glorieux et de tout mesurer à l’aune de cette référence. On fait la morale à tout le monde et on a du mal à regarder ce qu’on fait nous-mêmes. On se targue de Hugo, de Balzac, d’être un grand pays de littérature alors qu’en la matière on ne fait plus rien depuis des années. En musique électronique, on peut dire qu’il y a eu Daft Punk. So what ? OK, il y a eu ce truc prestigieux car d’un coup l’international nous a regardés.
Les anglais ont quelque chose de très bien : le NME. Un journal où la musique populaire est traitée pour ce qu’elle est : superficielle. Et on en parle de manière superficielle. On assume cette idée. On ne fait pas semblant de croire que la musique, c’est de l’histoire. Les groupes qui sont présentés sont des kleenex, ils se bagarrent entre eux, on leur pose des questions vachardes et après on les jette. Comme les groupes ont conscience d’être des kleenex, ils sont plus libres que les autres. Ils savent qu’on peut les jeter au bout de trois ans, mais qu’au bout de dix ans ils peuvent réapparaître avec un autre projet. Chez nous, les groupes sont des mouchoirs en soie, on se branle dedans et on les met sous un cadre avec des moulures.
Cette morgue, cette prétention très française se retrouve aussi dans le clubbing. Le clubbing, c’est sérieux.
Je constate ça dans la chanson française : il faut rentrer dans cette petite photo où il y a Brassens, Brel et Ferré, pour être le quatrième… En pop/rock, si c’est chanté en anglais, ça se voudra très sérieux. Cette morgue, cette prétention très française se retrouve aussi dans le clubbing. Le clubbing, c’est sérieux. La manière de prendre des drogues, c’est sérieux. La manière de boire, c’est sérieux.
Il y a des spécificités de culture. L’esprit français, ça existe. Cette petite prétention permanente. Les clubbers français attendent l’excellence. Ils veulent avoir le moment historique. Mais bon, ça suffit ! On est aussi là pour prendre du plaisir ! Alors maintenant qu’à Paris il y a très peu de clubs et qu’ils sont très chers, on va à l’étranger.
Je n’en sais rien… Un truc qui me fait marrer, c’est quand les gens disent qu’ils ne vont plus en club car les boissons sont trop chères. J’ai envie de leur dire « T’as qu’à danser, connard, et après tu bois un coca ! ». Si aller en club, c’est uniquement pour se saoûler la gueule, tant pis. Après, je ne sais pas vraiment où se situe la faille, en France. C’est moins fun.
Bande kilométrique sous Traktor
Oui. C’est plus simple.
Ouh là oui, c’est un gros mot ! Moi j’assume la superficialité. En tant que DJ, j’ai le souci de transmettre des « valeurs musicales », une façon d’écouter la musique que j’aime, une sensibilité. Mais si les gens n’aiment pas et restent au bar, ce n’est pas grave. S’ils ne se barrent pas, c’est déjà une bonne soirée pour eux.
Mais si tu vas dans un petit club à Paris, tu auras un mec derrière son laptop, qui te regarde avec une condescendance d’insupportable connard. Tu t’en fous, tu es venu danser. Mais tu ne peux pas ! Car son truc, c’est de faire de la bande kilométrique sous Traktor. Et tu te dis, « Qu’est-ce que je fous là , je ne suis pas là pour la musique ?!? », justement d’ailleurs parce que le mec n’est pas là pour la musique. Si le DJ est là pour la musique, il est là pour transmettre quelque chose de la musique. Son petit set sous Traktor, on s’en branle.
Le problème avec Traktor, c’est le niveau de bpm qui est toujours le même.
A fond ! Bon, c’est super pour faire des enchaînements. Je suis désespéré de ne pas savoir faire de vrais mix, je ne serai toute ma vie qu’un selector mineur. Mais le problème avec Traktor, c’est le niveau de bpm qui est toujours le même. 124bpm. Fuck ! En tant que clubber, je veux me faire gifler ! Me faire fouetter ! J’ai envie qu’on m’embarque ailleurs, que ça ne soit pas monorythmique. Ce qui tue le clubbing, c’est le monorythme. Si c’est du très bas bpm, ça peut à la limite t’embarquer dans un truc un peu spatial, tout dépend de ce que tu as fait avant, pendant, et de ce que tu feras peut-être après. Mais si tu fais du Ed Banger ou de la minimale allemande et que tu as toujours le même rythme, finalement, c’est pas plus intéressant que la musique du Buddha Bar. Papier peint sonore. Pour moi le rythme est un élément essentiel du DJing. Jouer avec, pouvoir le casser, le ralentir, l’augmenter, le fracasser. C’est ça qui était intéressant dans les productions de Ed Banger à un certain moment, c’était le cassage de rythme. Du côté de chez Institubes il y a eu des choses pas mal de ce point de vue là aussi. Mais 4 ou 6 heures sur un rythme identique, c’est difficilement tenable.
J’ai dansé là -dessus, qui suis-je ?
C’est pour ça que j’aimais bien les sets de Jean Nippon. Il y a un lien entre le R&B et le hardcore sans que ce soit simplement juxtaposé ! Il m’a foutu en transe ! Comment il a réussi à me faire danser sur du zouk, alors que deux secondes j’étais à bloc sur une hystérie spatio-metal, je ne comprends pas. Il réussit à te faire te surprendre toi-même. Tu te dis, « J’ai dansé là -dessus, qu’est-ce qui s’est passé ? Qui suis-je (rires) ? ». Quand c’est toujours le même rythme, ça arrive difficilement.
Non, car idéaliser les gens les rend difficiles à dessiner. Par exemple, Philippe Katerine. Quand j’ai voulu le dessiner en concert pendant les premiers morceaux, ça ne marchait pas du tout. Parce que je l’avais déjà beaucoup vu à la télévision, il faisait partie de ma famille visuelle. Genre Sarkozy on le voit tellement à la télévision, on croit que c’est le voisin de palier. On ne remarque plus rien. Si je devais voir un concert de Bowie, ça serait difficile pour moi de le dessiner très vite. Par contre, ce qui est intéressant dans les dessins de concert, c’est de ne pas aller dans le portrait. Alors ça me change de mon travail de caricaturiste. C’est mon repos. Tu n’as pas besoin de faire quelque chose de ressemblant.
Dépassement du corps
Oui car on est dans le reportage. Et on peut mettre en scène du fantasme. C’est pour ça que j’aime bien le travail que je fais avec Stéphanie Meylan (sa compagne, NDA). En concert elle fait des portraits photo très rapprochés. C’est une fan qui voudrait lécher la joue de chaque musicien. Donc moi ça me dégage de l’obligation de faire un dessin ressemblant. Je m’attache donc à la justesse des mouvements, à la bonne représentation de la façon dont quelqu’un veut représenter sa musique sur scène. C’est ça que j’aime dans le live : la manière qu’ont les gens de s’auto-représenter et de représenter leur travail.
Oui, parce que si je vais dessiner un concert folk, ça pourra être très joli, mais ça sera sans intérêt. Parce que je ne vais pas bouger… Sauf à de rares exceptions. Comme quand j’ai dessiné Antony and the Johnsons. Il y a un truc qui s’est passé entre moi et, euh… Antony (rires) ! Tout d’un coup il a dégagé un truc, alors qu’il ne fout rien. Il a une tronche, un corps bizarre, mais il est arrivé un dépassement de ce corps que j’ai pu essayer de traduire en dessin.
Oui, plus que du fantasme. Il faut que le concert s’écrive sur moi, pour que je puisse le dessiner.
La réalité de l’énergie
Oui. C’est cette énergie qui est super excitante quand on dessine. Moi je dessine en apnée. A chaque trait, je ne respire pas. Quand tu dessines dans un concert, tu es obligé d’arrêter de danser, à un moment donné. Et c’est génial. Tout d’un coup, tu ressens juste la musique. Et donc le dessin est un moyen de se remplir de l’énergie de l’autre. Et puis je ne suis pas un bon portraitiste, donc je vais vers la caricature. Du coup, j’assume de ne pas traduire la réalité, mais l’énergie. Comme l’énergie ça n’existe pas, la réalité de l’énergie se réinvente en permanence.
Je parlerais plutôt des Dead Kennedys. Il y a une démarche politique précise, et une démarche artistique qui s’assume en dehors de la politique, qui relève plutôt de la manière de chanter du chanteur Jello Biafra. Il montre qu’il a du recul sur son propre discours. Et il y a une manière de jouer en live avec la politique qui est unique. Il se drape toujours dans le discours du salaud, pour le rendre ridicule. Quand Biafra chante, ce n’est pas lui qui chante. Biafra chante les comportements d’une crapule. Sur scène, c’est un grand théâtre… Dans « California Ãœber Alles » (chanson mythique des Dead Kennedys de 1979, portant sur la politique du gouverneur de Californie de l’époque, Jerry Brown – NDA), il imitait Jerry Brown, puis Schwarzenegger. Et il va réimiter Jerry Brown.
Pas besoin de mettre des paroles pour faire de la musique politique.
Bref, ici, la politique, elle est déjà dans la manière de jouer la musique. Pas besoin de mettre des paroles pour faire de la musique politique. La musique politique, ça a du sens. C’est la musique qui n’est pas circonscrite. La musique circonscrite, c’est de la musique fasciste. Genre les derniers albums de Madonna. Elle est dans un genre dont elle ne sort pas. Elle a vocation à drainer les foules non pas pour transmettre quelque chose de la musique mais pour gagner de l’argent. Elle ne donne rien, elle ne partage pas, ne pose pas de questions.
Oui… J’ai un ressenti très particulier quand j’entends certains morceaux, par exemple le premier album de Superpitcher, qui continue de me questionner en permanence. C’est pour moi de la véritable musique politique, parce que ça libère, ça fait avancer sur autre chose. Physiquement, tu peux ressentir de la mélancolie, et donc tu te demandes, « qu’est-ce que ça veut dire de moi ? », et donc on peut trouver des réponses qu’on ne trouvera pas dans un discours politique, et qui feront avancer aussi. Je préfère la musique politique aux chansons politiques.
Chercher les gens
En fait Iggy n’est pas un objet de musée. Je l’ai revu il y a quelques mois. Ses concerts sont d’une générosité incroyable. Il donne beaucoup et va chercher le public, le provoque. Il ne fout plus sa bite à l’air, cela dit. C’était une marque de fabrique. Mais s’il foutait encore sa bite à l’air, ça poserait un problème. C’est peut-être plus très joli à voir (Iggy est né en 1947, NDA). Bref, c’était un concert à Paléo, un gros festival suisse. Des gens étaient déçus, car ils venaient voir l’icône, et ils demandaient, « mais comment un type de son âge peut-il faire des choses pareilles ? ». Et là , Iggy était venu chercher les gens, un peu comme Saint Sébastien, tout le temps à montrer son torse, façon de dire aux gens « Réagissez, je suis peut-être votre idole, je suis peut-être un vieux con, mais réagissez, je veux que vous ayez une réaction autre que celle que vous avez d’habitude ».
Ozzy, premier album génial, mais Ozzy on s’en fout (rires) ! Par contre, Suicide, c’est intéressant. Ils vieillissent bien.
La mort la plus horrible, ça serait de tomber dans les tripes d’Alan Vega sans savoir comment en sortir.
C’est un exploit… Musicalement, même le dernier album de Martin Rev (un des deux membres de Suicide – NDA), sur la mort de sa femme. Il a écrit une musique très symphonique… Le type propose un monde intérieur rare, alors même que c’est du pur rock’n roll. Ils ne se sont jamais demandé s’ils faisaient de la musique électronique. C’est beaucoup plus rock’n roll que les White Stripes. C’est une réinvention. L’album d’Alan Vega (le chanteur de Suicide – NDA) avec Marc Hurtado qui s’appelle « Sniper », c’est hyper bien, à part quelques poncifs. Ils te balancent dans les tréfonds. Vega t’embarque dans ses tripes. D’ailleurs, la mort la plus horrible, ça serait de tomber dans les tripes d’Alan Vega sans savoir comment en sortir. Mais ça serait l’expérience la plus géniale. Voilà , cet album est comme ça (rires). Eux, Suicide, vieillissent bien. Ils ont quelque chose à proposer tellement ils se mettent encore en danger. Le fait de mettre par terre devant les autres son intimité est éminemment politique. Le rock’n roll a été une forme de proposition. Qui, aujourd’hui, fait ce genre de proposition là  ? Je ne sais pas si les White Stripes vont bien vieillir. D’ailleurs ils viennent de se séparer. Les Kills, peut-être. Mais c’est déjà vieux. En tous cas ça vieillira beaucoup mieux que les BB Brunes ! (Rires de fin).
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Crédit photo “Luz et sa compagne Stéphanie Meylan, photographe” : Renaud Monfourny
Article initialement publié sur Culture DJ
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