Algérie: l’autre pays du Maghreb sur la sellette
La révolution des jasmins qui vient de se dérouler en Tunisie pourrait-elle se propager en Algérie ? La situation semble trop différente pour qu'une telle situation se produise.
Deux jours après la chute de Ben Ali en Tunisie, les yeux se tournent désormais vers le reste des pays arabes et du Maghreb. La révolution des jasmins peut-elle se propager à d’autres pays qui connaissent les mêmes problèmes ? La semaine dernière en Algérie, de violentes émeutes ont secoué le pays. Pendant cinq jours, la jeunesse est descendue dans la rue pour dénoncer ses mauvaises conditions de vie. Mais contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie, le mouvement n’a pas dépassé le stade des émeutes de jeunes. La société civile et les partis d’opposition, que le gouvernement a tout fait pour casser et pour les priver de tous les moyens de lui nuire, n’ont pas rejoint le mouvement. Et le calme est revenu sans apporter le changement politique rêvé par beaucoup d’Algériens.
Contre les violences, la tactique de la marginalisation
Petit retour en arrière. Mercredi 5 janvier, des violences éclatent dans la soirée dans le quartier populaire de Bab el Oued à Alger. Des jeunes manifestent contre la flambée des prix de certains produits de base comme le sucre et l’huile qui touche le pays depuis le début de l’année 2001. Un peu plus tôt dans la journée, ce sont plusieurs quartiers d’Oran, la deuxième ville du pays, qui se sont embrasés. Dès le lendemain les émeutes gagnent en intensité et se propagent à une dizaine d’autres villes du pays. Partout le même scenario. Des centaines de jeunes descendent dans les rues et se confrontent violemment à la police et aux forces anti-émeutes qui tentent de maintenir l’ordre. Ils lancent des pierres et s’attaquent aux bâtiments des services publics, aux administrations, mais aussi à certains commerces, notamment ceux qui leur renvoient l’injustice qu’ils vivent au quotidien. Des concessionnaires automobiles et un restaurant à la mode sont saccagés. Ces violences vont durer cinq jours.
Pour éviter la propagation à d’autres franges de la société, les autorités algériennes tentent de marginaliser le mouvement. D’abord en gardant le silence. Ni le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ni le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, ne s’expriment, renforçant par là même le sentiment de divorce avec la population. Le ministre de la Jeunesse, Hachemi Djiar, dénonce lui l’action des jeunes en affirmant que la violence « n’a jamais donné des résultats, ni en Algérie ni ailleurs », et les appelle à « dialoguer de façon pacifique et civilisée, loin des actes de vandalisme qui ne mènent nulle part ». Sur le terrain les policiers reçoivent la consigne de limiter au maximum l’affrontement direct et de ne pas faire de blessés parmi les manifestants. Ils utilisent des gaz lacrymogènes et des balles à blanc. Mais deux jeunes sont tués. L’un touché par un tir à balle réelle et l’autre mortellement blessé après avoir reçu une grenade lacrymogène au visage. Au total, mille personnes seront arrêtées, et huit cents blessées dont sept cents parmi les forces de l’ordre selon les chiffres officiels.
Une même revendication : plus de liberté
Les médias publics taisent pendant trois jours ce qui se passe dans le pays. Quand la télévision et la radio d’État évoquent pour la première fois les violences, c’est pour donner la parole aux habitants qui se plaignent des dégâts causés par les manifestants. Mais la presse privée et surtout Internet relaient le mouvement. Sur les réseaux sociaux, les images des émeutes circulent presque instantanément. Des dizaines de « groupes » et de « forums » sont créés, malgré les difficultés que connaissent les internautes pour se connecter. Pendant plusieurs jours, Facebook et Twitter seront ainsi quasi inaccessibles. Une censure qui accroit la solidarité entre Algériens et Tunisiens, qui se battent finalement pour la même chose : plus de liberté. Car aux mots d’ordre initiaux sur la cherté de la vie, ont succédé des revendications plus profondes sur les conditions de vie d’une jeunesse sans espoir ni perspectives d’avenir. « Ces populations expriment des préoccupations non seulement d’ordre social, mais aussi d’ordre économique, culturel, cultuel (…) Aujourd’hui, ce mouvement contestataire multiforme, qui a tendance à se radicaliser et à être de plus en plus violent, se propage dans d’autres régions du pays et touche les petites villes et les localités notamment de l’extrême sud, connues pourtant pour leur calme imperturbable », analyse le sociologue Nacer Djabi.
Face à cette détresse, le gouvernement ne propose que des mesures économiques et strictement conjoncturelles : des exonérations de charges pour faire baisser les prix de l’huile et du sucre. Pour les Algériens c’est un nouveau scandale. Pour beaucoup, les importateurs et les grossistes, qui ont construit leur richesse par la corruption et le détournement de la manne pétrolière, renforcent encore un peu plus leur position dans un pays qui importe la grande majorité des biens qu’il consomme. D’ailleurs, certains les accusent d’avoir sciemment déclenché ces « émeutes de la faim » pour mettre en difficulté les autorités qui tentent en ce moment de reprendre la main sur le commerce informel qui gangrène l’économie du pays.
Dans le fond, rien n’est réglé
Aujourd’hui, le calme est revenu dans le pays mais dans le fond rien n’est réglé. L’émeute semble être devenue le seul moyen d’expression et de rébellion d’une population ignorée de ses dirigeants. Le pays a d’ailleurs connu d’autres mouvements de protestation ces derniers mois, pour réclamer des logements, la construction de routes, etc. À chaque fois, ces mouvements s’éteignent aussi vite qu’ils ont commencé. Difficile alors de croire à un changement imminent. L’opposition a pourtant décidé ces derniers jours de prendre le relai sur le terrain, sans doute piquée au vif par la réussite de la protestation chez le voisin tunisien, souvent moqué de ce côté de la frontière. Mais la situation en Algérie est différente de celle de la Tunisie et la mobilisation est difficile. La population qui a vécu plus de dix ans de terrorisme craint toujours un retour à la violence et une récupération d’un éventuel mouvement par les islamistes. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti laïc dirigé par l’opposant Saïd Sadi, appelle tout de même à une marche samedi prochain à Alger. Une marche que le pouvoir algérien a d’ores et déjà interdite.
Images CC Flickr magharebia et amekinfo
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