OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Internet n’existe pas http://owni.fr/2011/11/02/internet-nexiste-pas/ http://owni.fr/2011/11/02/internet-nexiste-pas/#comments Wed, 02 Nov 2011 11:03:58 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=85272 Rendons d’abord hommage à l’inventeur de la formule “Les Internets” qui donne le nom à ce blog, George W. Bush. L’ancien Président des États-Unis l’a utilisé à deux reprises, dont la plus mémorable reste cette phrase prononcée pendant un débat avant la présidentielle 2004 :

I hear there’s rumors on the, uh, Internets.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


La phrase est par la suite devenue un “mème”, devenant le symbole de la méconnaissance d’Internet. Pourtant elle traduit une réalité plus convaincante que le terme “l’Internet” quand il est utilisé pour décrire non une technologie mais un espace public. Internet, en tant qu’entité culturelle cohérente, n’existe pas ou tout du moins n’existe plus. Il n’y a pas d’Internet, il n’y a à la rigueur que des Internets.

Internet a existé, ce fut une utopie post-hippie comme l’a montré Dominique Cardon :

Internet s’est ainsi donné comme mythe fondateur, une promesse d’exil et de dépaysement radical. En réanimant l’imaginaire de la Frontière, celui des forêts et des plaines de l’Ouest, le web est apparu à ses fondateurs comme un territoire vierge à conquérir, une contrée indépendante ayant coupé les ponts avec le monde “réél”.

Une “déclaration d’indépendance du cyberespace” fut même écrite en 1996.

Moyen de communication majeur

Puis Internet, à la fin des années 90, s’est massifié et s’est dilué pour devenir un moyen de communication majeur utilisé aujourd’hui par 74% des Français (taux qui monte à 99,4% sur la tranche 15-29 ans). Que signifierait aujourd’hui une déclaration d’indépendance d’Internet alors que la plupart des institutions ont maintenant un site, un Facebook et un Twitter ?

Alors qu’entend-on aujourd’hui par “Internet” quand on utilise ce mot ?

Internet est une double synecdoque, tantôt généralisante (on dit “Internet” mais on ne veut parler que des publications du web 2.0 : blogs, tweets, commentaires), tantôt particularisante (on dit “Internet” mais on parle, souvent sans le savoir, de l’opinion publique). Internet, ancienne extra-territorialité, est revenu dans l’espace public, et tend de plus en plus à se confondre avec celui-ci, à mesure que les outils de publication se démocratisent.

Dire qu’Internet renvoie un stimulus fondamentalement différent de la vraie vie est une illusion, même s’il perdure un héritage de cette culture web d’origine. On a vu dans un précédent post comment la médiatisation des réactions du public peut donner une fausse impression d’une réception plus négative que dans la “vraie vie”. De telle sorte qu’il est absurde de dire, comme l’avait fait Denis Olivennes, qu’Internet est le “tout-à l’égoût de la démocratie”. C’est une mise en visibilité de la démocratie.

À la télévision ou à la radio, de plus en plus d’émissions ont leur chronique “Internet” consacré à “ce qui buzze sur Internet”. Il faut remarquer qu’à chaque fois, les sujets traités sont très différents de ceux qui font la une des médias traditionnels. Cette rubrique Internet, qui semble s’imposer d’elle-même, repose sur un impensé : quel est le sens d’un “buzz” sur le web ? Est-ce le bruit diffus venu d’une autre contrée médiatisée par des avatars de “Laura du web” (donc Internet existe) ? Ou est-ce un agenda médiatique différent dessiné par le public (donc Internet n’existe pas, ce n’est qu’une technique de démocratisation de la publication) ?

Je ne pense pas trop m’avancer en disant qu’on est plutôt sur la première hypothèse. D’autant que le “buzz” Internet englobe souvent les articles des médias Internet, notamment des pure-players comme Rue89, Slate, OWNI ou Mediapart, preuve que la notion de public n’est pas déterminante.

Les sujets qui font le “buzz” sur Internet selon ces chroniques ne sont pas ceux qui font réellement le “buzz” mais ceux qui font le “buzz” et dont les médias traditionnels ne s’emparent pas ou peu. Par exemple, la crise de l’euro ne fera pas le “buzz”, alors qu’elle sera au centre de nombreuses discussions sur Internet. Mais une vidéo d’une petite Chinoise qui se fait écraser par une camionnette sera considérée comme une actualité de premier choix dans l’agenda médiatique d’Internet.

Rôle démocratique

En Chine, le “buzz” a un vrai rôle démocratique dans un univers médiatique censuré qui ne s’autorise la critique contre le pouvoir que quand le bruit venu de la blogosphère, représentation visible de l’opinion publique, devient trop fort et naturalise l’actualité. En France, la perspective est complètement différente. Ce qui fait le “buzz” sur Internet n’est jamais ce qui fait le “buzz” sur Fdesouche, sur les Skyblogs ou sur des blogs altermondialistes, mais ce qui remonte dans une nouvelle arène médiatique, dans un nouvel entre-soi parisien qu’est la “twittosphère”, qui a pris la place de la vieille “blogosphère”.

Un sujet qui “buzze” mais qui ne remonte pas dans cette arène sera considéré comme nul et non avenu. Le “buzz” donne un pouvoir très fort à une poignée de représentants de l’oligarchie du web, blogueurs ou “twittos” influents, un monde très parisien, très connecté, très jeune, constitué de nombreux journalistes, plutôt à gauche. Bref, un monde qui n’est en rien représentatif du public.

La maîtrise de l’agenda médiatique descend progressivement de la tour de TF1 pour s’installer dans les cafés wifi. Mais est-ce vraiment un progrès ? Dans les industries culturelles, “l’étroite marge laissée à la diversité se répartit aisément parmi ceux qui travaillent dans le même bureau”, écrivaient Adorno et Horkheimer. On pourrait dire aujourd’hui que l’étroite marge laissée à la diversité se répartit aisément parmi ceux qui se “followent” sur Twitter.

Espace public traversé de contradictions

Cet Internet qui est naturalisé dans les chroniques “buzz” n’est qu’une partie d’Internet. L’espace public n’est pas cohérent, il est traversé de contradictions, Internet aussi. La métrique (ex: le nombre de vues sur YouTube), parfois utilisée pour justifier le “buzz”, ne peut que retranscrire partiellement la réalité d’un média atomisé entre de très nombreux champs de conversation.

L’Internet fantasmé par les chroniques “buzz” n’est que la symétrie des industries culturelles sur les réseaux à travers la mise en place d’une visibilité avancée d’une minorité, la construction d’une contradiction factice (la petite chinoise écrasée contre la crise de l’euro, le clic contre le sérieux des J.T.) au sein même de l’appareil médiatique. Il n’existe pas de chronique “manifestations et indignations” dans les médias, pourquoi existe-t-il des chroniques “buzz” qui s’attachent de la même manière à tenter de déceler une visibilité dans l’espace public ?

Comme souvent, c’est dans le “LOL” qu’on trouve la manifestation de cette absurdité de définir un “Internet”. La page de fin de l’Internet, symbole ironique de l’impossibilité d’une totalisation de l’Internet, est devenue un “mème”.

On ne peut pas mettre Internet en boîte, déterminer ses contours, prétendre le représenter. C’est ce qu’a bien compris la série The IT Crowd :

This is THE INTERNET.

Pour paraphraser Bourdieu dans la conclusion de L’opinion publique n’existe pas, j’ai bien voulu dire qu’Internet n’existe pas, sous la forme en tout cas que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence.


Article initialement publié sur Les Internets, un blog de Culture Visuelle.

Illustrations via FlickR CC [by] webtreats [by] impressa.maccabe

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Keenan Cahill: de la chambre d’ado au studio de David Guetta http://owni.fr/2011/03/12/keenan-cahill-de-la-chambre-d%e2%80%99ado-au-studio-de-david-guetta/ http://owni.fr/2011/03/12/keenan-cahill-de-la-chambre-d%e2%80%99ado-au-studio-de-david-guetta/#comments Sat, 12 Mar 2011 09:00:27 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=46841 Keenan Cahill est un jeune homme de 16 ans souffrant du syndrôme de Maroteaux-Lamy. Il publie depuis 2009 des vidéos où il fait du play-back sur les succès actuels.

Keenan Cahill est ce qu’on appelle en langage médiatique une “ star du web” ou une ”sensation YouTube“, à défaut de trouver un autre mot pour définir sa pratique artistique, le play-back devant une webcam. Cet adolescent de 15 ans de Chicago s’est fait connaître avec un play-back de Katy Perry posté le 28 août 2010, quintessence de son art de la chorégraphie faciale, qui a dépassé les 28 millions de vues.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Deux mois plus tard, il mettait en ligne une vidéo à la mise en scène inédite. Dans un happy end quasi hollywoodien, le rappeur 50 Cent entrait dans sa chambre en plein tournage d’un play-back sur une de ses chansons. La star aux millions d’albums qui vient faire un featuring chez la “star YouTube” aux millions de pages vues, l’image était trop belle: si l’Internet devait avoir une page de fin, on l’aurait volontiers attribuée à cette vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mais la magie ne fonctionne plus vraiment avec sa dernière production, une vidéo en studio avec David Guetta postée le 24 janvier.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme le relève LePost.fr, «le retour de Keenan suscite un certain malaise auprès des internautes, déplorant que le marketing ait pris le pas sur la spontanéité» . Il faut dire que David Guetta n’a pas fait les choses à moitié en demandant à Keenan Cahill de jouer un «megamix» de ses tubes et en rhabillant la chaîne YouTube de l’ado à ses couleurs. L’occasion de découvrir que la vidéo avec 50 Cent a en fait été tournée en studio pour les besoins d’un show télé, le Chelsea Lately, sur la chaîne américaine E!. La présentatrice avait alors offert à Keenan Cahill une caméra de meilleure qualité.

Entre la vidéo 50 Cent et la vidéo David Guetta, l’évolution esthétique est assez frappante: on passe de la chambre au studio et de l’effet webcam à la caméra pro. Mais la comparaison est encore plus intéressante si l’on remonte l’ensemble du compte YouTube de Keenan Cahill , débuté le 25 octobre 2009.

Captures d'écran de 12 vidéos mises en ligne sur le compte YouTube de Keenan Cahill, classées par ordre chronologique de gauche à droite et de bas en haut.

Après une période d’un an (vignettes 1 à 6) avec une esthétique classique de l’amateur YouTube (chambre sombre, webcam qui filme en plongée, effets visuels, plan centré), Keenan Cahill commence à évoluer immédiatement après sa vidéo avec 50 Cent et sa légitimation par les médias. Il tourne une séquence avec Chet Cannon, un autre utilisateur de YouTube à la technique beaucoup plus professionnelle (vignette 8). Dans le descriptif de la vidéo apparaît pour la première fois cette mention:

«For Personal Appearances, Music Opportunities, Commercials & Acting Contact David Graham & Mark Long at BookingBeenerKeeKee@yahoo.com»

Entouré de deux agents, Keenan Cahill devient un pro, dont le métier est de faire des play-back sur YouTube et dans le même geste d’«aider les autres à se lancer en musique, mannequinat, cinéma et toutes les autres formes de divertissement», selon le descriptif de son site officiel. Ayant gagné la bataille de l’attention, il devient un homme-sandwich qui peut faire la promo pour une matinale d’une chaîne de télé locale (vignette 9) ou pour un chanteur inconnu (vignette 10).

La vidéo avec David Guetta est la suite logique. L’abandon de la webcam au profit d’une vraie caméra a préparé le passage de la chambre au studio (qui s’imposait par le fait que David Guetta ne chante pas et ne peut que manier son ordinateur). Le DJ essaye de maintenir l’illusion de la star qui va adouber l’amateur en déclarant: «je voulais juste montrer mon soutien, et j’ai pensé que ce serait un truc cool». Mais Keenan Cahill n’en est plus à quémander un soutien, il est là pour faire vendre le «megamix» de David Guetta, pour «aider les autres à se lancer en musique», comme dit son site officiel. À l’image, ce n’est plus 50 Cent qui débarque dans sa chambre sous les yeux de la webcam, mais lui qui se déplace dans le studio de David Guetta pour lui faire un cadeau devant les caméras de MTV. La boucle est bouclée: le play-back YouTube, manifestation de la réappropriation culturelle, est réappropriée par l’industrie culturelle.

Article initialement publié sur Les Internets, un blog de Culture Visuelle

photos : capture d’écran du compte Youtube de Keenan

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Atlantico, vraie face du modèle économique du web http://owni.fr/2011/03/08/atlantico-vraie-face-du-modele-economique-du-web/ http://owni.fr/2011/03/08/atlantico-vraie-face-du-modele-economique-du-web/#comments Tue, 08 Mar 2011 18:55:29 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=50440 Lancé lundi dernier, Atlantico.fr a bénéficié d’un bruit médiatique à la Benjamin Lancar. Tout le monde ou presque dans la sphère web a critiqué ce nouveau pure-player classé à droite mais l’équipe a encaissé sereinement les coups, sachant que tout bad buzz est avant tout un buzz: «Et voilà, #Atlantico est déjà dans les trending topics. Merci à tous ! (oui, à vous aussi, les haters)», écrivait le site sur son Twitter le jour du lancement.

Le débat autour d’Atlantico s’est polarisé autour de son ancrage à droite. «Atlantico, cap à tribord», titrait Owni, «Atlantico, le pure-player ni de gauche», titrait Libé tandis que Laurent Mauduit de Mediapart oubliait les politesses d’usage entre confrères en publiant une chronique tonitruante «Atlantico, la droite rance». De son côté, 20minutes.fr soulignait l’absence d’innovation du pure-player qui ne se distinguerait que par son positionnement politique: «Rien de révolutionnaire pourtant puisque des sites comme Slate, Owni et LePost mêlent justement production et agrégation. Atlantico n’a donc rien du chaînon manquant au paysage digital français mais son originalité réside ailleurs. Dans son positionnement libéral précisément.»

J’ai moi-même cédé à la tentation d’y voir simplement un Slate de droite, en publiant sur Twitter cette petite cartographie des pure-players.

Mais Atlantico n’est pas un Slate de droite, c’est à dire un site d’information magazine, plus centré sur l’analyse et le commentaires que sur la recherche de scoop. Après une semaine d’existence, Atlantico apparaît plutôt comme un Huffington Post français —voire un Morandini haut de gamme— c’est à dire une publication tendue vers l’audience à bas coûts, le libéralisme appliqué au journalisme web. Ce qui est une petite révolution dans la sphère des pure-players.

Atlantico s’est donné pour objectif d’atteindre les 600.000 visiteurs uniques d’ici un an, ce qui paraît tout à fait jouable. Quatre types de contenu devraient particulièrement cartonner en audience et ce, pour des coûts de production très faibles: les «exclusifs», les «pépites», «Atlantico light» et les chroniques polémiques.

Les «exclusifs»

En une semaine d’existence, Atlantico a multiplié les articles pastillés «exclusif»: Sarkozy aurait tenté d’attirer Jospin dans ses filets, les enfants de Hollande et Royal ont posé un ultimatum à leurs parents, les squatteurs de “Jeudi Noir” n’étaient pas des mal-logés et les éditeurs parisiens perquisitionnés par la Commission Européenne. Ces articles ont la particularité de n’être pas signés.

En ce qui concerne les deux premiers scoops politiques —dont le premier est au conditionnel— il s’agit d’une version web des indiscrets des magazines d’information comme L’Express ou Le Point, une pratique qu’évitent d’ordinaire les pure-players. La source n’est pas citée et on ne sait pas très bien si l’info a été recoupée. «[Ça me rassurerait] que la presse web ne reproduise pas le pire de la presse mag avec des “confis” non sourcés et survendus…», écrit le journaliste du Monde.fr Samuel Laurent à l’occasion d’un tweet-clash avec Jean-Baptiste Giraud, le réd chef d’Atlantico.

Cette valorisation de l’«exclusif» rappelle Morandini qui applique ce label à des informations dont l’importance n’est pas toujours capitale, et qu’on a parfois déjà vu ailleurs. L’«exclusif» sur la perquisition chez les éditeurs parisiens était d’ailleurs sorti quelques minutes plus tôt sur 01net, comme l’a relevé le journaliste David Doucet sur Twitter.

Il faut espérer qu’Atlantico n’aille pas aussi loin que lesindiscrets.com, le site lancé par un un ex-associé de Morandini et depuis racheté par Omar Harfouch, qui a sorti une longue série de scoops non sourcés et non signés au parfum de soufre, notamment un article “révélant” un scandale sexuel scabreux chez les Jeunes Populaires et plusieurs scuds contre Valérie Pécresse.

Malgré très peu de reprises média pour l’instant, à part sur des sites de buzz, ces articles ont l’air de bien marcher, en tête des stats affichées en Une d’Atlantico vendredi soir.

Les «pépites»

Pour sa rubrique «pépites», Atlantico s’est directement inspiré du Daily Beast, un des exemples les plus connus de journalisme de liens. Comparatif entre le Daily Beast à gauche et Atlantico à droite.

Ces «pépites» sont ambigües. Car derrière la bienveillante volonté de #partage des meilleurs liens avec son lectorat, la vocation de «facilitateur d’accès à l’information», les «pépites» sont surtout un piège à clics. Le seul vrai journalisme de liens est celui pratiqué par le Drudge Report, où les liens renvoient directement vers les sites producteurs de l’information. Le modèle du Daily Beast et d’Atlantico (que pratique aussi Slate) est en fait un braconnage d’audience: les liens renvoient vers un article maison qui résume à grand traits l’article d’origine. Le média producteur de l’information n’obtient que des clics marginaux et se voit concurrencé directement sur Google News (et donc dans les premiers résultats de Google) par des articles reprenant son contenu.

Ce format d’articles permet aussi à Atlantico d’être présent sur l’actu très chaude, en publiant parfois des articles de trois lignes paraphrasant un urgent AFP publié sur un autre média. Comme le veut l’usage sur Internet, le «trouveur» est bien cité mais on est bien loin de la philosophie du journalisme de liens.

(Article supprimé depuis, retrouvé dans le cache Google)

Atlantico Light

C’est l’héritage direct du Huffington Post. Le pure-player américain ne s’embarrasse pas de scrupules et finance ses articles sérieux par des infos people et des portfolios de filles à poil. Le blogueur Cédric Motte avait montré avec quelques stats que le succès du site d’Ariana Huffington «c’est le sexe, pas (que) l’information». Pour profiter de cette manne d’audience, Atlantico a lancé une rubrique «light» qui regroupe des sujets lifestyle à la Slate et des infos people.

Pour produire de l’actu people avec une équipe restreinte (une dizaine de journalistes), le modèle est le même que pour les «pépites», la reprise d’articles des médias français et surtout anglophones. Le problème de l’actu people est qu’elle nécessite de gros budgets photos, qu’Atlantico n’a pour l’instant pas l’air d’avoir. Ainsi, un article sur «la tenue très dénudée» de Madonna lors d’une after-party des Oscars est illustrée par une capture d’écran du site du Daily Mail, permettant de montrer les photos de Madonna à un coût zéro.

Les chroniques polémiques

C’est la liste des chroniqueurs d’Atlantico qui a fait le plus parler d’elle, avec notamment Gérard de Villiers, ancien de Rivarol et auteur de la série S.A.S., Chantal Delsol, historienne qui a consacré sa carrière à liquider l’héritage de mai 68 ou Gaspard Koenig, ancienne plume de Christine Lagarde et auteur du livre Les Discrètes Vertus de la corruption. Avec de telles signatures, il y aura forcément de la polémique et une manne d’audience assurée. Pour l’instant, pas encore de saillie retentissante, à part une chronique du souverainiste Paul-Marie Couteaux, DSK: Jacob a visé juste, où il taxe Dominique Strauss-Kahn de «candidat hors sol».

Le journalisme web sans ses gourous

La vraie différence d’Atlantico par rapport à ses concurrents pure-players vient du profil de ses journalistes. Les patrons du site, comme les petites mains, viennent tous de la télévision et de la radio, et non pas de la presse écrite et du web comme chez Rue89, Slate ou Médiapart.

Leur discours face à l’audience est ainsi beaucoup plus décomplexé: lors de la conférence de presse de présentation, les fondateurs ont insisté sur le fait qu’il fallait écrire court car «le temps de cerveau disponible» des internautes est très faible. Une référence à Patrick Le Lay que n’oseraient jamais Edwy Plenel ou Pierre Haski venus sur le web pour faire de l’info de meilleure qualité que sur le papier. En construisant un média qui ne cherche pas à prouver par son contenu que l’Internet peut faire mieux que les autres médias, Atlantico fait du journalisme web dépoussiéré de ses gourous et montre la vraie face du modèle économique financé par la publicité.

Et si j’étais de mauvaise foi, je rajouterais qu’être de droite, c’est aussi un moyen d’être plus pub-friendly que Rue89.

à noter, Vincent Glad est journaliste-pigiste à Slate

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Les Craypion d’or, le mythe du web vernaculaire http://owni.fr/2010/12/29/les-craypion-d%e2%80%99or-le-mythe-du-web-vernaculaire/ http://owni.fr/2010/12/29/les-craypion-d%e2%80%99or-le-mythe-du-web-vernaculaire/#comments Wed, 29 Dec 2010 07:30:44 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=40428 Les Craypion d’or qui ont eu lieu vendredi 17 décembre à Paris, sont l’équivalent pour le web des Gérards du cinéma ou des Razzie Awards aux États-Unis. Mais contrairement à ces deux cousins réductibles au «pire du cinéma», les Craypion d’or sont plus subtils à définir. Dans sa dépêche de compte-rendu, l’AFP a bien pris soin de ne pas utiliser le mot «pire» . Les Craypion sont pour l’agence un «prix ironique honorant un site ou une création web “venue d’ailleurs, aux couleurs chatoyantes et au look qui pique les yeux”. Rien à voir avec la dépêche traitant des Gérards du Cinéma, titrée «le pire du cinéma français».

Célébration d’un Internet alternatif

Cette prévention de l’AFP n’est pas anodine. Elle permet de mieux comprendre le sens des Craypion d’or qui ne récompensent pas le «pire» d’Internet mais plutôt un autre Internet. Le palmarès (dont voici quelques uns des prix) en témoigne:

Le créateur des Craypion, le blogueur Henry Michel, esquisse cet autre Internet dans une vidéo publiée sur Citizenside:

On est une communauté de gens qui aimons le web. Et on a des parents, des tontons, des cousins, des petites sœurs qui utilisent le web d’une manière qu’on peut snober au début mais ils s’éclatent avec ça, ils s’éclatent avec leurs contenus. Mon père, il envoie des Powerpoint de 20 Go par mail et ça me fait mourir de rire et je l’aime. C’est un peu ça: ce sont des gens qu’on aime mais qui nous font mourir de rire.

Quand les Gérards de la télévision espèrent —non sans ironie— «améliorer la qualité des programmes et des animateurs» grâce à leur «critique constructive du PAF», les Craypion d’or prennent le web tel qu’il est et ne cherchent surtout pas à l’améliorer. Tout se passe comme si le jury regrettait que Ségolène Royal ait redesigné son site Désirs d’avenir suite aux railleries de la communauté Internet.

Première version du site Désirs d'avenir.

Back to the roots

Les Craypion d’or célèbrent le mythe d’un web des origines, en partie perdu, dont il ne resterait que quelques survivances méritant leur place au patrimoine mondial des Internets, ou tout du moins au palmarès des Craypions. Ce web «qu’on aime» et qui nous fait «mourir de rire», c’est le «web vernaculaire» tel qu’il a été défini par Olia Lialina, pionnière du net.art et professeur à la Merz Academie de Stuttgart. Dans un essai visuel publié en ligne en 2005, l’artiste recense quelques unes des figures de cet Internet primitif, essentiellement des années 90, construisant une «culture de la homepage»:

  • Les panneaux “Under construction”, symboles d’un Internet amateur, en perpétuelle construction où la destination la plus commune des clics était une page n’existant pas encore. «Pas à pas, les internautes ont développé des pages plus fonctionnelles et il est devenu moins nécessaire de nous avertir, spécifiquement avec des panneaux routiers, des informations manquantes. Mais ils n’ont pas disparu», écrit Lialina.

© Olia Lialina

  • Les fonds d’écran étoilés, vestiges d’une époque où le web se voyait comme un nouveau territoire. «L’Internet était le futur, il nous emmenait dans de nouvelles dimensions, plus proches d’autres galaxies», selon Lialina.

© Olia Lialina

  • Les sons Midi, ersatz des futurs MP3 qui allaient régner sur l’Internet des années 2000. Leur très faible qualité en a fait des objets du patrimoine commun d’Internet, souvent sans copyright, échangeables à l’infini comme un gif animé. En général utilisés pour “sonoriser” une page web, les fichiers Midi étaient souvent des reprises de grands tubes, comme cette version de Final Countdown exhumée par Olia Lialina.
  • Le message “Welcome to my home page”, marque d’authenticité sur les sites personnels, «slogan du web 1.0» . Selon Lialina, «cela montre qu’une vraie personne a créé le site et non un quelconque département en marketing ou un système de gestion de contenu».

Page personnelle du Turc Mahir Cagri, qui est devenu un phénomène web.

Le carcan du webdesign

Camille Paloque Bergès, enseignante au département informatique l’IUT de Belfort-Montbéliard, a repris et précisé les travaux d’Olia Lialina dans un article en anglais Remediating Internet trivia : Net Art’s lessons in Web folklore .

The title “VernacularWeb” shows an attempt at finding topicality in media language forms specific to the WWW medium – the vernacular being a concept used in linguistics and pointing at languages pertaining to local communities and usually resistant to institutionalization. In terms of vernacularity, localism is key: homepages recreate little homes connected by a sense of group or at best, community. [...] The vernacular Web is expressed in folkloric terms. First, it creates a popular niche in technology use, relying on cheap hosting (free with advertisements or at low-cost) and handling Web design in a dilettante posture (bugs and typos abound, along with the very much used “Website Under Construction” compulsory segment). Popular Webdesign is acknowledged as cultural material consistent in the universe of amateur Webdesign: low-cost, lowbrow productions elaborated in DIY frame logic. Second, it turns self-mediation into collective appropriation of popular topics, relying on the same discursive patterns used over and over again – for instance the expression of self through life tastes and curriculum vitae, the hobbyist expression of fan cultures, etc. Intensive and repetitive use of fixed-forms iconography such as Webpage wallpapers, animated gifs, midi music, shiny buttons, moving arrows, customized Webforms) are other dimensions of a shared iconography on the collective scale. The vernacular Web creates its own traditional frame, but a tradition based on a “bricolage” perspective, picking up and rearranging Web elements from the same toolbox rather than innovating.

Comme les artistes du net.art qu’évoque Camille Paloque Bergès dans son article, la chanteuse M.I.A. a repris les codes du «web vernaculaire» dans un clip paru en 2010, dans une volonté de ré-esthétiser ces objets relégués dans le «goût barbare» dont parlait Pierre Bourdieu.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mais la meilleure théoricienne du «web vernaculaire» est sans doute Ségolène Royal, dans un discours en septembre 2009 quelques jours après la polémique autour du lancement de son site Désirs d’Avenir: «Je ne veux pas un site comme ça avec des traits. Non, moi, je ne veux pas de ça. Je veux un site qui nous ressemble et pas nous qui ressemblions au site».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les gestes qu’esquisse Ségolène Royal quand elle évoque les «traits» symbolisent dans l’espace la prise de pouvoir du web institutionnel par le carcan du webdesign. La socialiste fait le lien entre cette évolution esthétique et une confiscation de la parole qui a de quoi surprendre à l’heure du web social: «on cherche à contourner le mur du pouvoir, on cherche à contourner le mur des médias, on cherche à mettre en commun nos intelligences, on cherche à donner de la visibilité à ceux qui ne parlent pas».

Cette «culture de la homepage» a en grande partie disparu de la visibilité médiatique, chassée par la rationalisation opérée par les “experts du web”, «le très très puissant lobby d’Internet» dénoncé par Ségolène Royal. Camille Paloque Bergès situe ce tournant à la fin des années 90:

The production of homepage culture has largely been disregarded as trivial, mostly by the new Web experts, a profession born at the end of the 90’s in the midst of the Internet bubble. Web expertise has based its norms and standards in opposition to Web folklore, considered as messy and useless in terms of design and content production.

Ces “experts” ont fixé les usages et les normes graphiques, aboutissant à l’esthétique épurée du web 2.0 qui se cristallise vers 2004-2005. Les éléments folkloriques du «web vernaculaire» disparaissent au profit des «traits» dénoncés par Ségolène Royal.

La homepage de Flickr, site emblématique de l'esthétique web 2.0 lancé en 2004.

C’est selon cette même logique que MySpace, trésor de créativité populaire grâce à la possibilité de configurer simplement le html de sa page perso, est devenu “ringard” au profit de Facebook, dont le code html des pages n’est pas modifiable par les utilisateurs. Signe de la défiance du site à l’égard de l’esthétique populaire, les gif animés ne s’animent pas sur les walls Facebook.

Bienveillance du LOL sur le web folklorique

Depuis quelques années, on assiste à une forme de revival du «web vernaculaire», porté notamment par la «culture LOL». Cette nouvelle avant-garde du web qui veut voir Internet comme un vaste espace de jeu trouve une alliance objective avec la «culture de la homepage»: comme elle, elle rejette les «experts du web», tournant en ridicule toute forme de rationalisation des pratiques, exaltant en creux la puissance du web «barbare». Les Craypion d’or s’inscrivent dans cette bienveillance presque paternaliste du “LOL” à l’égard du web folklorique: les prix sont remis «sans moquerie mais avec une franche sympathie», indiquent les organisateurs dans leur communiqué de presse. Le créateur de la cérémonie Henry Michel tient à faire la distinction entre «deux types de lauréats»:

Les Craypion distinguent les professionnels qui se prennent au sérieux mais nous font rire, et les amateurs, qui s’affranchissent des règles esthétiques, graphiques et communautaires pour assouvir leur passion du web

La tendresse pour le web folklorique se conjugue donc avec une certaine défiance pour les “professionnels”, comme si les “loleurs” reprochaient à ces «experts» d’avoir tué la créativité populaire de l’Internet des années 90. On y reviendra plus tard. En attendant, comme souvent sur le web, rien ne vaut un lolcat pour résumer une idée.

Le "serious cat", métaphore des "experts" qui ont civilisé le web vernaculaire.

À l’heure où l’utopie du web 2.0 paraît dépassée —ce n’est plus la vidéo amateur Evolution of dance qui domine les charts YouTube comme en 2007 mais des clips de Justin Bieber et de Lady Gaga— les “loleurs” opèrent un retour symbolique vers le web 1.0 vu comme une terre sauvage, dont les Craypion d’or sont le symptôme. Une prise de conscience semble guider ce mouvement: ce ne sont pas dans les lignes épurées de Flickr que se trouve la vérité sociologique de l’Internet, mais plutôt dans les bas-fonds de Google Images et la mise en valeur de ce patrimoine n’est qu’un juste retour des choses. Dès lors, on ne s’étonnera pas que l’élite du “LOL” mondial se retrouve sur 4chan, un forum à l’esthétique pauvre et aux fonctionnalités très limitées.

LOL et mèmes, progénitures hybrides du réseau

Le langage “LOL”, en fait, est un exemple typique de l’Internet aujourd’hui, à la fois vernaculaire et institutionnel. Robert Glenn Howard, professeur de communication et arts à l’université du Wisconsin, directeur du programme Digital Studies, estime que le web participatif (qui se confond assez largement avec le web contemporain), est un inextricable mélange de vernaculaire, de commercial et d’institutionnel :

When “folk” express meaning though new communication technologies, the distinction between folk and mass is, as Dorst suggested, blurred by the vernacular deployment of institutionally produced commercial technologies. In online participatory media, the distinction is further blurred because the content that emerges intermingles vernacular, commercial, and institutional interests. Vanity pages are often placed on commercial servers that mix advertising with the personal content. Most commonly today, this mixed content is found on blogging and social networking sites like Blogger.com, MySpace, and Facebook. Not only do these free hosting services mix commercial content with advertising, but they also place limits on the kinds and forms of content hosted. In this way, these new media forms incorporate both folk and mass cultural content, interests, and agencies.

Situé à l’intersection entre web «barbare» et culture de masse, les “mèmes”, comme Sad Keanu par exemple, reprennent en général du matériau issu des médias et des industries culturelles qu’ils retraduisent en langage web avec des références vernaculaires, issues d’une culture web “pure”. Le folklore 2.0 est en passe de devenir un sous-genre des industries culturelles.

Exemple de Sad Keanu remixé avec une iconographie et une langue typique de la culture 4chan.

Article initialement paru sur Culture Visuelle, Les Internets.

Illustrations: CC gbaku

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http://owni.fr/2010/12/29/les-craypion-d%e2%80%99or-le-mythe-du-web-vernaculaire/feed/ 4
Mèmes-o-rama http://owni.fr/2010/08/29/les-memes-en-mieux/ http://owni.fr/2010/08/29/les-memes-en-mieux/#comments Sun, 29 Aug 2010 08:00:16 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=26185 La définition précise du «mème Internet» est toujours très discutée. On peut voir le «mème» d’une manière restrictive en expliquant que c’est une image, une vidéo, un concept ou une personnalité qui est recyclé et parodié par les internautes avec les différents moyens d’expression du web: groupes Facebook, montages Photoshop, gifs animés, création de sites…

Le problème de cette définition est qu’elle exclut certains phénomènes qu’on classerait instinctivement comme mèmes, à l’image des statuts Facebook sur la couleur des soutiens-gorges (voir plus bas) où l’aspect parodique n’apparaît pas.

On peut aussi définir le «mème» de manière plus large, comme semblent le faire les Américains, en retenant juste que c’est une blague Internet à forte viralité. «An Internet meme is an inside joke, that a large number of Internet users are in on», comme dit la fiche Wikipedia. Le problème de cette définition est qu’elle englobe à peu près tout, y compris des buzz foireux comme cette fausse employée démissionnaire.

Nous retiendrons une définition médiane (enfin, avant qu’on change d’avis): un «mème» serait un phénomène Internet humoristique dont chaque contribution d’internaute enrichit l’oeuvre globale. Ainsi, on exclut le modèle basique de diffusion du buzz (un diffuseur -> un récepteur) pour préférer un modèle plus moderne de création commune d’un objet culturel, parodique ou non.

Pour ce classement “top 10 des mèmes”, nous avons essayé de classer les mèmes en fonction de leur importance, leur succès et leur portée vus de France. N’ont été retenus que les mèmes apparus en 2010.

1. Sad Keanu


Le mème le plus drôle de l’année part d’une série de paparazzades a priori anodines de l’acteur Keanu Reeves. Postées pour la première fois avec une légende pas drôle le 3 juin sur Reddit, les photos vont devenir un support de LOL extraordinaire quand la silhouette désabusée de Keanu va être détourée pour permettre une série de détournements Photoshop: Keanu à Yalta, Keanu en boîte, Keanu en Irak, Keanu au boulot… Le succès de la série Sad Keanu s’explique assez largement par l’éternel spleen que traîne l’acteur, subtilement matérialisé par cette paparazzade au sandwich. Comme disait Keanu, «Je suis désolé, mon existence n’est pas vraiment noble ou sublime».

2. Justin Bieber (pour l’ensemble de son oeuvre)


La starlette pop est le souffre-douleur de l’Internet mondial depuis le début de l’année. En 2010, la puberté ne se matérialise plus par l’apparition de pilosité mais plutôt par l’abandon du culte du Bieber. À partir de 16 ans, on ne peut plus décemment aimer le beau Justin alors on fait comme tout le monde sur Internet, on se moque de lui. Le LOL Bieber se décline sous toutes les formes et il est strictement impossible d’être ici exhaustif, mais retenons le plébiscite pour un concert en Corée du Nord, la fausse rumeur sur sa syphilis, la version 800 fois plus lente d’un de ses tubes, sa parade amoureuse ou les parodies de son interview dans la voiture. Pour le pauvre Justin, l’Internet, ça doit un peu près ressembler à cette porte vitrée.

3. Bernard Montiel est mort

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Le 8 juin, un compte Twitter anonyme réputé pour sa malice, @lapin_blanc, poste ce statut: «RIP Bernard Montiel.». Connaissant le personnage, les utilisateurs du réseau social «retweetent» le message, mais uniquement pour s’amuser, comme une manière de parodier les fausses morts de star, un grand classique d’Internet: Twitter a déjà fait mourir plusieurs fois Michel Sardou, Wikipédia est connu pour avoir décapité Philippe Manoeuvre, le forum GayAttitude a eu la peau de Flavie Flament… La blague de mauvais goût a le mérite de montrer le vide inter-sidéral dans lequel peuvent tomber les médias qui se sont empressés de faire des articles pour dire que Montiel n’était pas mort —créant du coup la rumeur, alors que sur Twitter elle était restée dans un cercle d’initiés qui n’y croyaient pas. Depuis Bernard Montiel a retrouvé une émission sur France 2. Coïncidence? Je ne pense pas.

4. Double rainbow all the way

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Les vidéos débiles ont parfois un drôle de destin. Cette séquence extatique, filmée par un ancien fermier du Yosemite National Park reconverti dans le cagefighting, a été postée le 8 janvier 2010 sur YouTube mais n’a connu le succès que 5 mois plus tard à la faveur d’un tweet du comique Jimmy Kimmel. La vidéo rentre immédiatement dans l’imaginaire collectif de l’Internet mondial et engendre quantité de parodies dont voici une petite sélection: le Fort Boyard remix, le Double Rambo et la version contre-champ. L’expression «ALL THE WAY» (ne pas oublier les caps) est devenue un classique de l’humour web. À utiliser dans vos moments d’emballement pour exprimer l’idée d’infini qui vous serre le coeur: «Je t’aime ALL THE WAY».

5. Jessi Slaughter

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Face aux haters, cette sale race de «jaloux» qui pullulent sur l’Internet, mieux vaut se taire et «don’t feed the troll» (ne pas nourrir le troll). Jessi Slaughter, une Américaine de 11 ans, était sans doute trop jeune pour connaître ce bon précepte et voilà ce qu’elle a répondu en vidéo à ceux qui la pourissaient sur YouTube: «Personne ne peut être aussi jolie que moi sans maquillage, et si vous me détestez, c’est parce que vous êtes jaloux. […] Arrêtez de me détester; sinon je vous ferai péter la cervelle.» Pas de chance, cette vidéo tombe sur 4chan, le forum le plus génial et le plus méchant du web. Les «loleurs» qui y sévissent décident de la prendre pour cible, allant jusqu’à lui passer des coups de fils anonymes. Ce qui occasionnera une deuxième vidéo où le père de la jeune fille intervient avec cette phrase désormais culte: «CONSEQUENCES WILL NEVER BE THE SAME». LOL will never be the same pour Jessi, devenue une icone du web aux très multiples parodies comme cette version Rick Astley.

6. Couleurs de soutien-gorge sur Facebook


Début janvier, Facebook s’emballe. Les unes après les autres, les filles postent d’énigmatiques couleurs dans leurs status Facebook: «noir», «rouge», «beige», «ébène», «blanc avec des coeurs»… Les garçons ne comprennent pas. Avant de comprendre et de liker puisque il s’agit de la couleur du soutien-gorge des filles. La blague a circulée en mode «téléphone secret» dans les mails Facebook des filles avec ce genre de messages: «Une amie lance un jeu pour aujourd’hui!!!Nous jouons un jeu…ça va etre amusant:):)vous ecrivez la couleur du soutien gorge que vous portez sur votre statut…seule la couleur et rin d’autre!Envoyer a tous vos amis de sexe feminin…NO MEN!Ce sera amusant de voir comment sa se propage…et tous les gens vont se demander pourquoi toutes les filles ont une couleur dans leur statut». Ce mème n’a rien de très drôle mais son mode de diffusion (Facebook et ses 350 millions d’utilisateurs) en a fait un produit universel, aux Etats-Unis comme en France, chez les mamans comme chez les collégiennes. Peut-être la plus grande cours de récré de tous les temps.

7. La vuvuzela


Premier tour de la Coupe du Monde. Tout le monde se fait chier. Les matchs sont insipides et la France n’a pas encore perdu de match. Du coup, l’attention se polarise sur le bruit infernal que font les vuvuzelas. Internet va faire de la vuvuzela son objet star pendant une grosse semaine de délire incessant. Mais sans surprise, dès que l’actualité a repris son cours (avec des grands matchs comme Allemagne-Australie et le fiasco de l’équipe de France), l’objet a progressivement disparu des radars. On retiendra quelques merveilles de LOL comme cette sonate pour vuvuzela, cette parodie d’un tableau de Giambattista Langetti ou cette petite pique à l’encontre de l’équipe anglaise.

8. Les Tumblr «Bonjour»


Le blog Bonjour Madame postait tranquillement ses photos érotiques depuis début 2009. Jusqu’à ce que des petits malins commencent début 2010 à créer des blogs Tumblr similaires avec toujours le même design et la même URL absurde: Bonjour Poney, Bonjour le Chien, Bonjour le Chat, Bonjour Panda… Les fans d’animaux se régalent et même le Parti socialiste s’y est mis avec Bonjour la droite, première incursion dans le LOL d’un grand parti français. Nos petits préférés sont un tantinet plus mal pensants: Bonjour Hitler, Bonjour la sodomie, Bonjour les enfants… A noter que personne n’a pensé à faire un Bonjour Tristesse (allez, just for the lulz). Si les Français ont le «Bonjour», les Américains ont eux le «Fuck Yeah», leur mème Tumblr pour un concept à peu près similaire.

9. Bed Intruder

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Tout commence par un fait divers sordide cet été en Alabama: la chaîne locale WAFF-TV diffuse un reportage sur Kelly Dodson, une jeune femme qui a failli se faire violer dans son lit par un intrus qui est rentré par effraction. Internet va s’emparer de cette vidéo à cause de l’interview hallucinée de son frère Antoine Dodson: «Eh bien, de manière évidente, il y a un violeur à Lincoln Park. Il monte à vos fenêtres, saisis les habitants et essaye de les violer. Donc il faut que vous cachiez vos enfants, cachiez votre femme et cachiez votre mari parce qu’ils violent un peu partout ici». Qui dit séquence culte dit évidemment parodies: version Linkin Park, version lolcat, version pogs. Mais ce mème restera dans les mémoires surtout pour sa parodie «auto-tunée» qui a réussi l’exploit d’atteindre la 89e place des charts américains.

10. Le Meuporg

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Le présentateur du journal de Télématin, Nathanaël de Rincquesen, a fait une entrée fracassante dans le monde du LOL en mars dernier. Parlant de la cyber-dépendance, ils évoquent ces jeunes qui «passent leur temps à se goinfrer des Meuporg». Une prononciation complètement hasardeuse du terme MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueur). Symbole de la fracture qui se creuse entre le monde du web et celui de la télévision, l’expression devient culte sur le web français. Le remix dance atteint presque les 700.000 vues. À signaler aussi ce joli montage Photoshop ou cette reprise d’un classique du web. France 2 finira par acheter le mot-clé «Meuporg» sur Google pour renvoyer les internautes avides de buzz sur son propre site. Et la série de France 3 Plus Belle La Vie réutilisera une variante du mot, le «Morpeug».

Crédits photos cc FlickR Profound Whatever, brenna_ et soymalau, Bonjour Panda !

Article initialement publié sur Happy Keanu

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http://owni.fr/2010/08/29/les-memes-en-mieux/feed/ 0
Tentative de définition du journalisme lol http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/ http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/#comments Sat, 05 Jun 2010 08:32:30 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=17520

Le mot avait été lancé comme une insulte. Xavier Ternisien, journaliste au Monde et star du micro-blogging m’avait un jour envoyé à la gueule sur Twitter que j’étais un “journaliste lol”. Nous étions alors en plein tweet-clash, surjouant nos rôles respectifs de jeune con et de vieux aigri après la publication d’un fameux papier sur les “forçats de l’info” portant sur les conditions de travail des journalistes web. Franchement, je l’avais mal pris. En ce début d’été 2009, “journaliste lol” ne pouvait être qu’un oxymore.

Et puis, à ma grande surprise, au fil des mois, les choses ont évolué. Et il est devenu cool d’apparaître comme un “journaliste lol”. Quand, pour la blague, j’ai créé une liste Twitter “chaire de journalisme lol” à la fin 2009, nombre de journalistes web (ou d’étudiants en journalisme) se sont réjouis d’y être. Comme si c’était devenu un label.

Mais merde, alors, journaliste lol, c’est devenu un vrai métier ? Pour répondre à cette question, il faut bien faire l’effort d’essayer de définir le concept, sur lequel personne ne s’est jamais penché dans un lignage supérieur à 140 caractères. Étant entendu que le lol représente le rire en général sur Internet, et plus particulièrement une certaine élite de l’humour sur Internet.

Il y a une première définition. Est journaliste lol celui qui est journaliste et qui fait du lol sur Twitter. C’est une spécificité toute française : les journalistes les plus connus sur le réseau sont des jeunes issus des rédactions web qui balancent du lol 24h/24 avec parfois quelques inserts plus sérieux, notamment quand il y a du breaking news. C’est le modèle Alex Hervaud du nom de ce journaliste loleur d’ecrans.fr qui tweete toujours les mêmes blagues que quand il n’était pas encore journaliste et qu’il plafonnait à 30 followers. Aux Etats-Unis, les journalistes tweetent chiant. En France, un journaliste ne peut tweeter chiant, sous peine d’être vieux. La tyrannie des jeunes l’a emporté, le journalisme Twitter français est de fait un journalisme lol.

Mais le journalisme Twitter n’est pas la grandeur du journalisme lol. C’est la deuxième définition qui est la plus intéressante. Le journalisme lol consiste à maintenir un niveau de lol constant dans les articles. Expliquons-nous. Quand il traitera la crise grecque, le journaliste lol essaiera d’intéresser son lecteur en prenant un angle marrant mais signifiant, comme par exemple le fisc grec qui a découvert sur Google Earth qu’il y avait 16.976 piscines dans un quartier huppé d’Athènes pour seulement… 324 de déclarées. A contrario, le journaliste lol traitera avec un grand esprit de sérieux les sujets les plus bas-de-gamme, comme par exemple Zahia que j’avais couvert pour Slate sous l’angle de l’obus médiatique en ne laissant pas transparaître un sourire tout au long des 8.000 signes de l’article.

Un petit graphique pour essayer de mieux comprendre : le journalisme lol s’applique à rester sur la “ligne du lol”, équilibre instable entre le journalisme bas-de-gamme et le journalisme sérieux (parfois chiant). Plus un sujet est sérieux, moins l’angle choisi le sera. Inversement, plus le sujet est bas-de-gamme, plus il nécessite une orfèvrerie de l’angle. Les deux exemples cités plus haut – la crise grecque et Zahia – sont matérialisés par des étoiles.

(le graphique est moche, c’est pas pour faire “lol”, c’est juste que je ne sais pas me servir d’un illustrateur)

Les Américains y ont un peu réfléchi et ont inventé le concept de “meta-enabling“, terme qui n’a pas franchement fait florès mais dont la définition est intéressante pour essayer de comprendre notre journalisme lol à la française. Dans une série de tweets restés mémorables,Andrew Golis, éditeur chez Yahoo News et ancien éditeur adjoint de Talking Points Memo, lançait le concept:

Aux Etats-Unis, l’équation du journalisme lol est donc posée en termes économiques. Sur Internet, l’opération consistant à devoir cliquer pour lire un contenu tend nécessairement à favoriser les contenus bas-de-gamme. L’homme est ainsi fait qu’il cliquera toujours plutôt sur du cul, du lol et du fail plutôt que sur de la politique ou de l’économie. Sachant que les contenus les plus sérieux sont en général peu lus, il n’est pas illogique de tenter de rendre plus intelligents les contenus a priori bas-de-gamme, ceux qui seront cliqués. Andrew Golis estime en outre que le “meta-enabling” permet de faire du clic tout en maintenant des tarifs publicitaires élevés puisque l’annonceur jugera que le contenu est néanmoins qualitatif.

Pour résumer le point de vue américain, le journaliste lol fait sa pute, mais il le fait bien, se plaçant ainsi sous le haut patronage de Zahia qui déclarait “Je ne suis pas une prostituée, mais une escort-girl”. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que les journalistes de Gawker, référence du “meta-enabling”, sont payés en partie au nombre de clics sur leurs articles.

Au-delà de ce point de vue cynique (qui est celui des rédacteurs en chef), le journaliste lol ne doit pas écrire pour faire des stats mais plutôt pour flatter ses propres instincts de “digital native”. Le Keyboard Cat le fascine ? Qu’il en fasse un article de 5.000 signes. Il a la vague impression que YouPorn est le TF1 du porn ? Qu’il enquête dessus. Il trouve que le langage Skyblog a ses poètes ? Qu’il les glorifie dans un long article. Il sent que la tecktonik est morte ? Qu’il aille en reportage au Metropolis. La reconquête d’un lectorat jeune (objectif central de la presse actuellement) passe certainement par un élargissement du spectre des sujets dits “sérieux”. Les digital natives ont tous le même père, Internet. Ils devraient pouvoir se comprendre.

On peut esquisser une troisième définition. Le journalisme lol est un journalisme qui pourra parfois s’attacher davantage aux représentations qu’à la vérité. La proposition est évidemment choquante : la première ligne de la Déclaration de Munich des devoirs des journalistes stipule que la profession doit avant tout “respecter la vérité”. Pourtant, le journaliste peut aussi dans certaines conditions spécifiques considérer la vérité comme un sujet secondaire et constater que là n’est pas l’essentiel.

Internet est une machine à créer de la culture en permanence. Pour garder sa mission d’ “historien du présent”, le journaliste web doit parfois faire le récit en direct de la création d’une idole pop, d’une « mémisation » d’une personne ou d’un fait d’actualité, y compris si l’emballement d’Internet repose sur une vérité factuelle douteuse. Le meilleur exemple est celui du monstre de Montauk, une bête informe échouée sur une plage de Long Island en juillet 2008. Le Web s’était perdu en conjectures mais impossible de savoir s’il s’agissait d’un chien, d’un ragondin, d’un raton-laveur ou d’un fake. Que peut faire le journaliste lol face à une telle histoire ? Il doit considérer qu’en l’espèce, la vérité est annexe et peu intéressante journalistiquement, seule compte la chronique de la création d’une idole, l’ajout à la culture pop de cette incroyable photo d’une bête échouée.

La plupart des journalistes web partagent cette vision de l’information sans même le savoir. On le voit dans la multiplication des articles titrés “[un fait d'actualité] enflamme le web”. En voici quelques exemples : sur Zahiasur la main de Thierry Henry ou sur le coup de boule de Zidane. Ces papiers ne s’attachent pas tant à la vérité qu’à sa représentation sur Internet, à l’énergie créative libérée par l’élément d’actualité.

Cette forme de journalisme comporte évidemment un risque. Il ne faut le pratiquer que quand la question de la vérité est secondaire, comme pour le monstre de Montauk ou pour la main de Thierry Henry (où la vérité est réglée d’emblée, oui, il a touché le ballon de la main). Mais dans le cas de Zahia, le journalisme lol a dérapé avec plusieurs articles qui décrivaient l’”emballement” du Web en postant des photos de son Facebook ou la vidéo de sa prestation chez NRJ12, alors que personne n’était certain qu’il s’agissait bien d’elle, et que d’évidentes questions de vie privée se posaient.

Cet intérêt qu’ont les journalistes web pour les mèmes doit pouvoir aboutir à une nouvelle forme de journalisme culturel qui applique le canevas traditionnel de la critique culturelle à des contenus Internet. On devrait pouvoir critiquer une vidéo YouTube avec la même application qu’un film dans Les Inrocks. Il est maintenant évident qu’il existe une “culture web” bien circonscrite (avec ses “chefs-d’oeuvre” comme les lolcats), il devient donc possible de placer une oeuvre Internet dans une lignée culturelle et de disserter sur ses références.

LOL.

> Article initialement publié sur Bienbienbien

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L’industrie du LOL et ses difficultés à traverser l’Atlantique http://owni.fr/2010/02/20/l%e2%80%99industrie-du-lol-et-ses-difficultes-a-traverser-l%e2%80%99atlantique/ http://owni.fr/2010/02/20/l%e2%80%99industrie-du-lol-et-ses-difficultes-a-traverser-l%e2%80%99atlantique/#comments Sat, 20 Feb 2010 07:30:52 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=8623 home_550_170

Dans sa version primitive, le LOL est un acronyme qui marque le rire sur Internet. Pris isolément, il constitue une réponse automatique à un stimulus humoristique (blague -> “lol”). Utilisé à la fin d’une phrase, il marque l’ironie et constitue un palliatif paresseux à une blague bien construite (“ta sœur est bonne lol”). Imperceptiblement, au tournant du siècle, le LOL s’est transformé pour devenir une banale locution de fin de phrase, assez similaire au “quoi”: “y a une redif’ des experts ce soir lol” ou “je t’aime lol”.

Mais ça, vous le savez déjà. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est l’évolution récente du LOL qui s’est émancipé des bas-fonds de la messagerie instantanée et des forums pour devenir un véritable genre. Aux Etats-Unis, le LOL est devenu une sorte de douzième art, une sous-culture foisonnante peuplée de héros dérisoires aussi appelés “mèmes”: les lolcatsle rick-rollingSarah PalinChristian Bale, le FAIL ou encore le bacon. Pour mieux comprendre le LOL et son importance culturelle, il faut le comparer à une sous-culture française bien connue, ce que l’on a appelé l’”esprit Canal”.

Implanté sur un média jeune et puissant (Canal +), une bande de jeunes (Les Nuls, Les Guignols…) imposait à la France entière ses délires (Régis est un con, “Mangez des pommes”…), qui passaient dans le langage commun et s’imposaient dans les cours de récré et autour des machines à café. Comparons maintenant à l’industrie du LOL américaine: implanté sur un média jeune et puissant (Internet), une bande de jeunes (4chanBuzzfeed…) impose à la terre entière ses délires (lolcats, rick-rolling…) qui passent dans le langage commun et s’imposent sur les blogs, les forums ou Facebook.

Le LOL, des égouts aux bobos

Mais contrairement à Canal + qui fonctionnait selon un modèle vertical (du haut vers le bas, du diffuseur au public), le LOL fonctionne selon un schéma horizontal (tout le monde peut créer un mème, le public est le diffuseur). Résultat: l’industrie du LOL couvre un spectre très large, des bas-fonds du web à la branchitude bobo.

Le LOL naît le plus souvent au fond des égouts, sur le légendaire forum 4chan et plus particulièrement sur le salon /b/, sorte de lie du peuple où s’agrègent contenus porno, blagues de mauvais goût et trouvailles formelles géniales. C’est dans ce lieu de débauche que sont nés les lolcats, chefs d’œuvres de l’ère numérique. Une trouvaille formelle d’une puissance telle que la Bible a fini par être traduite en langage lolcat.

Mais une sous-culture a besoin du soutien des élites pour prospérer, et notamment pour accéder aux médias. Le LOL s’est trouvé une officine branchée et cultivée avec le siteBuzzfeed qui laboure quotidiennement le web à la recherche de LOL déjà pré-digéré. Juste pour situer le niveau, le fondateur du site, Jonah Peretti a également co-fondé le Huffington Post. Quant à la star des contributrices, Peggy Wang, elle est le clavier du groupe de rock indé le plus cool de ce début d’année, The Pains of Being Pure At Heart.

A côté de 4chan et de Buzzfeed, l’industrie du LOL comprend bien sûr une série d’autres sites puissants comme I can haz cheezburgerEncyclopedia DramaticaURLesqueCollege Humor ou Best Week Ever. Sans même compter les LOL sectoriels qui prospèrent sur tous les champs d’intérêt possibles, comme cet étonnant LOLFED, site dédié à la distraction des traders américains.

Et en France, où en est-on?

Ben, on en est très loin, pour tout dire. A part quelques initiatives individuelles comme les articles de Diane Lisarelli sur lesinrocks.com (qui a réussi à imposer une rubrique “LOL”), l’intello Suivez le geek, le jeuniste MonsieurDream, l’égocentrique Henry Michel, le très geek Nioutaik ou encore BienBienBien, la France reste encore assez éloignée du phénomène LOL.

Je vois cinq raisons à cet isolement culturel dans une France pourtant en pointe en terme de démocratisation de l’Internet:

» La France est restée bloquée à l’âge du buzz

Alors que le buzz est un one-shot, le LOL se construit dans la durée. Le buzz, c’est un fait culturel qui se construit uniquement par la puissance du copié-collé: le lien ou la vidéo passe de blogs en blogs, sans aucune modification. Le modèle français du buzz, franchouillard et copié-collard, s’est construit sous l’influence des deux locomotives du genre, Chauffeur de Buzz etMorandini. Il n’a guère évolué depuis son heure de gloire fin 2007 avec les photos de Laure Manaudou à poil et reste aujourd’hui dominant dans le paysage français. Dépassant l’âge du buzz, le LOL utilise lui toutes les ressources de l’ordinateur (Photoshop, montage vidéo, achat de noms de domaine…) pour imposer son modèle de viralité recyclée.

» La France est restée bloquée à l’âge du geek

Rappelons la définition du geek: est geek celui qui n’a pas de copine ou celui qui a une copine mais qui ne parvient pas à lui expliquer ses activités sur Internet. C’est en tout cas la définition française. Aux Etats-Unis, depuis quelques années, cela ne marche plus puisque que le modèle ultime du geek est une fille. La geekette typique, urbaine et branchée, prend en gros les traits d’Amanda Lyn Ferri, inoubliable actrice de la scène d’ouverture du premier lipdub de l’histoire. Ce nouveau public féminin s’est emparée de l’industrie du LOL en développant les lolcats et autres vidéos “cute”, contribuant à démocratiser le phénomène. En France, le geek la joue ancienne école et en revient toujours au bout d’un moment à Star Wars. Ce qui ghettoïse les tentatives du genre, comme sur Suivez le geek ou Nioutaik.

» La France préfère ses LOL à elle

Dans une intention louable de résister à l’envahisseur américain, la France a développé des LOL locaux, comme les Martine ou Vie de merde. Mais ces diverses franchises ne collaborent malheureusement pas entre elles et aucun média n’est capable de les agréger pour définir une ligne commune au LOL français. Assez logiquement, ces tentatives isolées de LOL ne passent pas la frontière et devraient rester des mystères pour les futurs historiens de la culture Web.

» La France est un pays trop revendicatif pour être LOL

Les tentatives françaises de LOL sont souvent réduites à l’inefficacité à cause du vieux fond revendicatif qui traîne dans le cœur de tout Français. En France, le LOL bourgeois s’accompagne toujours d’un anti-hadopisme viscéral qui l’empêche d’atteindre la pureté post-idéologique du lolcat. BienBienBien en est l’exemple parfait. Pendant que l’on tape sur Christine Albanel et Luc Besson, on en oublierait presque de faire des lolcats sur Loic Le Meur.

» Les 4chaneurs français sont prépubères

On a vu avec l’exemple de 4chan que le LOL a besoin d’un forum peuplé de renégats géniaux pour prospérer. En France, à ma connaissance, le seul exemple d’un simili-4chan se trouve dans le forum 15-18 de jeuxvideos.com. Les êtres étranges qui peuplent ce salon ont créé un culte absurde autour du smiley Noël. Ils se font appeler les “noëlistes” et sont capables de lancer des vendettas sur Internet pour défendre leur précieux smiley. Le problème, c’est qu’ils ont entre 13 et 16 ans (toujours enlever deux ans sur les forums Internet) et que leur influence est donc très limitée. Comme nous le signale MasterBuck dans les commentaires, ces bataillons du LOL lâchent vite l’affaire, la maturité venue.

» Article initialement publié sur BienBienBien

» Illustration de Une par See-ming Lee sur Flickr


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