OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Revenu garanti, travail choisi http://owni.fr/2011/03/17/revenu-garanti-travail-choisi/ http://owni.fr/2011/03/17/revenu-garanti-travail-choisi/#comments Thu, 17 Mar 2011 18:38:23 +0000 Stanislas Jourdan & Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=52019 L’allocation universelle n’a rien d’une idée neuve. En revanche, elle a tout d’une idée marginale : utopique, sociale, portée par des mouvements alters… Les divers écoles de pensées qui tiennent au revenu minimum n’ont jamais réussi à percer le plafond de verre des médias grand publics. Malgré la tentative de Christine Boutin en 2003, ce débat là était resté verrouillé.

C’est pourquoi, en annonçant sur le plateau du JT de France 2, le 24 février 2011, son intention de proposer la mise en place un “revenu citoyen” de 850€, Dominique de Villepin suscite enthousiasme de ceux qui depuis longtemps défendent l’idée. Et si Villepin venait de briser un tabou ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La remise en cause du travail comme seul mode d’existence sociale

Car, en touchant au lien considéré comme sacré entre rémunération et travail, c’est à un pilier de la société moderne que l’on s’attaque : de l’obtention d’un crédit à la consommation à la location d’un appartement, d’une discussion entre amis à la présentation à la belle famille, l’emploi salarié est une norme sociale d’une puissance terrible. Sociologue du travail, Yolande Bennarosh décrypte ainsi cette « centralité historique du travail » :

[Elle] se résume essentiellement dans les couples droit-devoir, droit-obligation, contribution-rétribution qui impriment une conception du vivre-ensemble où c’est la contribution de chacun à la société qui le légitime à en attendre quelque chose en retour et lui assure la reconnaissance des autres. […] il devient, du même coup, le vecteur principal de l’identité personnelle et sociale.

De cette conception du travail comme seule façon « d’être en société » découle le fameux sentiment de malaise due à l’inutilité des chômeurs. Enfermé dans ce cocon anxiogène où il se répète qu’il ne « contribue pas à l’œuvre collective », le non-salarié est mûr pour les discours culpabilisant de Pôle Emploi et autres instituts de placement qui lui font porter personnellement la responsabilité de son inactivité. Un jugement d’autant plus injuste qu’avec la massification du chômage, il relève de la pirouette intellectuelle de transformer un fait de société en tragédie individuelle (même si l’exercice est devenu un classique du genre, notamment dans la lutte contre la toxicomanie).

Or, dissocier revenu et travail constitue justement une manière de répondre à cette angoisse sociale. Dans le régime actuel, la rémunération ne récompense qu’un seul type de contribution : le travail salarié. Une société qui distribuerait de manière « inconditionnelle » un revenu ne viserait à rien d’autre qu’à l’inclusion (par opposition à l’exclusion) de tous ses membres, laissant à chacun la liberté de choisir la façon dont il souhaite oeuvrer pour la collectivité. Un principe décrit par Alain Caillé (fondateur du Mouvement Anti-utilitariste dans les sciences sociales, ou Mauss) comme une « inconditionnalité conditionnelle ».

Donner aux citoyens le choix de leur contribution à la société

Et les réactions des bénéficiaires d’un revenu universel sont loin de la caricature de paresse que certains critiques agitent en épouvantail. Dans un village de Namibie où fut instauré un revenu minimum garanti, le chercheur Herbet Jauch fut lui-même surpris de l’effet de cette « manne » sur les habitants :

Nous avons pu observer une chose surprenante. Une femme s’est mise à confectionner des petits pains ; une autre achète désormais du tissu et coud des vêtements ; un homme fabrique des briques. On a vu tout d’un coup toute une série d’activités économiques apparaître dans ce petit village.

Assurés de leur subsistance par la puissance public, les citoyens cherchent des moyens de contributions pertinents au projet commun, des « activités chargées de sens aux yeux des individus eux-mêmes ». Un paradoxe plein de promesses : en donnant à chacun des chances égales de survie financière, cette expérience de revenu garanti a permis aux habitants de se ré-approprier le fonctionnement de leur société.

Réconcilier l’Homme et la machine

Mais l’enthousiasme des convaincus de l’allocation universelle se heurte souvent au mêmes doutes : si le travail n’est plus nécessaire pour vivre, qui continuera à occuper les emplois difficiles et mal payés, mais néanmoins nécessaires à la société ? Qui fera le métier de caissière, ira balayer les rues, ramasser les poubelles, et assurer l’entretien dangereux des centrales électriques ?

Selon David Poryngier du Mouvement des Libéraux de Gauche, il faut relativiser ces craintes  :

Au rythme où les caissières sont remplacées par des machines dans les supermarchés, je ne pense pas que ça soit une question critique. Plus sérieusement, on peut attendre un rééquilibrage du rapport de forces entre employeurs et travailleurs, au profit de ces derniers, dans les métiers les plus pénibles et les moins valorisants. Tout le contraire de la situation actuelle, où le chômage endémique tire les salaires vers le bas et prohibe toute négociation sur les conditions et les horaires de travail. Qui s’en plaindra ?

La rémunération inconditionnelle du travail pourrait “revaloriser” les métiers pénibles en leur garantissant un meilleur revenu, renversant le dumping social qui s’impose comme règle des échanges entre pays riches et pays à faibles coûts de main d’oeuvre.

Quant à l’hypothèse d’une substitution de l’homme par la machine pour les tâches ingrates, il permettrait d’inscrire la proposition d’allocation universelle dans la continuité des grandes luttes sociales de l’entre-deux guerres. Une sorte de nouveaux « congés payés » où, aux nouveaux choix de vie donnés par le temps libre, s’ajouteraient celui de l’occupation du temps de travail.

Pour en finir avec la « valeur travail »

Vu sous l’angle du rapport au travail, l’idée de l’allocation universelle s’impose comme une réforme subversive. En renversant le rapport au travail et à sa valorisation dans la société, il met sens dessus-dessous le fondement des débats électoraux des dernières années axés sur le pouvoir d’achat. Car, tandis qu’en 2007, un certain Nicolas Sarkozy était élu sous le slogan du « travailler plus pour gagner plus » et de la fameuse « valeur travail », et qu’à gauche, on nous promettait le retour du plein emploi salarié, l’allocation universelle nous propose un voie alternative vers l’utilité sociale choisie.

Retrouvez notre dossier spécial sur le revenu citoyen :

Crédits photo FlickR CC : dunechaser / Jordan Prestot

]]>
http://owni.fr/2011/03/17/revenu-garanti-travail-choisi/feed/ 43
Financement du revenu de vie: une bonne affaire pour les comptes publics? http://owni.fr/2011/03/17/financement-revenu-universel/ http://owni.fr/2011/03/17/financement-revenu-universel/#comments Thu, 17 Mar 2011 18:17:11 +0000 Stanislas Jourdan & Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=52002 Le bal des idées politiques a ceci de commun avec le bal de jeunes premiers qu’il faut être recommandé pour y entrer. Pour les jeunes premiers par un organisateur. Pour les idées politiques par des économistes. Or, de ce point de vue, l’idée de revenu de vie n’est pas vraiment habillée à la dernière mode : devant les ratés du RSA, les mesures de rigueur budgétaire et les pistes de plus en plus sérieuses de privatisation de l’assurance maladie et autres prestations sociales, les modèles de financement d’une allocation inconditionnelle laissent les fiscalistes de marbre.

Sur la question du financement, les pistes proposées par les promoteurs de l’allocation universelle et du revenu de vie ne sont pas prises au sérieux par les économistes, note Marc de Basquiat, chercheur au Groupement d’économie quantitative d’Aix-Marseille. Et pour cause : la plupart des théoriciens ne sont pas des économistes eux-mêmes mais des philosophes qui cherchent d’abord à convaincre des courants de pensées politiques, notamment de gauche. Pour eux, taxer les flux spéculatifs ou les rentes sont des solutions. Pour les économètres, ce genre de plan de financement n’est pas solide. »

Conséquence de quoi, en ces temps où l’État se fait gestionnaire, le revenu universel reste à la marge des grands débats… alors même que certaines pistes de financement pourraient résoudre certains problèmes de gestion de l’État-providence.

Zéro niche fiscale, 30% d’impôt sur le revenu et 12€ par jour pour chaque adulte

Dans la jungle fiscale, l’économiste Anthony Barnes Atkinson a dégainé le coupe-coupe avec son ouvrage Public Economics In Action (1996). Pour cet économiste inspiré des théoriciens scandinaves de l’ État-providence :

La proposition d’un basic income / flat tax et les diverses variations autour de ces éléments ont suscité un large intérêt dans de nombreux pays […] de mon point de vue, [une telle proposition] devrait être à l’ordre du jour de toute discussion fiscale sérieux ou de réforme de l’aide sociale au XXIe siècle.

Son idée: faire table rase des taxes directs pour créer un impôt sur tous les revenus (de 25 à 30%, la « flat tax ») afin de garantir à chacun un revenu minimum (différents selon les âges). Sans exception ni niche fiscale, l’objectif avoué de ce système est de rebattre les cartes de l’État-providence pour assurer une redistribution plus efficace sans décourager le travail. Très répandue dans les pays anglo-saxons, cette version du revenu minimum garanti trouve également des défenseurs en France. Marc de Basquiat y voit un outil de substitution efficace à une cascade de prestations sociales dont :

  • Allocations familiales
  • Complément familial
  • Allocation de base de la PAJE (sous conditions de ressources)
  • Revenu Minimum d’Insertion (RMI)
  • Revenu de Solidarité Active (RSA)
  • Allocation de Solidarité Spécifique (ASS)
  • Prime pour l’Emploi (PPE)
  • Allocation Parent Isolé (API)
  • Allocation d’Insertion (AI)
  • Bourses d’études sur critères sociaux
  • Quotient conjugal et quotient familial
  • Décote de l’impôt sur le revenu
  • Exonération des charges sur les bas salaires
  • Niches fiscales
  • etc…

Résultat de cette mise à plat, les calculs des diverses pondérations (âge, handicap…) seraient largement simplifiés et le « parcours de l’argent », (depuis ce nouvel impôt sur les revenus jusqu’à sa redistribution) deviendrait plus clair aux yeux de tous.

Un impôt unique: la TVA sociale?

Dans la vision du Grundeinkommen, le revenu de base dans sa version allemande et suisse, le financement repose sur une TVA sociale boostée dont le taux pourrait atteindre… 50 % ! De quoi faire bondir plus d’un Français: à quoi bon percevoir un revenu de base si toutes les dépenses augmentent ?

A ceci prêt que les économistes Dani Häni et Enno Schmidt font de cette super TVA un impôt général, remplaçant jusqu’aux cotisations salariales et patronales. Dans leur logique, le travail n’étant plus le seul et unique facteur d’intégration sociale, il n’y a aucune raison que sa taxation finance majoritairement le revenu de base.

Avantage de ce mode de financement, il fait de chaque citoyen un contributeur et un bénéficiaire: tout le monde reçoit et tout le monde paie. Les plus pauvres voyant ainsi la taxation compensée par l’octroi du revenu de base, instaurant une progressivité malgré la taxation unique.

Intitulé des colonnes de gauche à droite : 1. revenu de base ; 2. revenu du travail ; 3. revenu global brut ; 4. revenu disponible ; 5. imposition ; 6. taux d'imposition réel

Ainsi, comme l’explique la vidéo sur le revenu de base, pour ceux qui touchent un salaire inférieur au montant du revenu de base (fixé à 1000€ dans cet exemple), le taux de taxation est nul puisque c’est l’administration fiscale qui, par le revenu de base, a financé les 1000€ de pouvoir d’achat. En revanche, plus le revenu du travail augmente, plus c’est le revenu du travail qui est indirectement imposé. Le taux d’imposition augmente ainsi progressivement.

Par ailleurs, l’avantage de la TVA sociale comme impôt unique réside aussi dans sa facilité de mise en œuvre. Là où l’imposition du travail ou des revenus du capital requièrent l’intervention d’une armée de contrôleurs fiscaux pour dénicher les inévitables resquilleurs, la TVA sociale est d’une grande facilité de contrôle, contournant par ailleurs les pertes occasionnées par le travail au noir.

Dernier avantage: pour peu que des pays exportateurs continuent de taxer le travail plutôt que de mettre en place cette super TVA, la « double taxation » qui en découlerait agirait comme un puissant outil anti-délocalisations. A moins que ce système ne se généralise à l’étranger.

Le retour de la planche à billets?

Ne riez pas, cette proposition est très sérieuse.

Dans les années 1920 déjà, un ingénieur britannique, Clifford Hugh Douglas proposait la mise en place d’un « crédit social ». Ce dernier a été à l’origine du Social Credit Movement qui connu un certain succès à l’époque, notamment au Canada.

Parmi les premiers à démontrer la production monétaire par le crédit bancaire (dit argent-dette), Douglas a construit sur ce constat une proposition résumée dans son ouvrage Social Credit : aligner la création monétaire à la croissance du PIB, et de distribuer l’argent ainsi “fabriqué” sous la forme d’un dividende reversé à chaque citoyen. Malheureusement, l’école monétariste et le système bancaire de réserves fractionnaires a entre temps gagné la faveur des politiques, et la moindre proposition de faire “tourner la planche à billets” donne aujourd’hui des boutons aux dirigeants.

Il aura fallu attendre longtemps avant que des ouvrages ne remettent au goût du jour ce type de théories, et notamment celui de Stéphane Laborde, La Théorie relative de la monnaie, dans lequel il démontre, par des critères mathématiques, la pertinence d’un dividende universel correspondant à environ 15% du PIB. Non sans hasard, Yoland Bresson, après avoir écrit, Le revenu d’existence ou la métamorphose de l’être social, en 2002, a signé la préface de l’ouvrage de Laborde.

C’est que ces théories sont intimement liées : le revenu d’existence de Bresson, tout comme le «dividende universel » de Laborde se justifient par l’idée selon laquelle « un citoyen sans argent n’est rien », et qu’il est légitime que les citoyens bénéficient concrètement des richesses de la zone économique à laquelle ils participent. Du coup, à la différence des tenants de l’« allocation universelle », ces théories défendent l’idée d’un dispositif non pas redistributif, mais directement distributif. Ce qui implique que son financement ne peut provenir que d’une masse monétaire nouvelle, et non de la redistribution fiscale. Un peu comme au Monopoly, lorsque les joueurs repassent la case départ…

Dès lors, l’idée que la création monétaire pourrait “financer” – en partie au moins – le revenu universel devient une hypothèse viable du point de vue des finances publiques… D’autant plus que cette proposition n’implique pas de faire table rase du système de redistribution actuel, contrairement aux propositions précédentes… En revanche, à moins de recourir à une monnaie complémentaire, cela nécessiterait de s’attaquer à la forteresse du système monétaire et à son donjon: la Banque Centrale Européenne…

Dépasser l’illusion de l’impossible financement

En prouvant la viabilité de ce que beaucoup considèrent comme une « utopie », les diverses formes d’allocation universelle montrent une limite bien réelle du système social français: le bug de la machine à redistribuer les richesses. Prélevés par mille mécanismes, réinjectés par autant d’aides, allocations et crédits d’impôts, les revenus des Français empruntent des tuyaux incompréhensibles qui, au final, ne permettent même pas une compensation des inégalités sociales. Se penchant sur la mise en place du RSA, Philippe Mongin, membre du Conseil d’analyse économique faisait de cet enjeu une question démocratique :

La transparence du système de transferts positifs ou négatifs décidés par l’État – au-delà, donc, du système de solidarité lui-même – se recommande au nom du principe de légitimité démocratique. Il importe non seulement que justice redistributive soit rendue, mais que la collectivité sache à quoi elle s’engage en la matière. Ce ne sont donc pas seulement les bénéficiaires, mais aussi le contribuable et le citoyen, qui trouveraient leur compte à un rassemblement des dispositifs autour d’une allocation simple et cohérente. Une fois qu’elle percevra mieux les coûts et les bénéfices, la collectivité peut évidemment choisir de modifier ses engagements initiaux.

Malgré l’affichage d’ambitions réformatrices, pas sûr que le « Grenelle de la fiscalité » annoncé par le président de la République, fasse écho à cette idée ambitieuse de « démocratie des finances publiques ». L’idée que la plomberie incompréhensible de la fiscalité française reste peu redistributive avait déjà été développée dès 1999 dans le rapport de François Bourguignon et Dominique Bureau. A l’époque, déjà, la réforme de la TVA et des autres modes d’imposition directs ou indirects agitait un autre gouvernement, de gauche celui-ci. Bourguignon et Bureau affirmaient qu’il y avait « peu à attendre » de la réforme de ces impôts. Et déjà, les deux économistes réfléchissaient à la curieuse solution d’Atkinson d’une taxe unique sur les revenus… et d’un revenu inconditionnel pour tous.

Retrouvez notre dossier spécial sur le revenu citoyen :

>> Illustrations CC flickr Paul falardeau ; Paul Nicholson

]]>
http://owni.fr/2011/03/17/financement-revenu-universel/feed/ 18