L’info santé au scalpel

Le 30 juillet 2010

Quel est l'apport du développement récent des technologies de l'information en matière de santé ?

De nombreux soupçons portent sur les collusions supposées entre presse santé et laboratoires, à tel point que le Sénat s’est récemment emparé du sujet et que des spécialistes australiens veillent à la bonne tenue des informations publiées dans ces journaux.

Suite au retrait par Merck de son anti-inflammatoire Vioxx en 2004, la commission des Affaires sociales du Sénat rendait un rapport en juin 2006 sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments. Celui-ci consacre de longs développements à la fausse indépendance des experts vis à vis de l’industrie pharmaceutique, mais aussi à une presse médicale considérée comme “sous influence”.

Une presse médicale sous influence

Le constat est sans appel :

Les laboratoires contrôlent par ailleurs les leaders d’opinion que sont les journaux médicaux. En effet, pour qu’une publication médicale soit rentable, elle doit accepter d’être pour partie financée par la publicité. Or, les annonceurs intéressés par ce type de presse sont essentiellement les laboratoires pharmaceutiques, qui cherchent à promouvoir leurs produits auprès des professionnels de santé.

Par ailleurs, les articles sont le plus souvent écrits par des spécialistes qui ont des liens d’intérêts avec les laboratoires. Ils ont alors tendance à fonder leur jugement sur des études exclusivement favorables au produit dont ils estiment légitime de promouvoir la prescription.

La prise de pouvoir des journalistes santé

Alors que la concurrence fait rage entre les entreprises pharmaceutiques et que les patients sont de plus en plus informés et n’hésitent plus à suggérer à leur médecin tel traitement ou tel diagnostic, les journalistes scientifiques ont une responsabilité accrue. Entre le marketing acharné des big pharma et la rigueur scientifique, ils peuvent vite se retrouver à vendre une maladie dans le but de vendre des médicaments (ce que l’on nomme le disease mongering).

Des exemples de maladies ou affections qui ont été ainsi vendues ? Les problèmes d’érection masculine, l’anxiété sociale, l’alopécie ou le syndrome du côlon irritable. Des maladies qui existent bel et bien mais présentent l’avantage marketing d’être difficiles à définir et quantifier, sont plutôt chroniques et peuvent être une conséquence naturelle du vieillissement ou de la variabilité humaine. Sans parler du cholestérol, simple facteur de risque, présenté comme une maladie en soi.

Le numéro d’avril 2006 de la revue PLoS Medicine a été entièrement consacré à cette question. Une étude s’intéresse notamment à 33 articles de journaux sur le syndrome des jambes sans repos (restless leg syndrome). Ces articles ont été écrits après une campagne de communication fracassante (plusieurs millions de dollars) de GlaxoSmithKline pour vendre sa molécule ropinirole (Requip®), présentée comme le premier et unique traitement contre ce syndrome. Les auteurs de l’étude rapportent que les journalistes exagèrent les bénéfices du traitement, exagèrent la gravité du symptôme (en mentionnant par exemple que c’est un facteur de suicide) et restituent telle quelle l’information sur la forte prévalence de la maladie dans la population, alors que les critiques existent.

Comme le faisait remarquer un lecteur dans son courrier au New Scientist du 6 mai 2006, le dicton médical “Ne fais pas le mal” pourrait aussi bien, s’appliquer aux journalistes. Surtout, l’article paru dans PLoS Medicine donne quelques règles simples aux journalistes pour éviter de tomber dans le panneau du disease mongering et remplir leur rôle : informer les lecteurs et non pas les rendre malades…

Exercer un contrôle

Pour lutter contre cette fâcheuse tendance, des universitaires et cliniciens du Newcastle Institute of Public Health alimentent une vigie Internet sur la qualité des informations médicales : Media Doctor Australia. Décortiquant la presse quotidienne, ils notent chaque article selon les critères de nouveauté, de justification de ce qui est avancé, de quantification des bienfaits du médicament et de ses méfaits, des sources d’information, de l’angle d’attaque etc. et justifient leurs notes par un bref commentaire.

Par exemple, un article de ninemsn.com, relatant une étude américaine montrant qu’un médicament contre l’ostéoporose peut être utilisé avec peu d’effets secondaires pour réduire les risques de cancer du sein, est passé à la moulinette et reçoit une note de 3/5. Commentaires : le journaliste reste dans une perspective américaine et omet d’adapter le résultat de l’étude au contexte australien, en mentionnant par exemple un médicament qui n’est pas enregistré en Australie. D’autre part, le journaliste donne les effets secondaires de manière relative et non absolue.

Un graphique permet de visualiser la tendance générale ou par journal et de voir s’il y a un progrès ou non:

Cette excellente initiative prouve que le problème est pris au sérieux par les experts et qu’Internet peut être utilisé comme moyen de contrôle de journalistes un peu trop sous influence. Évidemment, on peut regretter la couverture 100% australienne ; des équivalents existent cependant au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Canada. Il ne manque qu’un équivalent en français, qui se lance ?

Article initialement publié sur le blog d’Antoine Blanchard, embarqué dans la soucoupe

Image de Une: remix à partir d’une photo issue de l’opération “Coiffeurs contre le SIDA” (merci Liliane!)

Illustration ©© allisonturrell

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