OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Blogueuses ne rendez pas le web sexiste http://owni.fr/2011/03/08/blogueuses-ne-rendez-pas-le-web-sexiste-8-mars-journee-femme/ http://owni.fr/2011/03/08/blogueuses-ne-rendez-pas-le-web-sexiste-8-mars-journee-femme/#comments Tue, 08 Mar 2011 10:44:09 +0000 Aliocha http://owni.fr/?p=49879 [petits cadeaux sonores inside] C’est en jetant un coup d’oeil aux sites qui renvoyaient vers ce blog que j’ai découvert cet article de Rue89. Ainsi le web serait sexiste ! La preuve ? Pas un blog tenu par une fille ne figure dans le classement wikio des blogs politiques. Mais comment donc, même pas moi ? Eh non, on m’a classé dans « société ». Mince alors, c’est tellement vaste que j’y suis perdue ! Il ont dû le faire exprès, quand ils ont compris qu’Aliocha, diminutif russe masculin, dissimulait en réalité… Une femme ! Donc la toile est sexiste, et wikio aussi. En voilà une découverte. Toujours est-il que les féministes se plaignent. Et les blogueurs ricanent. On ne peut pas leur donner tout à fait tort. D’abord, comment elles le savent qu’il n’y a pas de femmes? Les intitulés des blogs ne sont pas forcément très explicites quant au sexe de leur auteur.

Tenez par exemple, rien que le number 1 des blogs politiques, « Partageons mon avis », il est drôlement neutre. L’auteur aurait pu choisir de s’appeler « Robert a des couilles », voilà qui aurait été connoté. Surtout s’il avait annoncé en plus qu’il entendait parler de sexe, de bière et de foot. Mais là, ce n’est pas le cas. Ensuite, il ne leur est pas venu à l’esprit, à mes copines, que s’il n’y a pas de femme dans le classement, c’est peut-être tout simplement parce qu’aucune de nous n’est aussi brillante que les blogueurs en matière politique? Aïe, me voici traître à la cause. Je viens de foncer tout droit dans un tabou. Tant pis, j’assume :

Les blogueuses n’osent pas faire de politique

Quoique… Les femmes n’osent pas aborder les sujets politiques, m’explique-t-on dans le même article. Nous y voilà. Pauvres pitchounes! Il est vrai que les femmes n’ont jamais osé se frotter à la politique, de Nefertiti à Angela Merkel en passant par Jeanne d’Arc, Marie de Medicis, Olympe de Gouges et Margaret Thatcher, toutes se sont cantonnées à filer leur quenouille, c’est bien connu, surtout en ces temps reculés où c’était autrement plus compliqué d’évoluer dans un monde apparemment dominé par les hommes. Je dis bien, « apparemment » tant il est vrai qu’on a oublié l’étendue infinie des pouvoirs que nous détenions quand nous avions la sagesse de n’en revendiquer aucun. Aïe, encore un tabou, je vais mal finir.

Le « beau sexe » blogue aussi

Ah, les filles… les filles….

Je vous aime bien, mais entre nous, ça vous surprend de vous faire traiter sur vos blogs de « salopes » comme vous dites, quand vous positionnez volontairement le débat sur le terrain sexuel, soit en parlant mode, cuisine et bébé jusqu’à la nausée, soit en vociférant justement après ces « salauds de mecs » qui vous empêchent d’exister, franchement? Vous ne croyez pas que vous le cherchez un peu? Notez, j’ai bien failli vous croire. C’est même une des raisons pour lesquelles j’ai opté pour un pseudo masculin en débarquant sur la toile. Je me suis dit : la parole d’un homme est plus crédible que celle d’une femme, en me faisant passer pour l’un d’entre eux, je m’épargnerai la commisération et les blagues sexuelles.

J’avais tout faux. Il y a ici plus de commentateurs que de commentatrices alors qu’ils savent depuis longtemps que j’appartiens à ce qu’autrefois on appelait le « beau sexe ». Et aucun d’entre eux n’a jamais dépassé les limites d’un amusant badinage, dans les cas les plus extrêmes. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce que je ne me positionne pas sur le terrain du genre, justement. Je me pense d’abord comme un être humain, un citoyen (même pas une citoyenne, j’en ai ma claque de la féminisation de tout, de cette guerre qui s’étend jusqu’à la grammaire au point de la rendre ridicule), et ensuite une femme. Il ne s’agit pas d’un reniement, mais d’une hiérarchisation. Je l’aime ma condition, je l’assume pleinement, mais je lui interdis de déborder.

Ma féminité ne prime pas sur mon humanité, elle la teinte, c’est tout.

Et encore, il m’arrive de me demander jusqu’à quel point la réflexion est susceptible d’être sexuée. Il me semble que cela dépend des sujets, des individus, des circonstances et de mille autres paramètres. Voyez-vous ce qui m’inquiète dans votre démarche, c’est votre aveuglement. Vous n’avez pas remarqué qu’on commence à leur faire sérieusement peur aux hommes? Ah mais si, les filles! Sont paumés nos jules. Savent plus s’ils doivent nous inviter au restaurant ou pas, nous proposer de nous raccompagner, nous tenir la porte. Ils se demandent si on les rêve papas poule ou au contraire absorbés par leur carrière, si l’on souhaite qu’ils soient riches et ambitieux ou tendres baladins. Ils finissent même par penser qu’on les veut tout à la fois carriéristes, poètes, machos, soumis, aimants, brutaux, viriles, émotifs, empathiques, indifférents, calmes, passionnés, mystérieux, proches, distants, complices, bref comme hier mais à la mode d’aujourd’hui et capables d’anticiper nos désirs de demain. Même nous, on ne sait plus très bien ce qu’on espère.

Je crois qu’il est temps d’arrêter la guerre. L’évolution vers l’égalité des sexes, ou plus exactement vers la suppression des inégalités sociales qui n’ont pas lieu d’être, cette évolution donc est lancée, plus rien ne l’arrêtera. Sauf peut-être un retour de boomerang si on va trop loin.

Contre-coup (de boomerang)

Mais revenons à notre sujet. Qu’est-ce qui vous chiffonne au juste? Qu’il n’y ait pas assez de femmes en tête des classements de blogs ? Ce n’est pas tout à fait vrai, elle tiennent le haut du podium dans les rubriques « loisirs », « gastronomie » et « scrapbooking » (je ne savais même pas ce que c’était avant de me pencher sur le classement wikio !). Qu’est-ce qu’on y peut si c’est là qu’elles performent ? Vous voudriez quoi? Que la mode devienne un sujet politique majeur? Ce serait ça, le triomphe de la cause des femmes dans la société? Ou bien regrettez-vous de n’avoir pas réussi à hisser un blog féministe en tête des blogs politiques? Et pour quoi faire ? Supprimer les discriminations injustes est utile et nécessaire, mais c’est un combat parmi d’autres. Or, j’ai l’impression que vous tentez d’en faire une vision globale de l’existence. Une grille d’analyse générale. Comme si tout se réduisait à un gigantesque affrontement entre les sexes.

Et ça vous étonne de ne trouver ni chez les hommes, ni même chez la majorité des femmes, un public enthousiaste? Mais on ne la partage pas votre vision du monde, essayez donc de le comprendre! C’est vous qui rendez le web sexiste à votre endroit en vous positionnant délibérément sur le terrain sexuel. Vous vous enfermez toutes seules et vous hurlez ensuite après vos prétendus geôliers. Tout le monde s’en fout du sexe des auteurs sur Internet, c’est même l’un des multiples intérêts de la chose.

Et c’est précisément cela que vous n’avez pas compris.


Image de Une par Marion Kotlarski pour Owni

Article initialement publié le 3 mars sur le blog La Plume d’Aliocha sous le titre “Sexiste le web ? Allons donc…”

Illustration sonore offerte par Nova : l’intégralité de cette production barrée à découvrir toute la journée sur les ondes, ainsi que sur le site www.salondelafemme.org. Diane Bonnot et Fred Tousch, les deux comédiens que vous avez entendus sur les inserts, font partie de la troupe d’Edouard Baer.

Crédits Photo FlickR CC : Mike Licht, NotionsCapital.com / Profound Whatever /

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Margaret Mead, l’oubliée des débats féministes http://owni.fr/2011/03/08/margaret-mead-loubliee-des-debats-feministes/ http://owni.fr/2011/03/08/margaret-mead-loubliee-des-debats-feministes/#comments Tue, 08 Mar 2011 09:30:38 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=50128 Rendons à Cléopatre ce qui lui appartient :

“Qu’il s’agisse de petites ou grandes questions, de parures ou de cosmétiques ou de la place que l’homme occupe dans l’univers, on retrouve toujours la distinction [...] des rôles attribués respectivement aux hommes et aux femmes.

Margaret Mead dans L’un et l’autre sexe, 1949

En 2011, cette réflexion de Margaret Mead n’est absolument pas novatrice. Mais dans les années 1930, les théories ethno-centristes dominent l’Amérique puritaine, bien loin de celles de Margaret Mead. Male and female sort aux USA en 1949 – la même année que Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir – puis en 1966 en France sous le titre L’un et l’autre sexe. L’ouvrage remue les moeurs et est largement contestée par Derek Freeman, anthropologue dont la plupart des travaux ont eu trait à la contestation des travaux de sa consœur. Cette fois le questionnement va plus loin que sa première étude sur la simple question de l’existence d’une adolescence typiquement américaine.

Parmi toutes les femmes qui ont pu apporter leur grain de sel à la société, elle est à présent loin des projecteurs. Pourtant l’anthropologue, poussée par sa grand-mère à observer les comportement des autres depuis son enfance, a oeuvré de façon remarquable pour la “cause féminine”.

Margaret Mead détruisait dans son premier ouvrage, Moeurs et sexualité en Océanie (compilation parue en 1955 de deux de ses premières enquêtes entre 1928 et 1935) l’idée même d’une adolescence spécifique à l’occident. En publiant ses conclusions, elle est mise à l’épreuve de diverses contestations méthodologiques. Mais le plus important reste sans nul doute ce qui motivera le reste de sa carrière : tout est forgé par la société, y compris la différenciation sexuée.

Pour Numa Murard, sociologue et professeur à l’EHESS :

Si la validité de ses observations de terrain et son contenu purement ethnographique peuvent être contestables, le plus important est qu’elle a montré que les femmes et les hommes sont des constructions culturelles [...] et ce n’est pas seulement Margaret Mead qui est contestable. Dans l’âge d’or de l’anthropologie, même Malinowski pourrait l’être : les observateurs venaient des pays industrialisés pour observer des pays non industrialisés. Pourtant ils ont permis une compréhension des sociétés.

Chacun est donc potentiellement contestable à ce moment là de l’histoire des sciences sociales. Ces années charnières sont marquées surtout par l’assertion que l’occident représente l’évolution. Et les autres sociétés siègent au bas de l’échelle. L’évolutionnisme quasi hégémonique en anthropologie (et Darwin) n’est guère loin et influence chaque recherche scientifique de l’époque.

Le féminin n’est pas une essence

Mead estime que les femmes possèdent des talents qu’elles n’utilisent pas et que “la société doit innover pour qu’elles puissent exprimer tout leur potentiel, qu’elles contribuent à la civilisation comme elles participent par ailleurs à la perpétuation du genre humain.» (ibidum).

Mettre les femmes, conditionnées par la société, au même niveau que les hommes, voilà un refrain encore d’actualité dans les propos féministes.
“La variabilité des caractères [des sociétés étudiées par Margaret Mead] permet de voir que le féminin n’est pas une essence” explique Numa Murard. En ça, elle marquera les prémices du féminisme actuel.

Elle puise dans ses recherches d’anthropologue des exemples. Ainsi, elle démontre donc que chaque culture définit les rôles masculins et féminins. Chez certains peuples, les hommes et les femmes ont une personnalité propre à leur civilisation dans laquelle ils ont été élevés. Chez les Mundugumor, les hommes et les femmes ont un tempérament brutal et agressif. Et ce sont ces dernières qui assurent presque entièrement la subsistance du peuple, détestent être enceintes et élever leurs enfants.

Les Arapesh, eux, sont attentifs aux besoins des autres. Et chez les Tchambuli [en], la femme a une place dominante et l’homme se présente comme un être émotif. À chaque société correspond ses caractères sexués dont les fondements se trouvent dans l’éducation.

Si le biologique n’a plus lieu d’être cité dans la construction des sexes, c’est parce que la nature est malléable et “qu’elle obéit aux impulsions que lui communique le corps social” . L’hypothèse de Margaret Mead permet de dégager les principes selon lesquels des types de personnalités différentes ont pu être assignés à des hommes et à des femmes dans l’histoire occidentale : les garçons devront dominer leurs émotions et aux femmes de manifester les leurs. Du pain béni pour justifier les comportements différenciés.

Son terrain ethnologique en Océanie démontre également que dans certaines ethnies, des traits de caractères comme la passivité ou la sensibilité sont typiquement masculins. Concluant que la culture façonne les identités sexuelles, elle constitue pour son époque une figure du culturalisme encore en application dans certains courants féministes et combattra toujours l’éternel “idéal féminin”.

Délaissée par les féministes d’aujourd’hui ?

Pas vraiment reprise par les contemporains, chercheurs ou philosophes, différentes raisons peuvent être avancées. Numa Murard explique que “la première à avoir posé la question du genre reste Margaret Mead, alors qu’on cite la plupart du temps Simone de Beauvoir comme grande initiatrice des questionnements sur le genre”.

Une première explication de son absence des mouvements féministes pour Jules Falquet, maître de conférence en sociologie à l’université Paris Diderot et co-responsable du CEDREF (Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes), “si elle a été très lue à l’époque, les recherches sur la différentiation sexuée et le féminisme se sont développées dans d’autres directions.”

Et une deuxième proposition de la chercheuse, l’imbrication des questions de genres et de classes sociales:

Le féminisme en lui-même n’a guère repris Margaret Mead, et aux Etats-Unis les féministes, notamment les femmes noires, ont montré avec force que le sexe n’était pas la seule caractéristique importante des femmes. Il fallait absolument prendre en compte le racisme et ses effets, et la position de classe de chacune.

Il a fallu mêler les différentes inégalités et ne pas regarder le genre comme seul critère inégalitaire dans la situation féminine. Aller plus loin que ce que Mead avait déjà fait en somme.

Christine Delphy, auteure et chercheuse au CNRS, avance notamment l’absence de prise de position politique de la chercheuse. Malgré tout “elle a été une inspiration pour les féministes [...] et a sans doute joué le rôle d’un déclencheur de l’idée “le sexe est social”. Si Margaret Mead n’a pas pris position et n’a apporté que l’interprétation de ce qu’elle a observé, Simone De Beauvoir s’en est occupée”.

Toutes sortes de raisons ont fait que la chercheuse a été évincée des débats. Aujourd’hui pourtant rien n’est plus actuel que la base des inégalités entre hommes et femmes et le côté culturel des sexes. Elle aurait eu 110 ans cette année, peut-être serait-il temps de relire quelques pages et gagner en modestie pour avancer.

Photo CC Flickr He-Boden, Sean Dreillinger

Image de Une par Marion Kotlarski pour Owni

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