Une pub pas si bien contextualisée

Le 5 novembre 2010

Facebook utilise les données de ses utilisateurs pour vendre de la publicité "contextuelle". Mais Facebook ne peut percevoir l’intertexualité, ne comprend pas une antiphrase, ne capte aucune ironie et ne peut donc pas vraiment contextualiser la publicité.

Titre original : Une étrange invitation à jouer

Je ne suis pas sûr d’être la personne la plus qualifiée du monde pour parler de jeu en ligne… Je suis même une sorte de parfaite figure d’anti-joueur. Toute idée de jeu de société me fait fuir comme la peste !

Mais comme je ne veux pas vraiment parler de jeu, allons-y…

Non, pas sur les jeux en eux-mêmes, que je ne testerais pas, et donc ne pourrais commenter, mais je voudrais juste noter l’impression bizarre que j’ai eue lorsque certains d’entre eux m’ont été proposés dans la colonne de droite (sic!) de Facebook… Non que je ne les avais pas déjà croisés à ce même emplacement, mais leur brusque apparition « en masse » m’a légèrement, mais très légèrement interloqué…

Le contexte

Facebook est un espace de libre développement, et donc n’importe qui peut y proposer des tas de choses, services, achats, jeux, et autre publicité pour tout et rien.

L’apparition de ces petites publicités, ou infos est guidée par nos gouts, et chaque jour un peu plus « géolocalisée », selon la tendance générale du Web.

L’idée est assez simple : notre vie numérique, à touche impressionniste, finit par dessiner un autoportrait censé suffisamment pertinent pour qu’il puisse induire des sollicitations commerciales. J’avais noté ailleurs à ce propos que l’entreprise qui me connait le mieux, Amazon, avait réussi une seule fois à me proposer un livre pertinent en plus de dix ans. Et pourtant, rien n’est plus porteur de sens que l’achat de livre. Donc, s’il est une entreprise qui doit avoir une image fidèle de moi, c’est bien cette librairie… Mais apparemment, ça ne marche pas. En effet, une proposition pertinente en dix ans ne peut être que le fruit du hasard, à force de tourner autour de mes achats, titre, genre, auteur, collection, etc., il fallait bien que ça tombe, un jour, sur un volume que j’avais prévu d’acheter, ne serais-ce que pour continuer la lecture d’un auteur.

Cette expérience « grandeur nature », est peut-être peu représentative (après tout, peut-être suis-je un acheteur un poil complexe, sans aucune cohérence ?), mais montre pourtant les limites de la stratégie…

Dans le même genre d’idée, l’autre jour, un site internet me proposa brusquement d’acheter un florilège d’étuis à disque dur externe, parce que j’avais consulté les prix sur un site marchand. Cette page qui s’était subitement remplie d’offres équivalentes de toutes les couleurs m’avait fait éclater de rire, devant l’incongruité de la situation. Qu’est-ce qui m’a fait rire ? Pas le fait que mon surf soit parasité, ce n’est pas particulièrement drôle, mais la bêtise des gens, derrière, qui s’imaginent avoir trouvé le moyen infaillible d’accrocher le chaland… Pauvre !

Ce mécanisme pavlovien réifié, auquel il va falloir s’habituer, j’en ai peur, est aussi pertinent que celui mis en place par Facebook qui semble ne pas vouloir comprendre que « j’aime » ne veut presque jamais dire « j’achèterais bien ça », et peut aussi vouloir dire qu’on déteste la « chose », mais qu’on apprécie l’acte, la publication, qui donne l’occasion d’évoquer, voir de se moquer collectivement de cette chose !

Facebook ne peut percevoir l’intertexualité, ne comprend pas une antiphrase, ne capte aucune ironie, ni connivence, complicité, et autre private joke… En gros, Facebook n’a pas l’intelligence du dispositif qu’il a lui-même mis en place.

Facebook, comme entreprise, et malgré sa réussite commerciale « par l’échelle », ne comprend rien à rien, donc, et c’est bien pour ça que ses pitoyables efforts de marchandisation de ses données sont si risibles. Qu’est-ce que vaut une base de « données privées » remplie de pseudos, noms fantaisistes, dates de naissance idiotes (j’ai un ami facebook, très jeune, né en 1922), morts (1 % parait-il) et même sexes incertains et toutes autres usurpations et mensonges ? Rien. Que d’autres commerçants tout aussi croyants dans l’avenir du système achètent à prix d’or ces données n’assure pas leur valeur, pas plus que des dettes immobilières…

Et sans compter nos « goûts », qui doivent guider les offres… Je suis tombé dernièrement sur la page d’une mairie, très officielle, qui avait comme goût musical : « Bisounours »… Vas-y, Web du futur, construis un modèle économique là-dessus, je regarde !

Tant que l’horrible « identité numérique » est encore un fantasme politique de certains, tout va bien… Voilà pour le contexte un poil digressif… nos moutons,

La politique 2.0 ? Des jeux de guerre

Bref, dernièrement, j’ai dû ouvrir un compte Facebook pour une communauté d’agglomération. C’est-à-dire un truc bien séreux, où il n’est pas question que les « amis » puissent poster sur le mur… Au moment de paramétrer le compte, j’ai eu l’étrange idée d’inscrire « territoire » dans le champ « activités »… ça me semblait évident… c’est là que j’ai déclenché, semble-t-il, l’affichage aussi pertinent que pulsionnel d’une armada de publicité pour ces petits jeux qui pullulent sur facebook.

Le problème, et ce n’est qu’une supputation et ça le restera, car je ne veux pas faire de recherche sur les algorithmes et autres bestioles utilisés, c’est que le ciblage s’est fait sur le tag « territoire »…

Et donc que j’ai brusquement vu apparaître une armada de jeux orientés, qui lorsqu’ils apparaissent individuellement, se font plus discrets. Mais la masse créée la lisibilité, et ce que j’ai lu, donc, dans cette colonne de « droite », m’a fortement intrigué.

Sans en tirer de conclusion abusive, voire paranoïaque, je m’interroge quand même sur la conformation de l’imaginaire des développeurs de jeu… et me demande, comme ça, si l’imaginaire et l’idéologie explicite colportées par ces choses atteignent la conscience des joueurs, et à quel niveau ?

Je sais parfaitement bien que l’on peut jouer à un jeu sans avoir conscience d’être embarqué dans un dispositif idéologique, ou sans cautionner celui-ci, de la même manière que les spectateurs de « The dark knight » ou autre « Juno » ne sont pas tous d’extrême droite. Et on a tous joué à s’entretuer, enfant, et nous ne sommes pas pour autant des tueurs. Et on peut même trouver son plaisir dans la répétition de scénarios fantasmatiques féodaux en votant progressiste toute sa vie. C’est étrange, mais c’est comme ça.

Malgré tout, l’agrégat de ces petites vignettes colorées créé un paysage idéologique sans aucune ambiguïté, si lisible qu’il ne nécessite aucune lecture, aucun décryptage, et que la seule chose que ça pourrait évoquer, c’est un véritable programme politique…

Billet originellement publié sur Détresse Visuelle, un blog de Culture Visuelle.

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>> Illustration CC FlickR : roytsaplinjr

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