OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Petits espionnages entre amis http://owni.fr/2012/06/15/petits-espionnages-entre-amis/ http://owni.fr/2012/06/15/petits-espionnages-entre-amis/#comments Fri, 15 Jun 2012 16:30:43 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=113576

Qadhafi in Damascus - Photo CC Ammar Abd Rabbo

Le 8 mars dernier, la société Bull annonçait, dans un communiqué avoir “signé un accord d’exclusivité pour négocier la cession des activités de sa filiale Amesys relatives au logiciel Eagle“, sans préciser à qui le système de surveillance massive de l’Internet pourrait être revendu.

Il y avait urgence à communiquer : le 15 mars, Canal+ allait diffuser Traqués !, documentaire du journaliste d’investigation Paul Moreira, où l’on voyait notamment trois journalistes, écrivains et blogueurs libyens expliquer comment ils avaient été identifiés, incarcérés, frappés à “coups de pied et de barre de fer” et torturés par les nervis de Kadhafi grâce au système Eagle conçu par la société française.

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Traqués en Libye

Traqués en Libye

Ce soir, Canal Plus diffuse un documentaire choc, proposé par l'agence Premières lignes, révélant la portée des ...

Le 16, Owni publiait Au pays de Candy – enquête sur les marchands d’arme de surveillance numérique, ebook révélant l’histoire, et les dessous, de ce contrat sulfureux négocié par l’intermédiaire de Ziad Takieddine dans le cadre d’un accord de coopération sécuritaire voulu par Nicolas Sarkozy et Kadhafi, et négocié par Claude Guéant et Brice Hortefeux.

La Lettre A, dans son édition du 15 juin 2012, révèle que l’acquéreur d’Eagle serait Stéphane Salies, un des actionnaires historiques d’Amesys, et l’un des architectes du projet Eagle, confirmant une information confiée à Owni voilà quelques semaines, et que nous cherchions à vérifier.

Un des principaux responsables d’Eagle

Supérieur hiérarchique de Renaud R., le jeune chef de projet d’Eagle, le nom de Stéphane Salies figure également dans les propriétés de deux des documents révélés dans Au pays de Candy comme étant celui qui avait écrit, sinon validé, au dernier chef, la préparation du contrat avec la Libye.

Le premier porte sur les spécifications techniques du système d’interception, mais également sur des modèles de téléphone capables, même lorsqu’ils sont éteints, d’espionner leurs utilisateurs.

Prop générale sécu v2

Le second document, une proposition de contrat, chiffrait le montant cumulé des prestations proposées à 22 780 000 euros, dont 8,5 millions pour la surveillance de l’Internet, 1,4 pour les écoutes téléphoniques, plus 2,1 autres millions au titre de la formation et l’assistance technique.

Contract Anglais X3 Vers Passport

Internet massivement surveillé

Internet massivement surveillé

En partenariat avec WikiLeaks, OWNI révèle l'existence d'un nouveau marché des interceptions massives, permettant ...

Ex-directeur général d’Amesys, Stéphane Salies avait été nommé vice-président de la division Systèmes critiques et Sécurité de Bull, qui regroupe les anciennes activités d’Amesys afin de proposer “une offre complète de sécurité pour répondre à la variété et à l’évolution des menaces“, suite à la prise de contrôle du géant de l’informatique française par la start-up (voir, à ce titre, l’enquête de Reflets sur L’étonnante prise de contrôle de Bull par Amesys).

En mai 2011, quelques jours seulement avant qu’Owni ne révèle le contrat passé entre Amesys et la Libye de Kadhafi, Stéphane Salies était présenté comme président d’Amesys Technologies, dans un article où il expliquait que les affaires d’espionnage, de piratage ou de fuites de données “n’ont pas surpris” les responsables informatiques comme lui, mais qu’elles soulignaient “l’urgence qu’il y avait à prendre des mesures à la hauteur des enjeux“.

Ironie de l’histoire, c’est notamment à partir de documents internes qui avaient fuité qu’Owni a pu révéler le mode d’emploi du Big Brother libyen, ainsi que, en partenariat avec WikiLeaks (voir encadré ci-contre), les noms de plusieurs réfugiés politiques espionnés grâce à la société française…

La Lettre A relève aujourd’hui que son nom “a étrangement disparu de l’organigramme de Bull depuis plusieurs mois“, mais qu’il a créé, le 26 avril dernier, une nouvelle société de “programmation informatique“, Nexa technologies :

Sera-t-elle son bras armé pour l’acquisition d’Eagle ? Ou un moyen de portage pour un tiers ? Lors d’un comité central d’entreprise en mai, la direction de Bull a éludé le sujet, opposant un classement confidentiel-défense.

Contacté par La Lettre A, Bull évoque de son côté un acquéreur étranger pour Eagle, sans mentionner le rôle de Stéphane Salies.

La justice française a annoncé, le 21 mai 2012, l’ouverture d’une information judiciaire pour complicité d’actes de torture en Libye, visant explicitement Amesys et confiée au pôle spécialisé dans les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, nouvellement créé au sein du TGI de Paris, suite à une plainte déposée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) en octobre 2011, ce dont elles se sont félicitées.


Photo CC Ammar Abd Rabbo [by-nc-sa]
À consulter : Au pays de Candy, enquête sur les marchands d’armes de surveillance numérique, disponible dans toutes les bonnes librairies numériques :

           

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Au pays de Candy http://owni.fr/2012/03/15/au-pays-de-candy/ http://owni.fr/2012/03/15/au-pays-de-candy/#comments Thu, 15 Mar 2012 14:34:25 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=102009

OWNI Editions publie aujourd’hui Au pays de Candy, enquête sur les marchands d’armes de surveillance numérique. Un document consacré en particulier au système Eagle, conçu par une entreprise française, Amesys, à la demande du régime libyen de Mouammar Kadhafi.

Au pays de Candy” (118 pages, 4,49 euros) est disponible au format “epub” sur Immatériel, la FNAC (Kobo) et l’IbookStore d’Apple, Amazon (Kindle), ainsi que sur OWNI Shop (au format .pdf, sans marqueur ni DRM).

           

 

Internet massivement surveillé

Internet massivement surveillé

En partenariat avec WikiLeaks, OWNI révèle l'existence d'un nouveau marché des interceptions massives, permettant ...

De nos jours, Amesys affirme que ce “produit” a été conçu pour “chasser le pédophile, le terroriste, le narcotrafiquant“. Même si, chez son “client“, l’interlocuteur qui a commadé ce “produit” et qui donnait des ordres aux employés d’Amesys envoyés à Tripoli pour former les espions libyens, était recherché par Interpol, pour “terrorisme (et) crime contre l’humanité“. Abdallah Senoussi avait été condamné par la justice française à la prison à perpétuité pour son implication dans l’attentat du DC-10 de l’UTA (170 morts, dont 54 Français). Il est aujourd’hui emprisonné en Libye vient d’être interpellé en Mauritanie.

Ironie de l’histoire, l’autre chef des services de renseignement libyens, Moussa Koussa, avait quant à lui fait défection, pour se réfugier au Royaume-Uni grâce à un ancien terroriste proche d’Al Qaeda que Senoussi avait espionné grâce au système Eagle… Son nom figure dans la liste des personnalités de l’opposition qu’OWNI avait retrouvé dans le mode d’emploi d’Eagle.

Signe du sentiment d’impunité qui prévalait alors chez Amesys, l’auteur de ce mode d’emploi avait également partagé, sur Vimeo, un clip vidéo montrant l’un des centres d’interception installés par les Français à Tripoli, et où se trouvait l’un des bureaux de Senoussi…

Il est impossible, et impensable, qu’Amesys ait conçu un tel “produit” sans l’aval des autorités françaises, ce que démontrent la vingtaine de documents, dont la plupart sont inédits, révélant dans quelles conditions Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi ont décidé de nouer des partenariats sécuritaires.

On y voit aussi Ziad Takieddine préparer en détail les visites (qualifiées de “secrètes“) de Claude Guéant et Brice Hortefeux à Tripoli. On y lit des documents (estampillés “confidentiels“) expliquant ce que désiraient exactement les Libyens, et comment Amesys en a aussi profité pour chercher à vendre à Senoussi des téléphones espion, mais également un système d’écoute et de géolocalisation des téléphones mobiles et ce, contrairement à ce qu’ils avaient affirmé…

On y découvre également que le concepteur du système Eagle est un ancien policier, issu d’un “laboratoire secret de la police française” où étaient élaborées les technologies dernier cri et qu’il avait quitté pour créer un système de surveillance de l’Internet, sur une petite échelle. À la demande de Senoussi, il l’a élargi pour être en mesure de surveiller l’Internet à l’échelle d’un pays.

Autre ironie de l’histoire, du temps où il était encore dans la police, à la fin des années 1990, celui qui allait devenir l’inventeur d’Eagle était également le vice-président de French data network (FDN), un fournisseur d’accès à Internet associatif qui s’était illustré, lors du printemps arabe, en aidant les Égyptiens à se reconnecter au Net après que les services de Moubarrak ait décidé de le censurer.

La Libye fut le tout premier pays où un journaliste et blogueur fut assassiné en raison de ses écrits. C’était en 2005, l’année où Ziad Takieddine commença à s’approcher de Kadhafi. Le nom de code de ce projet qui a depuis permis à la dictature libyenne d’incarcérer, et torturer, plusieurs autres intellectuels et internautes ? Candy… comme bonbon, en anglais.

À la manière d’un mauvais polar, les autres contrats négociés par Amesys portent tous un nom de code inspiré de célèbres marques de friandises : “Finger” pour le Qatar (sa capitale s’appelle… Doha), “Pop Corn” pour le Maroc, “Miko” au Kazakhstan, “Kinder” en Arabie Saoudite, “Oasis” à Dubai, “Crocodile” au Gabon. Amesys baptisait ses systèmes de surveillance massif de l’Internet de marques de bonbons, chocolats, crèmes glacées ou sodas…

L’affaire se déguste dans Au pays de Candy, enquête sur les marchands d’armes de surveillance numérique, disponible dans toutes les bonnes librairies numériques :

           


Illustrations par Loguy pour Owni /-)

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Amesys vend sa mauvaise conscience http://owni.fr/2012/03/08/amesys-refourgue-son-baton-merdeux/ http://owni.fr/2012/03/08/amesys-refourgue-son-baton-merdeux/#comments Thu, 08 Mar 2012 12:19:43 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=101228 OWNI, que la France avait vendu un système de surveillance de l'Internet à Kadhafi, le groupe Bull décide de se séparer de cette branche de ses activités.]]>

Le Groupe Bull, fleuron de l’informatique française, vient d’annoncer, dans un communiqué, avoir “signé un accord d’exclusivité pour négocier la cession des activités de sa filiale Amesys relatives au logiciel Eagle“.

Contrairement à ce qu’affirme la dépêche AFP, le groupe Bull ne se sépare pas d’Amesys, qu’il avait racheté en 2009, mais uniquement du système Eagle de surveillance de l’Internet, soit quelques dizaines de salariés tout au plus, sur les 900 collaborateurs de l’entreprise.

Ce système, présenté par Bull comme étant “destiné à construire des bases de données dans le cadre d’interception légale sur internet“, avait fait scandale l’an passé lorsqu’on découvrit qu’il avait été utilisé par la Libye de Kadhafi.

Réfugiés sur écoute

Réfugiés sur écoute

Pendant plusieurs années, la société française Amesys a permis à la dictature du colonel Kadhafi d'espionner les ...

Pour être tout à fait précis, il avait en fait été conçu en 2007 par la société française Amesys à la demande d’Abdallah Senoussi, le chef des services secrets de Kadhafi, grâce à l’entremise de l’intermédiaire Ziad Takieddine, et alors que Nicolas Sarkozy et Claude Guéant cherchaient à normaliser leurs rapports avec la Libye.

Senoussi avait pourtant été condamné en 1999 par la justice française à la prison à perpétuité pour sa responsabilité dans l’attentat du DC-10 de l’UTA, qui avait coûté la vie à 170 personnes, et recherché par Interpol pour “terrorisme (et) crime contre l’humanité“.

L’enquête d’OWNI avait par ailleurs démontré que le système avait servi à espionner des figures historiques de l’opposition libyenne, dont les nouveaux ministres de la culture libyen, ainsi que l’ambassadeur de la Libye à Londres, un avocat britannique et des fonctionnaires américains.

Ces révélations avaient constitué l’une des preuves utilisées par WikiLeaks pour démontrer la dangerosité des marchands d’armes de surveillance à l’occasion du lancement des SpyFiles, opération visant à mettre à jour, et en ligne, les documents internes décrivant les fonctionnalités de ces systèmes et logiciels d’espionnage des télécommunications.

Le Wall Street Journal, qui avait visité, l’été dernier, l’un des centres de surveillance de l’Internet installé par Amesys à Tripoli, avait depuis révélé que le système Eagle avait aussi servi à espionner un journaliste d’Al Jazeera.

Un pacte “avec le diable”

Mode d’emploi du Big Brother libyen

Mode d’emploi du Big Brother libyen

La société française Amesys, qui a vendu des technologies de surveillance à la Libye de Kadhafi, essaie de minimiser les ...

Dans un documentaire intitulé “Traqués ! Enquête sur les marchands d’armes numériques“, qui sera diffusé mercredi 14 mars sur Canal+, le journaliste Paul Moreira (voir son interview sur LeMonde.fr) a par ailleurs rencontré trois blogueurs incarcérés plusieurs mois durant à cause de mails échangés sur Internet. Ils ne pouvaient nier : leurs tortionnaires avaient les preuves écrites, interceptées grâce à Eagle.

Bruno Samtmann, le directeur commercial d’Amesys qui avait expliqué, sur France 2 que le “produit” avait été “imaginé pour chasser le pédophile, le terroriste, le narcotrafiquant“, et qu’il avait donc été “détourné” de sa finalité, a reconnu devant Paul Moreira que ce contrat avait effectivement été “signé avec le diable“, tout en précisant : “mais ce n’est pas moi qui l’ait signé“…

Philippe Vannier, le fondateur d’Amesys, qui avait négocié le contrat avec les services de Kadhafi, grâce à l’intermédiaire Ziad Takieddine, ne s’est jamais exprimé à ce sujet. Pour racheter Amesys, en 2009, Bull lui avait cédé 20% de ses actions, permettant à Vannier de devenir le PDG de Bull.

Le groupe a connu une perte nette de 16,5 millions d’euros en 2011, “conséquence de dépréciations de survaleurs sur la filiale Amesys et du ralentissement de la croissance dans les activités de défense“. Interrogé par Les Echos, Philippe Vannier a déclaré la semaine passée que les activités liées à Eagle “pèsent moins de 0,5% du chiffre d’affaires du groupe, elles ne sont pas stratégiques ou significatives pour nous“.

Le droit français tordu pour Kadhafi

Le droit français tordu pour Kadhafi

La société française Amesys aurait vendu en toute légalité à Kadhafi des systèmes d'espionnage d'Internet, lui ...

Le Fonds stratégique d’investissement (FSI) avait de son côté acquis 5% du capital de Bull juste avant que le scandale n’éclate et n’entache la réputation d’Amesys, qui emploie 800 salariés, dont quelques dizaines seulement étaient impliqués dans Eagle. Directrice de la communication de Bull, Tiphaine Hecketsweiler est par ailleurs la fille de Gérard Longuet, ministre de la Défense qui avait décoré Philippe Vannier de la légion d’honneur en juillet 2011, et qui a depuis pris la défense d’Amesys à l’Assemblée, plutôt que d’accepter d’ouvrir une commission d’enquête parlementaire, comme le réclamaient plusieurs députés, et alors qu’une plainte était instruite contre Amesys à ce sujet.

OWNI Editions publiera très prochainement un livre à ce sujet. En prévision, nous vous offrons d’ores et déjà cette petite vidéo, réalisée en février 2010 par l’un des salariés d’Amesys, qui montre le centre d’interception des télécommunications et de surveillance de l’internet qu’ils avaient installé à Tripoli (le bâtiment derrière la camionnette rouge), et qu’il avait publiée sur Vimeo. Suite au scandale des Spyfiles, il l’en avait retirée. Il eut été dommage de ne pas vous en faire profiter :

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Espions des sables http://owni.fr/2012/03/06/guerre-libye-syrie-gi-files-wikileaks/ http://owni.fr/2012/03/06/guerre-libye-syrie-gi-files-wikileaks/#comments Tue, 06 Mar 2012 08:56:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=100844 OWNI, l'organisation WikiLeaks poursuit la publication des cinq millions d'emails de Stratfor, la société de renseignement privé proche des états-majors américains. Avec aujourd'hui des centaines de messages sur le Moyen-Orient.]]>

WikiLeaks avait entamé, le 27 février, la publication progressive de cinq millions de messages internes de l’entreprise de renseignement privée américaine Stratfor. Aujourd’hui, le site dévoile des emails indiquant la présence de forces spéciales occidentales en Syrie, notamment françaises, ainsi que des emails détaillant des aspects opérationnels, jusque-là ignorés, de la guerre en Libye. Créée en 1996 à Austin, au Texas, l’agence passait jusqu’ici pour une “CIA privée”, une réputation quelque peu exagérée.

En réalité, Stratfor développe ses analyses depuis des bureaux aux États-Unis, qu’elle vend aux entreprises, en entretenant des contacts avec quantité d’officiers supérieurs et d’agents de renseignement, en particulier américains.

Forces spéciales en Syrie

En Syrie, sujet abondamment traité par Stratfor, le compte-rendu d’une réunion, daté du 6 décembre 2011 laisse entendre que des forces spéciales occidentales auraient été présentes sur le terrain dès la fin de l’année 2011. Le message évoque quatre “gars, niveau lieutenant colonel dont un représentant français et un britannique” :

Après deux heures de discussion environ, ils ont dit sans le dire que des équipes de SOF [Special Operation Forces ou forces spéciales, NDLR] (sans doute des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France, de Jordanie et de Turquie) étaient déjà sur le terrain, travaillant principalement à des missions de reconnaissance et à l’entraînement des forces de l’opposition.

Les participants rejettent l’hypothèse d’une opération aérienne sur le modèle libyen, affirmant que “l’idée ‘hypothétiquement’ serait de commettre des attaques de guérilla, des campagnes d’assassinats, d’essayer de venir à bout des forces des Alaouites [le groupe confessionnel, minoritaire en Syrie, auquel appartient le président syrien Bachar al-Assad, NDLR], de provoquer un effondrement de l’intérieur.”

La situation syrienne est jugée beaucoup plus complexe que la Libye. “Les informations connues sur l’OrBat syrien [l'ordre de bataille, soit la composition des armées, NDLR] sont les meilleures qu’elles ne l’ont jamais été depuis 2001″ détaille un membre des services de renseignement de l’US Air Force, selon l’analyste de Stratfor. Les membres présents à cette réunion insistent sur les difficultés militaires d’une intervention directe :

Les défense aériennes syriennes sont bien plus robustes et denses, particulièrement autour de Damas et le long des frontières israélienne et turque. [Les participants] s’inquiètent des systèmes de défense aériens mobiles, en particulier les SA-17 [missiles sol-air, NDLR] qu’ils ont obtenus récemment. L’opération serait faisable, mais ne serait pas facile.

À ce moment de la réflexion stratégique, l’opération serait conduite depuis les bases de l’Otan à Chypre. Mais une telle campagne n’était alors pas encore entièrement d’actualité. “[Les représentants des services de renseignement] ne pensent pas qu’une intervention aérienne aurait lieu tant qu’aucun massacre, comme celui par Kadhafi à Benghazi [en Libye, NDLR], ne retiendra l’attention des médias. Ils pensent que les États-Unis auront une forte tolérance aux meurtres tant qu’ils n’atteindront pas l’opinion publique.”

Des troupes égyptiennes au sol en Libye

Parmi les centaines de milliers d’emails consacrés au Moyen-Orient, un grand nombre porte sur la guerre en Libye, sur la base de correspondance avec des militaires de haut rang. Ainsi, dans un message daté du 18 mars 2011, soit la veille du début des bombardements de la Libye par les forces de l’Otan, l’analyste Reva Bhalla partage avec force de détails un “rendez-vous privé” avec “quelques colonels américains de l’US Air Force, un homologue français et un Britannique”. Le ton est donné d’entrée :

Ils sautent pratiquement de joie à l’idée de faire cette opération [le bombardement de la Libye, NDLR] — une opération de rêve comme ils l’appellent – terrain plat, proche des côtes, cibles faciles. Aucun prob.

Les militaires gradés réunis affirment alors que “les Égyptiens sont déjà positionnés au sol, qu’ils arment et entraînent les rebelles.” Un sujet pour le moins tabou. A cette date, le 18 mars, deux résolutions ont été votées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. La première à l’unanimité le 26 février, prévoit la mise en place de sanctions économiques et financières contre le régime libyen, doublées d’un embargo sur les armes.

Le 17 mars, un jour avant le “rendez-vous privé” relaté, le Conseil de sécurité adopte la résolution 1973 qui met en place une zone d’exclusion aérienne. Le texte est adopté à l’arraché : l’Allemagne, la Chine, la Russie, le Brésil et l’Inde s’abstiennent. Selon les participants, la résolution a été “presque entièrement rédigée par les Brits [les Britanniques, NDLR]“. A ce stade, il n’est nullement question de troupes présentes au sol, ni d’en envoyer dans le futur. Des enquêtes ultérieures démontrent que des forces spéciales occidentales ont bien participé aux opérations, sur le sol libyen.

Le pétrole de la gloire

Au lendemain du blanc-seing du Conseil de sécurité, les militaires analysent les motivations de chaque participant. “De leur point de vue, l’opération entière est menée par le tandem franco-britannique. Par bien des aspects, les États-Unis ont été forcés de les suivre” écrit l’analyste de Stratfor. Côté britannique, les motifs de l’entrée en guerre sont assez prosaïques et plutôt éloignés des raisons humanitaires officiellement invoquées :

Le gars britannique dit que la Grande-Bretagne est guidée par des intérêts énergétiques dans cette campagne. Depuis la marée noire [dans le Golfe du Mexique, NDLR], BP souffre aux États-Unis . Les autres options sont d’aller vers la Sibérie (problèmes avec la Russie), le Vietnam et… la Libye. Selon eux, le renversement de Kadhafi est le meilleur moyen de remplir ces objectifs énergétiques.

Côté français, la situation est moins claire pour les intervenants de l’armée et pour les analystes de Stratfor. Le gradé français affirme que “la France a entendu parler de menaces d’AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR], soutenues par Kadhafi, contre des cibles françaises. Ça les a soûlés. Sarkozy s’est mis dans une impasse” conclut-il. Surtout, la France voulait prouver qu’elle “pouvait très bien” conduire ce genre d’opérations, “prouver sa pertinence.”

Entre Français et Britanniques, la coordination est d’abord passée par le Pentagone, rapporte la même analyste de Stratfor dans un message daté du 19 mai 2011. La veille, elle a assisté à un“briefing avec le groupe stratégique de l’US Air Force [pour] aider à préparer le séjour du chef d’État major de l’USAF en Turquie la première semaine de juin”. À cette réunion assistent deux colonels des services de renseignement américain et français, un capitaine britannique et un représentant du Département d’État. Reva Bhalla écrit :

Au début de la campagne en Libye, la France se coordonnait encore avec la Grande-Bretagne par l’intermédiaire du colonel des services de renseignement de liaison au sein du Pentagon, et non pas directement avec la Grande-Bretagne. Maintenant, les Britanniques ont enfin installé un bureau de commandement à Paris pour la coordination.

Lors de la même réunion, les participants estiment le coût de la guerre à 1,3 million “par mois”, ce qu’un expert de Stratfor corrige dans un mail en réponse : “1,3 million par jour”. “Un coût, mais pas une opération coûteuse” estiment-ils de concert.


Illustrations et couverture par Loguy pour OWNI.

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Al Jazeera espionné par Amesys http://owni.fr/2011/12/14/al-jazeera-amesys-espionnage-spyfiles-libye/ http://owni.fr/2011/12/14/al-jazeera-amesys-espionnage-spyfiles-libye/#comments Wed, 14 Dec 2011 16:14:58 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=90650

En août dernier, le Wall Street Journal visitait un centre d’interception des télécommunications à Tripoli et confirmait, photo du logo d’Amesys à l’appui, que cette société française avait bien fourni à la Libye son système Eagle de surveillance massive de l’Internet. Parmi les personnes espionnées par les “grandes oreilles” pro-Kadhafi figurait Khaled Mehiri, un journaliste libyen de 38 ans qui avait eu le courage de rester en Libye, malgré le harcèlement judiciaire dont il faisait l’objet, comme le révèle aujourd’hui le WSJ.

Mehiri, originaire de Benghazi, avait profité de la libéralisation de l’accès à l’Internet en Libye, en 2004, pour publier ses articles sur différents sites d’information, y compris d’opposition. En 2007, il commençait à travailler pour celui d’Al Jazeera. Ses articles, critiquant le régime de Kadhafi, lui valurent plusieurs procès de la part de proches des services de renseignement, puis d’être condamné, en 2009, pour avoir travaillé avec un média étranger sans y avoir été autorisé. Il venait en effet d’accorder une interview à Al Jazeera où il accusait Abdallah Senoussi, l’un des deux principaux responsables des services de renseignement libyens, d’avoir été présent le jour où 1 200 prisonniers furent massacrés, en juin 1996, dans la prison d’Abu Salim, près de Tripoli.

Je voulais être un journaliste professionnel et libre dans mon pays. Pour cette raison, j’ai décidé de ne pas partir et de continuer mon travail, quelles que soient les circonstances, ou les menaces dont je pourrais faire l’objet.

Accentuant leurs pressions et harcèlements, les services de renseignement accusèrent Mehiri d’espionnage et d’atteintes à la sécurité nationale, ce qui lui valu quelques interrogatoires supplémentaires. Le 16 janvier 2011, deux jours seulement après la fuite du dictateur tunisien Ben Ali, et donc le début du “printemps arabe“, Mehiri était convoqué par Abdallah Senoussi, quelques jours après qu’un cousin de Kadhafi lui ait confirmé que le régime avait accès à ses e-mails : “il a même été jusqu’à préciser la couleur utilisée par mes éditeurs quand ils modifient des passages de mes articles“.

Pour se rendre à la convocation, Mehiri décide de porter un jean, des chaussures de tennis et une vieille veste, un signe d’irrespect dans la culture libyenne, mais destiné à faire comprendre à Senoussi qu’il n’avait pas peur de lui. Leur rencontre dura quatre heures, durant lesquelles le responsable des services de renseignement lui fit comprendre que la Libye avait effectivement besoin d’être réformée, mais qu’il serait préférable qu’il cesse de donner la parole à des opposants, d’autant qu’il pourrait être arrêté, à tout moment, par les autorités. En discutant avec lui, Mehiri s’aperçut qu’il savait tout de lui.

Terroriser un peuple

De fait, son dossier, auquel le WSJ a eu accès, montre qu’il était espionné depuis le mois d’août 2010, au moyen du logiciel Eagle d’Amesys. Les journalistes ont en effet trouvé des dizaines d’e-mails et conversations privées qu’il avait tenues sur Facebook, que les services de renseignement libyens avaient imprimé et qui portaient, en en-tête, “https://eagle/interceptions”. Avant même que ses articles ne soient commandés, ou qu’il ne commence à enquêter, les “grandes oreilles” libyennes connaissaient les sujets qu’il proposait aux rédactions avec lesquelles il travaillait.

La majeure partie des e-mails interceptés avaient été échangés avec d’autres journalistes, dont ceux d’Al Jazeera. On y découvre que Mehiri enquêtait sur des affaires de corruption, sur l’argent que la Libye était prête à rembourser aux victimes de l’IRA – que Kadhafi avait soutenu -, ou que son pays refusait de verser aux victimes du massacre de 1996… Dans un autre des e-mails, il discutait des menaces proférées à son encontre ainsi qu’à celui d’un autre journaliste libyen, auprès d’un chercheur d’Human Rights Watch :

Merci de ne pas révéler mon identité, ce qui pourrait me mettre en danger.

Le 25 février, alors que la Libye avait commencé à se libérer, un autre e-mail était intercepté. Envoyé par un professeur de droit libyenne à Mehiri ainsi qu’à des employés du département d’Etat américain, et des Nations Unies, il proposait à Google de couvrir en temps réel, sur Google Earth, le suivi des évènements en Libye, afin d’aider les rebelles à savoir où se trouvaient les soldats fidèles au régime, de sorte de pouvoir soit les éviter, soit aller les combattre, et donc d’”achever la libération” de la Libye.

Mehiri, lui, ne lisait plus ses e-mails. Ayant couvert les premières manifestation à Benghazi, le 15 février, il avait préféré entrer en clandestinité, afin de protéger sa femme et son jeune fils, persuadé que le régime chercherait à lui faire payer tout ce qu’il avait écrit. Et ce n’est qu’en septembre dernier, après la libération de Tripoli, que Mehiri a refait surface. De retour à Benghazi, il a recommencé, depuis, à écrire pour Al Jazeera.

Pour lui, la décision d’Amesys de vendre à la Libye un système d’espionnage de l’Internet, en dépit du caractère répressif du régime de Kadhafi, est “un acte de lâcheté et une violation flagrante des droits de l’homme“. Paraphrasant Mac Luhan, Mehiri a précisé au WSJ que le médium est le message, et que “la surveillance, en tant que telle, suffit à terroriser un peuple” :

Pour moi, ils sont donc directement impliqués dans les persécutions du régime criminel de Kadhafi.

Une nouvelle “touche” pour Amesys

Dans le contrat proposé à la Libye, Amesys avait fait figurer une mention stipulant que deux ingénieurs français seraient envoyés à Tripoli pour “aider le client de quelque manière que ce soit“. Sur le mur du centre d’interception des télécommunications que le Wall Street Journal avait pu visiter, une affiche mentionnait le n° de téléphone et l’adresse e-mail d’un employé d’Amesys, Renaud R., susceptible de répondre à toute question technique et qui, contacté depuis par le WSJ, a refusé de répondre à ses questions.

Le 31 août dernier, suite aux révélations du WSJ, Renaud R. écrivait, sous le pseudonyme Skorn qu’il utilise pour chatter avec ses amis, que “Khadafi est sans doute un des clients les plus exigeants et intransigeant de ce monde. Ce qui prouve que notre système marche(ait) plutot bien quand même !“.

Interrogé sur le fait que cela portait un coup, en terme d’image, à son entreprise, Skorn répondait laconiquement que “le grand public n’est jamais notre client“, tout en précisant :

par contre, ça nous a déjà généré une touche commerciale pour un pays qu’on ne connaissait pas ! ;-)


PS : lorsque nous avons publié la “liste verte” révélant les noms et pedigrees des figures historiques de l’opposition libyenne espionnées par le logiciel d’Amesys, son attachée de presse nous avait pressé de bien vouloir… anonymiser le fichier, de sorte de masquer le nom de celui de ses employés qui avait rédigé le mode d’emploi du système Eagle. La demande, émanant d’une entreprise qui a justifié le fait d’avoir aidé Kadhafi à espionner ses opposants au motif que c’était “légal“, ne manquait pas de sel. Nous n’en avons pas moins anonymisé le document, car il s’agissait d’un subalterne. Le nom de Renaud R. a, lui, été publié par le WSJ. Bien que chef de projet Eagle à Amesys, nous avons également préféré ne pas mentionner la véritable identité de cet ingénieur en sécurité informatique de 29 ans, non plus que l’adresse du forum de discussion de ses amis.

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http://owni.fr/2011/12/14/al-jazeera-amesys-espionnage-spyfiles-libye/feed/ 11
Amesys écoutait aussi la banque de Ben Ali http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/ http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/#comments Wed, 07 Dec 2011 07:40:38 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=89270

La semaine passée, OWNI révélait en partenariat avec Wikileaks, dans le cadre de l’opération SpyFiles, que la société française Amesys avait contribué à espionner plus d’une dizaine de “figures historiques” de l’opposition libyenne, dont l’actuel ministre libyen de la culture, ainsi que l’ambassadeur de la Libye à Londres. Leurs noms ou adresses e-mails figurent en effet sur une capture d’écran, que nous avons désanonymisée, à l’intérieur d’un document décrivant le mode d’emploi d’Eagle, un système de surveillance “massif” de l’Internet vendu par Amesys à la Libye de Kadhafi.

Bruno Samtmann, directeur commercial d’Amesys, cherche aujourd’hui à se dédouaner en expliquant, à France TV que son système a été créé pour identifier les pédophiles, laissant entendre que le nouvel ambassadeur de la Libye à Londres serait peut-être un pédophile, voire un narco-trafiquant…

En outre, d’autres captures d’écran du système Eagle révèle que ses utilisateurs ont également cherché à identifier “tous les employés” d’une banque tunisienne, qu’on y trouve ainsi des dizaines d’adresses mail et de courriels échangés par plusieurs de ses employés (essentiellement des femmes), ainsi que des reçus envoyés automatiquement par les robots de la banque, ou encore par le système SWFIT de transferts interbancaires… que l’on pourrait difficilement suspecter de pédophilie.

La page 11 du manuel est censée expliquer comment le “superutilisateur” du système assigne des tâches aux opérateurs chargés de faire le tri dans les télécommunications interceptées. Or, on peut y lire  :

merci d’identifier tous les employés de cette banque

La BIAT est la Banque internationale arabe de Tunisie, l’une des plus importantes institutions financières en Afrique du Nord, et la première banque privée tunisienne.

Les pages qui suivent, dans le manuel, sont ainsi truffées d’adresses e-mail de type prénom.nom@biat.com.tn, mais également de nombreuses adresses en @yahoo.fr, @gmail.com, @hotmail.com, @voila.fr, @wanadoo.fr ou @laposte.net… sans que l’on sache trop s’il s’agit de clients, ou bien d’employés, ni s’il s’agit de Français ou bien de francophones :

On y trouve également un e-mail de confirmation (en français) d’un virement SWIFT envoyée par la BIAT à l’un de ses clients libyens :

Contactée, la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), qui fournit des services de messagerie standardisée de transfert interbancaire à plus de 9700 organismes bancaires, établissements financiers et clients d’entreprise dans 209 pays, confirme que “l’email envoyé par la banque BIAT fait bien référence à une transaction effectuée sur le réseau SWIFT” :

Il s’agit en fait d’une communication entre la banque et son client dont l’objet est la confirmation de l’exécution d’une opération demandée par le client. Il s’agit là d’une procédure classique : la banque opère pour le compte d’un client qui n’est pas lui-même connecté à SWIFT et lui envoie ensuite confirmation de la bonne réalisation de l’opération.

Interrogée pour savoir si cela constituait une violation de la sécurité de SWIFT, le réseau interbancaire tient à préciser qu’”en aucun cas la sécurité et la confidentialité des informations qui transitent par le réseau SWIFT ne sont affectées“. A contrario, elle précise également que la banque gagnerait à sécuriser ses communications :

L’utilisation d’un canal d’échange de type mail non sécurisé pour effectuer cet échange ne dépend pas de SWIFT lui-même, mais relève du domaine de responsabilité de la banque BIAT. Toutefois, Il faut noter que celle-ci prend la précaution de n’envoyer à son client qu’une copie de l’acquittement technique de remise du message au réseau (d’où le nom du fichier en pièce jointe Ack6429108787 : Ack = Acknowledgement). Cet acquittement ne contient que des données techniques relatives à la transmission du message (horodatage, référence unique de transfert ..) mais ne contient pas le message en lui-même. Cet acquittement délivré par le réseau SWIFT donne la preuve au client de la bonne prise en compte de son opération et peut être utilisé en cas de litige avec la contrepartie.

Cet échange de mail ne remet donc pas en cause la confidentialité de l’opération réalisée par la banque sur le réseau SWIFT. Si cet échange est au-delà du domaine d’intervention et de responsabilité de SWIFT, ce dernier peut néanmoins conseiller à la banque BIAT d’utiliser un réseau sécurisé pour communiquer ce genre d’informations à ses clients.

Qui a espionné la banque de Ben Ali ?

Créée par Mansour Moalla, l’ancien ministre des finances de Bourguiba limogé par Ben Ali, la BIAT était passée sous le contrôle du groupe des frères Mabrouk (dont Marouane, marié à Cyrinne, l’une des filles de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali) qui, fort de leur trésorerie alimentée par les super et hypermarchés Monoprix, avait acquis 24% du capital, pour 47,5 millions d’euros cash, en 2006. En septembre 2007, elle ouvrait un bureau de représentation à Tripoli.

En octobre 2008, le groupe Mabrouk montait à hauteur de 30% ce qui, avec les 8% que détenait l’homme d’affaires Aziz Miled, lui aussi très proche de Ben Ali et du clan Trabelsi, leur donnait la minorité de blocage.

Les captures d’écran désanonymisées montrent que l’espionnage des mails de la BIAT a été effectué dans la foulée, d’octobre 2008 à début 2009.

Suite à la fuite de Ben Ali, en 2011, le Conseil du marché financier (CMF) tunisien a publié un communiqué de la BIAT révélant que la banque avait financé 26 sociétés et 10 groupes appartenant à des proches ou membres de la famille de Ben Ali, à concurrence de près de 350 millions de dinars, soit près de 180 millions d’euros, représentant 6,5% du total des engagements de la banque.

En réponse à notre enquête, la société Amesys a envoyé un communiqué interne à tous ses salariés, que Reflets.info s’est procuré, et qui cherche à se dédouaner :

Les copies d’écrans qui figurent dans le manuel d’utilisation ont été fournies exclusivement par le client.

Outre le caractère somme toute cocasse de cette tentative de justification (il est relativement rare qu’une entreprise demande à son client de l’aider à réaliser le mode d’emploi du produit qu’elle lui a vendu), cette explication ne tient pas pour les dizaines d’adresses e-mails des employés de la BIAT. Comment, en effet, le système Eagle de surveillance de l’Internet, installé en Libye, aurait-il pu intercepter des mails échangés entre employés d’une banque tunisienne ? Sauf à imaginer que le trafic Internet de la Tunisie transite par la Libye, on peine à comprendre comment les utilisateurs d’Eagle, à Tripoli, auraient pu espionner des Tunisiens écrivant à des Tunisiens, ce que reconnaît d’ailleurs la porte-parole d’Amesys qui, interrogée à ce sujet, reconnaît que cela aurait effectivement été “techniquement impossible“.

Amesys a certes vendu son système Eagle a plusieurs autres pays au Moyen-Orient, mais rien n’indique qu’il ait jamais été vendu à la Tunisie de Ben Ali. Et il est d’autant plus improbable que les captures d’écran aient été faites en Tunisie qu’au moment de la rédaction du manuel, entre la fin 2008 et le mois de mars 2009, Eagle venait tout juste d’être installé à Tripoli.

Des dizaines de Tunisiens, utilisant des adresses e-mails de prestataires tunisiens, français et américains, ont donc été espionnés, et le contenus de leurs e-mails, ainsi que leurs contenants (qui écrit à qui, quand, au sujet de quoi ?), ont été “analysés“, entre la fin 2008 et début 2009, au moment même où le groupe Mabrouk finalisait sa prise de contrôle de la BIAT, par un utilisateur non-identifié du logiciel d’Amesys. Reste donc à savoir par qui, et pour quoi la Libye, Amesys ou encore les services de renseignement français (Amesys se présente comme le principal fournisseur de solutions d’interception des communications des ministères de la Défense et de l’Intérieur) se seraient ainsi intéressés aux employés de la BIAT à ce moment-là.


Photo et illustration Loguy pour Owni /-) et Abode of Chaos [cc-by] via Flickr

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http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/feed/ 8
Réfugiés sur écoute http://owni.fr/2011/12/01/amesys-bull-eagle-surveillance-dpi-libye-wikileaks-spyfiles-kadhafi/ http://owni.fr/2011/12/01/amesys-bull-eagle-surveillance-dpi-libye-wikileaks-spyfiles-kadhafi/#comments Thu, 01 Dec 2011 12:35:31 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=88393

Ils sont poètes, journalistes, écrivains, historiens, intellectuels, et ont entre 50 et 70 ans. La plupart occupait un rôle clé dans les réseaux de l’opposition libyenne. Récemment, sept d’entre-eux vivaient encore en exil : quatre au Royaume-Uni, deux aux Etats-Unis, un à Helsinki. L’un d’entre-eux a été désigné, en août dernier, ambassadeur de Libye à Londres. Un autre faisait partie des 15 membres fondateurs du Conseil national de transition (CNT), créé en mars 2011 pour coordonner le combat des insurgés. Il a depuis été nommé ministre de la culture.

Tandis qu’elles résidaient en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les correspondances électroniques de ces personnalités ont toutes été espionnées par les systèmes de surveillance d’Amesys, un marchand d’armes de guerre électronique français intégré au groupe Bull.

Ainsi qu’OWNI l’a découvert en travaillant en partenariat avec l’organisation Wikileaks, qui dévoile ce jeudi près de 1 100 documents provenant des industriels de la surveillance massive et de l’interception des télécommunications auxquels la société Amesys appartient. Ces nouvelles fuites montrent un marché de la surveillance de masse apparu en 2001 et représentant désormais 5 milliards de dollars, avec des technologies capables d’espionner la totalité des flux internet et téléphoniques à l’échelle d’une nation. Ces matériels, pour l’essentiel, sont développés dans des démocraties occidentales et vendues un peu partout, notamment à des dictatures comme on a pu le découvrir à l’occasion du printemps arabe. Contactés dans le cadre de cette enquête, les responsables de la société Amesys nous ont adressé la réponse suivante :

Amesys est un industriel, fabricant de matériel. L’utilisation du matériel vendue (sic) est assurée exclusivement par ses clients. Amesys n’a donc jamais eu accès à l’exploitation faite du matériel vendu en Libye.

Cependant, les pseudos ou adresses e-mails de ces opposants libyens, ainsi que ceux de deux fonctionnaires américains et d’un avocat britannique, apparaissent nommément dans le mode d’emploi du système Eagle de “surveillance massive” de l’Internet, “à l’échelle d’une nation“, rédigé en mars 2009 par des employés d’Amesys.

OWNI avait révélé en juin dernier que ce système de surveillance de toutes les communications internet (mail, chat, sites visités, requêtes sur les moteurs de recherche…), avait été vendu à la Libye de Kadhafi, ce que le Wall Street Journal et la BBC avaient confirmé cet été, mais sans que l’on puisse alors en évaluer les conséquences.

La page 52 du manuel visait initialement à expliquer aux utilisateurs d’Eagle qu’on ne peut pas cartographier les relations de plus de 80 “suspects“. La capture d’écran associée, une fois désanonymisée, révèle ainsi une quarantaine de pseudonymes, adresses e-mail et numéros de téléphone ; la barre de défilement, à droite, laissant penser que le document d’origine en comportait au moins deux fois plus :

Nous avons mis plus de deux mois à identifier à qui correspondaient ces adresses e-mails et pseudonymes, et pour contacter leur propriétaire. Et, de fait, Annakoa, l’homme au plus de 80 contacts qui dépasse donc le nombre de “suspects” que peut traiter le logiciel Eagle, avait beaucoup de relations. Et pas n’importe qui.

Ici Londres

Annakoa est le pseudonyme de Mahmoud al-Nakoua, un intellectuel, journaliste et écrivain libyen de 74 ans, co-fondateur du Front national pour le salut de la Libye (NFSL), le mouvement d’opposition libyen le plus important, après celui des Frères musulmans. Considéré comme l’un des “pères fondateurs” de l’opposition libyenne en exil, il vivait en Grande-Bretagne depuis 32 ans, au moment où il était espionné par les systèmes d’Amesys. Il a depuis été nommé, en août dernier, ambassadeur de la Libye à Londres par le CNT.

Présent également dans cette liste de personnes surveillées, Atia Lawgali, 60 ans, fait partie des 15 membres fondateurs du comité exécutif du CNT, qui l’a depuis nommé ministre de la culture.

Également sous la surveillance des appareils d’Amesys, Aly Ramadan Abuzaakouk, 64 ans, qui anime une ONG de défense des droits de l’homme, libyaforum.org, basée à Washington, où il vivait en exil depuis 1977, a reçu 269 000 dollars du National Endowment for Democracy (NED), une ONG financée par le Congrès américain afin de soutenir ceux qui luttent pour la démocratie, qui le qualifie de “figure de proue du mouvement pro-démocrate libyen“.

Placé, en 1981, sur la liste des personnes à “liquider” par les nervis de Kadhafi, Abdul Majid Biuk avait lui aussi trouvé asile politique aux États-Unis, où il est aujourd’hui principal d’une école islamique. L’ONG qu’il avait créée, Transparency-Libya.com, a de son côté reçu 269 000 dollars du NED.

Lui aussi suivi à la trace par la technologie vendue à Kadhafi, Ashour Al Shamis, 64 ans, vivait en exil en Grande-Bretagne, d’où il animait Akhbar-libya.com, un site d’information anglo-arabe qui lui aussi par le NED, à hauteur de 360 000 dollars.

Sabotages et espionnages électroniques

Akhbar-Libya.com, tout comme Transparency-Libya.com, n’existent plus : les opposants libyens en exil ont ceci en commun qu’une bonne partie de leurs boîtes aux lettres électroniques ont été piratés, et que leurs sites ont tous été “détruits“, plusieurs fois, par des pirates informatiques à la solde de la dictature libyenne. Et c’est aussi pour “restaurer et sécuriser (leur) site web contre les attaques virtuelles destinées à les détruire” que le NED les avait financés.

Après s’être attaqué à leurs sites, et piraté leurs boîtes aux lettres e-mails, les services de renseignement de Kadhafi décidèrent d’aller encore un peu plus loin, en achetant à Amesys son système de surveillance de l’Internet, afin de savoir avec qui ils correspondaient. Ce pour quoi deux employées du NED apparaissent dans la liste des adresses e-mails ciblées : Hamida Shadi, en charge des subventions concernant la Libye, et Raja El Habti, qui était alors l’une des responsables du programme Moyen Orient & Afrique du Nord.

Désireux d’engager des poursuites contre les premiers piratages, Shamis était de son côté entré en contact avec Jeffrey Smele, un avocat britannique spécialiste de l’Internet et du droit des médias. Smele est aussi l’avocat du Bureau of Investigative Journalism (BIJ), une ONG britannique de journalisme d’investigation avec qui nous avons travaillé sur ces dernières fuites de WikiLeaks. Et c’est peu dire que nos confrères ont découvert avec stupeur que Jeffrey Smele figurait en deuxième position sur la liste verte des personnes surveillées pour avoir cherché à défendre Shamis contre les piratages libyens.

Les anglo-saxons ne sont pas les seuls à avoir pâti de cette surveillance électronique. Et plusieurs des Libyens, vivant en Libye et proprement identifiés dans la “liste verte“, ont été directement menacés du fait de leurs communications Internet :

Yunus Fannush, dont le frère fut pendu par Kadhafi, avait ainsi été personnellement convoqué par Moussa Koussa, l’ancien patron des services secrets libyens. Ce dernier lui montra plusieurs e-mails échangés avec des opposants à l’étranger, ainsi que la liste des pseudos qu’il utilisait pour écrire des articles publiés à l’étranger.

Ahmed Fitouri, un journaliste qui avait passé 10 ans dans les geôles libyennes, pour avoir fait partie du parti communiste, fut quant à lui arrêté par les autorités alors qu’il devait rencontrer une personne avec qui il n’était en contact que par e-mail.

Mohamed Zahi Bashir Al Mogherbi, qui avait fait ses études aux États-Unis, et qui dirigeait le département de sciences politiques de l’université de Benghazi, avait de son côté demandé à ses amis en exil de cesser tout contact Internet avec lui après avoir, lui aussi, été menacé par les autorités.

Ramadan Jarbou, écrivain, chercheur et journaliste installé à Benghazi, a eu plus de chance. Comme il l’avait raconté l’été dernier à Libération, il a “profité au maximum” de sa relation privilégiée avec l’un des fils de Kadhafi, qui l’avait approché pour faire partie de son équipe de réformateurs, pour feinter le régime et “écrire des articles sous pseudonyme publiés sur des sites de l’opposition en exil“, ceux-là même que finançaient le NED sans que, apparemment, il n’ait été inquiété.

Un système anti-WikiLeaks

Dans le communiqué de presse qu’Amesys avait publié début septembre, la filiale de Bull avait écrit que son système, installé en 2008, s’était contenté d’analyser “une fraction des connexions internet existantes” en Libye, et avait tenu à rappeler que :

Toutes les activités d’Amesys respectent strictement les exigences légales et réglementaires des conventions internationales, européennes et françaises.

En l’espèce, le manuel d’Eagle apporte la preuve qu’Amesys a, sinon violé les “exigences légales et réglementaires des conventions internationales, européennes et françaises“, en tout cas espionné des figures de l’opposition libyenne vivant, notamment, au Royaume-Uni et aux États-Unis, un avocat britannique et deux salariées d’une ONG financée par le Congrès américain… On est donc bien loin de l’analyse d’”une fraction des connexions internet existantes” en Libye.

En mars 2011, Amesys était par ailleurs fière d’annoncer le lancement de BullWatch, un “système anti-WikiLeaks unique au monde” de prévention des pertes de données destiné à “éviter la propagation non maîtrisée de documents sensibles“.

Pour le coup, Amesys n’a même pas été en mesure de protéger correctement ses propres informations sensibles. Dans le fichier interne à la société sur lequel nous avons travaillé, les références des personnes espionnées avaient été anonymisées, mais grossièrement. Pour parvenir à les faire émerger, nous n’avons pas eu besoin de recourir aux services de la crème des experts en matière de hacking. Il nous a suffit de cliquer sur les images “anonymisées” avec le bouton droit de sa souris, de copier lesdites images, puis de les coller dans un éditeur graphique… pour faire disparaître les caches apposées sur l’image. Ce que tout un chacun pourra vérifier en consultant le fichier (voir ci-dessous).

Amesys ne se contente pas de vendre à des dictatures ses appareils de surveillance tous azimuts d’Internet. En octobre dernier, OWNI racontait que cette entreprise très dynamique équipe aussi les institutions sécuritaires françaises. Les comptes-rendus des marchés publics montrent la vente d’au moins sept systèmes d’interception et d’analyse des communications. Mais ni Matignon, ni les ministères de la Défense et de l’Intérieur n’ont daigné répondre à nos questions.

La porte-parole de Bull est la fille de Gérard Longuet, ministre de la Défense qui, le 13 juillet 2001, a élevé Philippe Vannier, l’ex-PDG d’Amesys devenu celui de Bull, au grade de chevalier de la légion d’honneur“. Et cet été, le Fonds stratégique d’investissement (partiellement contrôlé par l’État) est arrivé au capital de la société.


Retrouvez notre dossier sur les Spy Files :

- La surveillance massive d’Internet révélée

- La carte d’un monde espionné

Retrouvez nos articles sur Amesys.

Retrouvez tous nos articles sur WikiLeaks et La véritable histoire de WikiLeaks, un ebook d’Olivier Tesquet paru chez OWNI Editions.



@manhack (sur Twitter), jean.marc.manach (sur Facebook & Google+ aussi) .

Vous pouvez également me contacter de façon sécurisée via ma clef GPG/PGP (ce qui, pour les non-initiés, n’est pas très compliqué). A défaut, et pour me contacter, de façon anonyme, et en toute confidentialité, vous pouvez aussi passer par privacybox.de (n’oubliez pas de me laisser une adresse email valide -mais anonyme- pour que je puisse vous répondre).

Pour plus d’explications sur ces questions de confidentialité et donc de sécurité informatique, voir notamment « Gorge profonde: le mode d’emploi » et « Petit manuel de contre-espionnage informatique ».

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http://owni.fr/2011/12/01/amesys-bull-eagle-surveillance-dpi-libye-wikileaks-spyfiles-kadhafi/feed/ 44
Un soldat privé de Libye http://owni.fr/2011/10/21/libye-cnt-secopex-martinet-benghazi/ http://owni.fr/2011/10/21/libye-cnt-secopex-martinet-benghazi/#comments Fri, 21 Oct 2011 11:09:49 +0000 Pierre Alonso et Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=84221

Pierre Martinet, le 18 octobre à Paris.

Pierre Martinet était à Benghazi pour la Secopex, la société militaire privée française dont le directeur Pierre Marziali, a été tué le 11 mai au soir, dans ce bastion de la rébellion libyenne. Ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il travaille depuis plusieurs années dans le secteur privé. Pour OWNI, il revient sur les conditions de la mort de Pierre Marziali et sur ses dix jours de détention à Benghazi.

Pourquoi étiez-vous en Libye ?

Nous étions là-bas parce que dès le début de la rébellion, plutôt vers le 14 février que le 17, Pierre Marziali (le directeur de la société militaire privée Secopex, NDLR) m’a contacté. Il voulait créer un bureau sur place et proposer les services de sa société aux rebelles. Fin mars, Marizali a pris la décision d’y aller en réunissant des fonds pour y rester deux mois. Il m’a proposé de diriger cette mission et d’ouvrir le futur bureau sur place. Nous proposions plusieurs services : du conseil militaire et stratégique, de la formation, des escortes et la sécurisation du pipe-line entre Koufra (dans le Sud) et Benghazi.

Comment vous êtes-vous rendus sur place ?

Nous étions une équipe de trois personnes, arrivées le 17 avril au Caire et le 18 à Benghazi. Nous n’avions aucun contact sur place. Marziali ne faisait pas partie de cette première équipe. Dès le lendemain de notre arrivée, nous nous sommes présentés au CNT (le Conseil national de transition, NDLR). Progressivement on a rencontré Abdel Hafiz Ghoga, le numéro 2 du CNT, puis un général proche du général Fatah Younes. Nous avons eu un sauf-conduit du CNT et une personne nous a ouvert des portes. C’était de la prospection. Un rendez-vous était prévu avec Ghoga le 12 mai pour convenir d’un contrat.

Marziali est arrivé en Libye avec un adjoint pour ce rendez-vous. Nous nous sommes retrouvés le 11 vers 13 heures à la frontière libyenne. Vers 20h30, nous sommes arrivés à la villa dans laquelle on habitait à Benghazi. Nous sommes ensuite allés dans un restaurant où on avait l’habitude de dîner et sommes sortis vers 23h. Alors qu’on rentrait à pied, un 4×4 pick-up avec un bitube de 14.5 sur le toit nous a mis en joue. Un convoi de plusieurs voitures l’accompagnait. 20 à 25 personnes cagoulées en sont sorties et nous ont obligés à nous allonger à plat ventre, les mains attachées dans le dos. Un coup de feu a retenti. J’ai entendu Marziali dire « Je suis touché ». Ses yeux se sont fermés. Ils nous ont ensuite bandés les yeux et emmenés.
Le convoi faisait partie de la Katiba (la brigade) du 17 février qui est suspecté d’être impliquée dans l’assassinat de Fatah Younes.

Où vous ont-ils emmenés ?

Dans une caserne. Ils nous ont déshabillés et emprisonnés chacun dans une cellule. J’entendais gueuler, ça tirait de partout. Puis je me suis retrouvé face à deux mecs dans un interrogatoire. L’un d’eux était cagoulé et parlait français. Ils me posaient deux questions : pourquoi vous travaillez pour Kadhafi ? quel est le nom et le numéro de votre contact à Tripoli ? Le type non cagoulé me tabassait. Les autres membres de mon équipe ont aussi été tabassés. Sur l’un d’eux, ils ont posé des électrodes pour simuler une séance de torture.

Deux jours après, le vendredi 13, j’ai de nouveau été interrogé. Le lendemain soir, on nous annonce que nous allons rencontrer Antoine Sivan (le représentant spécial de l’État français auprès du CNT, NDLR). Sivan nous a dit qu’un juge avait été nommé à Benghazi et qu’il voulait enquêter. Entre-temps, nous avions vu une représentante de la Croix-Rouge internationale. Après, les interrogatoires ont continué. Le jeudi suivant, le 19 mai, lors d’un énième interrogatoire, un type nous annonce que nous allions être libérés. La veille de notre libération, vendredi 20, toutes les questions étaient axées sur Ghoga avec qui nous avions rendez-vous le lendemain de notre arrestation.

En fin d’après-midi vendredi, Antoine Sivan est revenu nous voir. Ils nous expulsent. Mais dans la nuit de vendredi à samedi ils nous ont réunis et rassemblés dans une pièce avec chaises et caméras vidéo. Ils nous ont demandé de reconnaître qu’on travaillait pour Kadhafi. Ça a duré quelques heures. Puis au petit matin ils nous ont pris en voiture, nous ont ramenés jusqu’à la frontière égyptienne où ils nous ont remis au vice-consul de l’État français. L’État français nous a offert la chambre pour la nuit.

Pour quelles raisons pensez-vous avoir été arrêtés ?

De précédents voyages de Marziali en Libye en 2006 ont posé problème. Des rivalités existent aussi entre le CNT politique et la Katiba du 17 février. Ils ont réellement douté que nous étions à la solde de Kadhafi.

Etiez-vous en concurrence avec d’autres sociétés militaires privées sur ces contrats en Libye ?

J’ai appris qu’une société française était également sur place, Risk and Co, mais je n’en sais pas plus.


Photo OWNI Ophelia Noor [by-nc-sa]

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Les mauvais comptes libyens de François Fillon http://owni.fr/2011/08/08/libye-armement-defense-les-mauvais-comptes-de-francois-fillon/ http://owni.fr/2011/08/08/libye-armement-defense-les-mauvais-comptes-de-francois-fillon/#comments Mon, 08 Aug 2011 06:24:24 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=75217

La France n’a jamais eu une coopération d’ampleur avec la Libye en matière de défense et d’armement, par comparaison à d’autres fournisseurs plus importants.

Le Premier ministre l’a affirmé le 26 juillet en réponse à une question écrite du député du Nord Jean-Jacques Candelier. Sur quels chiffres s’appuie-t-il ? Contacté par OWNI, Matignon botte en touche : “Ça concerne le MAE (ministère des Affaires étrangères) et le ministère de la Défense”. Ce dernier suggère les chiffres de livraison car “ils sont plus concrets” et renvoie à son tour vers la Direction Générale de l’Armement, incapable de répondre avec certitude : “Il s’agit de petites sommes.”

Avec 72 millions de matériel militaire livré à la Libye entre 2007 et 2009, la France est sur la troisième marche du podium européen, après Malte (80 millions) et l’Italie (74,5 millions). Un gouffre sépare le trio de tête des suivants ; le montant des livraisons du quatrième exportateur européen, le Portugal, ne s’élèvant qu’à 11 millions d’euros.

François Fillon se référait-il aux montants des licences autorisant l’exportation de matériel militaire (AEMG) ? Entre 2005, soit trois mois après la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Libye, et 2009, Paris a délivré de telles licences pour un montant de 210 millions d’euros. La France se classe ainsi deuxième exportateur européen derrière l’Italie (277 millions), loin devant la Grande-Bretagne, troisième exportateur pour un montant de 119 millions d’euros.

Qu’en est-il des prises de commande ? C’est sur ce chiffre que le ministre de la Défense s’était appuyé pour présenter “les performances françaises en matière d’exportations d’armement” en réponse à une question écrite du député de Meurthe-et-Moselle Hervé Féron. Contrairement aux AEMG et aux livraisons, le journal officiel de l’Union européenne ne publie pas le montant des prises de commande pour tous les États membres.

Selon le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, publié tous les ans par le ministère de la Défense, les prises de commande libyenne d’armement français se chiffrent à 316 millions d’euros entre 2007 et 2009, dont 296 millions passées en 2007, année de libération des infirmières bulgares et de la visite de Kadhafi à Paris. C’est ainsi que la France, deuxième ou troisième exportateur européen d’armes à la Libye, “ne peut pas être considérée comme un fournisseur important d’armement de la Libye”

La licence inconnue

La procédure d’exportation de matériel militaire se décompose en quatre étapes en France. Un agrément préalable (AP) est délivré avant la prise de commande (CD). Une commission interministérielle autorise ou non l’exportation en attribuant une AEMG, équivalent d’une “autorisation de sortie” nous explique-t-on à la DGA, puis intervient la livraison du matériel (LV). Soit, en résumé : AP > CD > AEMG > LV.

Chose étonnante, deux AEMG ont été délivrées en 2005 pour un montant de 12,875 millions d’euros ainsi que 17 AEMG en 2006 pour un montant de 36,647 millions d’euros. Aucune prise de commande n’est mentionnée ces années-là. À OWNI, la DGA explique qu’il s’agit “d’AETMG, de licences temporaires, qui concernent l’envoi de matériel pour des démonstrations”. 17 AETMG ont ainsi été délivrées en 2005 et 1 AETMG en 2005. Reste donc une licence en 2005. Pour la DGA, elle est liée à “des contrats passés dans les années 1980″, sans donner plus de précision.


Crédits photo FlickR CC by-nc-sa Dunachaser

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Parias du printemps arabe http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/ http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/#comments Wed, 06 Jul 2011 06:55:02 +0000 Edgar C. Mbanza http://owni.fr/?p=72406 Ce sont des Soudanais, des Erythréens, des Ethiopiens oromo, des Somaliens, des individus et des familles bénéficiant du statut de réfugiés : ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine et sont aujourd’hui “coincés” à la frontière libyenne. Ce sont souvent ces populations qui tentent de rejoindre l’Italie espérant bénéficier de meilleures conditions d’exil…

Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, 14.000 migrants africains ont tenté de rejoindre les côtes européennes par bateau, essentiellement depuis la région de Misrata dans la partie libyenne contrôlée par les opposants au pouvoir de Tripoli. Pas plus tard que le 11 juin dernier, plus de 1500 migrants africains, dont 135 femmes et 22 enfants, sont arrivés en Italie à bord de sept bateaux.

Les naufrages en mer seraient “plus fréquents qu’on ne le dit“, d’après une chercheuse italienne bénévole auprès d’une association qui accueille régulièrement les rescapés de la mer à Lampedusa, petite île italienne. Les chiffres actualisés des disparus manquent en effet ; en mai, les associations (comme la Fédération Internationale des Droits de l’homme) estimaient à plus de 1200 le nombre d’individus avalés par la Méditerranée depuis le début du conflit en Libye.

Bousculades, évanouissements, noyades

Au début du mois de juin, environ 270 candidats à l’exil ont disparu après que leur chalutier a coulé sous le poids d’une mer déchainée, près des îles Kerkennah, un archipel tunisien. La chercheuse qui a pris en charge quelques migrants ayant survécu à ce drame et réussi à atteindre l’Italie raconte :

Pendant deux jours, le bateau surchargé a tangué en mer. Les conditions climatiques étaient difficiles. Des gens sont morts, beaucoup sont tombés à l’eau. La panique a fait des dégâts aussi, à cause de bousculades et d’évanouissements, chez les enfants et les femmes notamment.

Les 600 Africains repêchés après ce naufrage ont été renvoyés dans le camp de Choucha, situé à proximité de la frontière tuniso-libyenne, à plus de 300 km de Sfax, en Tunisie. Faut-il noter aussi que beaucoup de travailleurs migrants qui se trouvaient Libye avant la guerre ont été rapatriés dans leur pays d’origine, grâce à l’Organisation Internationale des Migrations (OMI) et à la réactivité de leurs ambassades.

Ceux qui restent bloqués dans la région sont, comme le confirment le HCR, l’OMI et les associations que nous avons interrogés, originaires des zones en guerre de la Corne de l’Afrique et du Soudan. Ils sont déjà placés, sur papier, sous protection juridique des Nations Unies, pour la plupart.

Mais la situation effective est autre : le commissariat onusien se trouve dans l’incapacité de protéger de façon effective ces populations, pour le moment…

Que se passe-t-il en réalité ? Seules l’Égypte et la Tunisie pourraient les accueillir ; or, dans ces pays, seuls les réfugiés libyens peuvent pénétrer sur le territoire de ces deux pays. Les autres “sont maintenus à la frontière, c’est-à-dire à la douane“, nous confirme Geneviève Jacques de la FIDH. Là, dans ces zones de transit, les conditions de vie sont catastrophiques : extrême précarité des abris, des soins, de la nourriture et du contexte administratif, d’après la totalité des témoignages. L’Égypte, par exemple, continuerait même de faire pression pour que les campements de fortune qui hébergent ces migrants soient évacués le plus vite possible, toujours en refusant de permettre leur réinstallation dans le pays.

Ce sont des individus “doublement réfugiés” comme l’écrit une note de la FIDH. Selon Geneviève Jacques :

Ils ne peuvent être accueillis que par les pays tiers puisque les leurs sont en guerre. Mais, regardez sur la carte de l’Afrique: aucun pays n’est un territoire de protection. Peut-être certains pays du Moyen-Orient. Et l’Europe…

Il est surtout hors de question pour ces réfugiés de retourner en Libye. Les témoignages recueillis par les associations et les journalistes sont unanimes : dans les zones rebelles, les ”Noirs“, accusés d’être de mèche avec les kadhafistes, ont été “battus, spoliés, parfois violés et tués“.

Exactions contre les immigrés en Libye

Une mission de la FIDH partie en mai dernier à la frontière égypto-libyenne (Salloum) s’apprête à publier un rapport complet dont une présentation est déjà disponible en ligne (ici). Les enquêteurs de l’organisation y confirment des violences à caractère raciste, “des témoignages concordants et unanimes des exactions“, nous confirme Jacques Geneviève, alors membre de la mission. Ils écrivent que “l’amalgame noirs=mercenaires est désormais le prétexte d’insultes, de licenciements sans paiement, de passages à tabac et d’attaques de la part de groupes armés non identifiés” en Libye contrôlée par les rebelles. Des dépositions de viols ont aussi été recueillies. ”La Cour Pénale Internationale a confirmé son intention de poursuivre [les auteurs] ces exactions, dans la foulée de l’ouverture du dossier Kadhafi“, se réjouit Jacques Geneviève, tout en précisant qu’aucune enquête n’est pour le moment diligentée officiellement à la Cour internationale de La Haye sur cet aspect précis.

L’imbroglio humanitaire et sécuritaire dont sont victimes ces réfugiés africains paraît aussi comme la conséquence des politiques de gestion des flux migratoires, mises en place ces dernières années par l’Union Européenne qui a collaboré et octroyé un rôle central à la Libye de Kadhafi.

Dans le cadre de sa politique de délocalisation des camps de rétention, Bruxelles faisait de Tripoli un partenaire privilégié jusqu’à la veille du conflit. L’UE négociait même avec le dictateur libyen, l’année dernière, un fonds de plusieurs milliards, de l’argent destiné à renforcer “la lutte contre les migrations irrégulières“. Pourtant, cela faisait des années que les ONG dénonçaient les conditions d’enfermement dans ces camps de rétention en Libye, sachant que le pays n’a jamais ratifié la Convention de Genève, un pays où de surcroit aucun système local ne garantit le droit d’asile.

D’après plusieurs sources, une partie importante des migrants, aujourd’hui coincés à la frontière libyenne, vivaient déjà des conditions difficiles dans le pays, dans les exploitations champêtres ou dans les camps où il était, dans tous les cas, difficile de faire prévaloir ses droits ou d’effectuer la procédure de demande d’asile…

Un ancien sous-officier militaire libyen exilé aujourd’hui dans le Sud de la France affirme que les humanitaires n’avaient aucun droit de les suivre “une fois dedans“, dans ces prisons pour migrants, et que parmi ces derniers, ceux qui restaient longtemps dans le pays faute de pouvoir retourner chez eux, travaillaient dans les champs. “Et Kadhafi menaçait de lâcher ces noirs sur l’Europe, sous forme de chantage, c’est vrai, il en avait beaucoup“, commente l’ancien soldat.

Exploités par ici, brandis comme objets de marchandages, accusés plus tard d’être des mercenaires par-là, filtrés à la frontière et refusés de séjour dans la région, ces réfugiés subsahariens ont aujourd’hui peu de marges de manoeuvre. ”Beaucoup rêvaient d’une occasion de se jeter à la mer“, se souvient l’ex-sous-officier.


Article initialement paru sur Youphil
Crédits Photo FlickR CC by-nc-nd Guerric / CC by B.R.Q.

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