OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 CES 2011 : le rapport complet d’Olivier Ezratty http://owni.fr/2011/01/24/ces-2011-le-rapport-complet-dolivier-ezratty/ http://owni.fr/2011/01/24/ces-2011-le-rapport-complet-dolivier-ezratty/#comments Mon, 24 Jan 2011 15:30:25 +0000 Olivier Ezratty http://owni.fr/?p=43602 Le Consu­mer Elec­tro­nics Show s’est achevé le dimanche 9 jan­vier 2011. Avant de lire mon rap­port CES exhaus­tif de 240 pages disponible en bas de cet article, voici un pre­mier aperçu de cette visite.

C’était un peu le salon de la reprise. Le nombre de visi­teurs aurait atteint envi­ron 140.000 per­sonnes, alors qu’il était des­cendu à moins de 110.000 en 2008, puis remon­tait len­te­ment la pente depuis. Cela se voyait dans les allées, dans les confé­rences de presse, et même dans le tra­fic rou­tier très conges­tionné de Las Vegas. Le salon est plein d’innovations mais, comme d’habitude, on n’y découvre pas d’innovations de rup­ture. L’innovation est un pro­ces­sus gra­duel, per­ma­nent. Avec des sou­bre­sauts, des phé­no­mènes d’expansion ou de reflux. C’est un peu ce que l’on pou­vait obser­ver au CES cette année concer­nant la 3D, les télé­vi­sions connec­tées, les inter­faces uti­li­sa­teurs, tout comme avec les tablettes et mobiles. La para­doxe du “rien de vrai­ment nou­veau” cou­plé à “plein de nouveautés” !

La 3D

La vidéo 3D était mise en valeur par l’ensemble des construc­teurs qui veulent pous­ser très proac­ti­ve­ment leurs nou­velles offres asso­ciées auprès des consom­ma­teurs. Cela concerne évidem­ment les écrans, mais aussi les sources (lec­teurs Blu-ray, set-top-boxes) tout comme les moyens de cap­ture qui se mul­ti­plient pour le grand public avec de nom­breuses camé­ras (Sony, Pana­so­nic, JVC, etc.) et quelques appa­reils photo qui fonc­tionnent en 3D (notam­ment chez Sony).

Du côté de l’affichage, le débat fait rage sur les mérites res­pec­tifs des lunettes actives et pas­sives, j’y revien­drai dans le rap­port. On trouve des solu­tions d’affichage sans lunettes dites “auto sté­réo­sco­piques” mais elles sont tou­jours très moyennes. Il faut dire que c’est un pro­blème tech­nique assez dif­fi­cile – voire impos­sible – à résoudre. On se console donc avec des lunettes 3D sty­lées que l’on peut trou­ver chez Sam­sung, LG Elec­tro­nics, tout comme chez une myriade de socié­tés plus spé­cia­li­sées, dont, sur­prise, Pola­roid qui en lan­çait une paire conçue par Lady Gaga, venue sur leur stand et atti­rant une foule considérable.

Télé­vi­sions connectées

La grande nou­velle du CES 2011, c’est que Google TV n’est plus l’épouvantail de l’industrie qu’il incar­nait depuis son lan­ce­ment en avril 2010. Tout du moins, pour l’instant. À la fois parce que qua­si­ment aucune solu­tion nou­velle le met­tant en œuvre n’était annon­cée (à part Sam­sung qui pré­sen­tait en cati­mini un boi­tier “over the top” et un lec­teur Blu-ray sous Google TV), Google ayant demandé à ses par­te­naires construc­teurs de repous­ser leurs annonces. Mais aussi parce que la solu­tion est pour l’instant assez déce­vante à l’usage, tout du moins lorsque l’on sou­haite consom­mer de la télé­vi­sion “à l’ancienne” et pas juste sur You­Tube. J’ai pu le consta­ter chez Sony, Logi­tech et Dish Net­work, les trois stands où Google TV était exploitable.

En consé­quence de quoi, on pou­vait obser­ver les TV connec­tées qui conti­nuent de s‘améliorer “en silo” chez les grands et petits construc­teurs, comme chez LG Elec­tro­nics dont la LG SmartTV semble être une des plus abou­ties de ces solu­tions (ci-dessous).

J’ai pu égale­ment regar­der de près l’offre IPTV multi-écrans de Veri­zon (FiOS) qui a l’air d’être assez com­plète, avec les chaines des grands net­works dis­po­nibles en strea­ming live sur iPad et autres écrans mobiles. Comme quoi, à l’instar de nos FAI en France, les opé­ra­teurs télé­coms ont encore leur rôle à jouer dans les TV connectées.

Télé­com­mandes

Com­ment pilo­ter sa TV ou sa set-top-box, tout comme ses consoles de jeu ? Les com­mandes ges­tuelles étaient très pré­sentes sur le salon. Résul­tat de l’effet “Kinect”, la solu­tion de Micro­soft pour la XBOX 360 qui s’est ven­due à 8 mil­lions d’exemplaires en deux mois, un record dans la sor­tie d’un nou­veau pro­duit grand public. Der­rière ces solu­tions, on trouve des four­nis­seurs de tech­no­lo­gies comme l’israélien Pri­me­Sense à l’origine de Kinect et qui licen­cie à tour de bras sa tech­no­lo­gie de chip­set et son refe­rence design, notam­ment chez Asus (ci-dessous). Vous ris­quez donc de la voir appa­raitre un peu par­tout. Sans comp­ter les tech­no­lo­gies des concur­rents de Prime Sense qui uti­lisent le “Time of Flight” pour détec­ter les mou­ve­ments (nous y reviendrons…).

On trou­vait aussi sur le salon un très grand nombre de petits cla­viers sans fil. Beau­coup plus que les années pré­cé­dentes. Que ce soit pour s’interfacer avec une tablette, un smart­phone ou un PC media center.

Des tablettes mises à toutes les sauces

Je ne vous appren­drai rien en vous indi­quant que l’on trou­vait plein de tablettes au CES.

La plu­part étaient sous Android et notam­ment dans la ver­sion Honey­comb qui sup­porte bien les inter­faces tac­tiles. On en trou­vait autant chez les grandes marques (Sam­sung, LG, Pana­so­nic, Acer, Asus, etc.) que chez les socié­tés chi­noises qui les fabriquent en stan­dard (OEM) ou sur mesure (ODM). À ceci près que les tablettes bas de gamme sont en géné­ral équi­pées de pro­ces­seurs bas prix ané­miques. Il faut s’en méfier.

Un phé­no­mène inté­res­sant : la fron­tière entre smart­phones et tablettes voire net­books s’amenuise. Il est incarné par l’Atrix de Moto­rola, son nou­veau smart­phone sous Android qui pré­sente la par­ti­cu­la­rité d’être asso­ciable à une docking sta­tion en forme de net­book très plat (ci-dessous). C’est très sédui­sant comme concept.

On trou­vait aussi des tablettes sous Win­dows avec ou sans cla­vier, notam­ment chez Dell, Sam­sung et Asus. Peut-être un revi­val des “Tablet PC” qui n’ont jamais vrai­ment percé sur le marché.

ebooks et e-readers

Côté ebooks, j’ai été sur­tout bluffé par l’écran e-paper en cou­leur Mira­sol de Qual­comm (ci-contre), pré­senté pour la pre­mière fois au CES. On attend tou­jours les ebooks qui en seront équi­pés. La pro­duc­tion de ces écrans, pour l’instant au for­mat 7 pouces,  aurait déjà démarré donc cela ne devrait pas tarder.

Les construc­teurs d’ebooks se dif­fé­ren­cient main­te­nant plu­tôt dans les offres de conte­nus que dans leur maté­riel, tel­le­ment ils sont stan­dar­di­sés autour des écrans pro­ve­nant d’e-ink.

Android partout

Le phé­no­mène est très mar­quant. On trouve Android mis à toutes les sauces : dans les tablettes, dans les smart­phones, dans cer­tains net­books, dans les TV et cer­taines set-top-boxes et même dans les auto­ra­dios. Sa gra­tuité n’y est pas pour rien. Mais peu d’appareils sont cer­ti­fiés Google et cha­cun a son propre “Appli­ca­tion Store”. Je vous expli­que­ pour­quoi dans mon rap­port CES 2011.

4G

Ce salon mar­quait aussi la mon­tée en puis­sance de la 4G dans la mobi­lité. Elle est pous­sée par les opé­ra­teurs (Veri­zon, Sprint, etc) comme par les construc­teurs (Sam­sung, LG, etc). Avec des déploie­ments qui vont varier d’un pays à l’autre. On pou­vait cepen­dant noter l’absence d’AT&T sur le salon.

Pro­ces­seurs

Un grand nombre des inno­va­tions évoquées ont comme ori­gine les évolu­tions des pro­ces­seurs embar­qués. Leur rôle est cri­tique et je vais le décryp­ter dans mon rapport.

On trou­vait au CES des socié­tés comme Intel mais aussi Qual­comm, Broad­com, ST Microe­lec­tro­nics, Mar­vell, Athe­ros, qui ont toutes des offres inté­res­santes. Qual­comm, encore lui, pro­pose main­te­nant son Sys­tem On Chip Snap­dra­gon en ver­sion bi-coeur, que l’on retrou­vait dans divers smart­phones. Idem dans la TV, où les Atom Soda­ville et Gro­ve­land (Intel), le 7225 de Broad­com et le 7108 de ST Microe­lec­tro­nics rendent pos­sibles la créa­tion des set-top-boxes de la nou­velle génération.

Le rôle de ces pro­ces­seurs embar­qués est tel que Micro­soft a annoncé au début du salon le sup­port de cer­tains d’entre eux, notam­ment sur archi­tec­ture ARM, dans la pro­chaine ver­sion 8 de Windows.

Il faut aussi noter le rôle tout aussi cri­tique des cap­teurs : gyro­scopes, GPS, accé­lé­ro­mètres, cap­teurs de pres­sion, de lumi­no­sité, qui s’intègrent dans tous ces objets numé­riques. Ces nou­veaux cap­teurs sont notam­ment uti­li­sés dans un tas de solu­tions dédiées à la santé, assez nom­breuses sur le salon.

J’ai même vu un nano­com­po­sant de spec­tro­gra­phie qui pour­rait ser­vir à amé­lio­rer le cal­cul auto­ma­tique de la balance des blancs dans les appa­reils photos.

De l’AppStore au Crapstore

Le « craps­tore » est un dimi­nu­tif décri­vant la variété de ces gad­gets maté­riels qui com­plètent les pro­duits Apple. On en trouve une quan­tité tou­jours incom­men­su­rable, avec la nou­veauté de l’iPad à laquelle tout “l’after mar­ket” s’est adapté en juste quelques mois.

Il y a bien entendu plein de trucs clas­siques sans grand inté­rêt (les pochettes en cuir, les coques en cou­leur, les sta­tions d’accueil) mais d’autres gad­gets peuvent être plein d’ingéniosité ou sur­prendre. Il en va ainsi de ce sys­tème de karaoké pour iPad (ci-dessous). La liste est très longue et vous aurez droit à un repor­tage photo com­plet de ces gad­gets dans le Rap­port CES.

De nom­breux Français

Il y avait beau­coup de Fran­çais au CES 2011, autant visi­teurs qu’exposants. J’ai décou­vert pas mal de socié­tés fran­çaises qui expo­saient pour la pre­mière fois, sans comp­ter les Fran­çais qui dirigent des PME inno­vantes à l’étranger (USA, Hong-Kong). Mon inven­taire des socié­tés fran­çaises expo­sant bat des records depuis que je visite le CES (2006). C’est un signal très encou­rageant du dyna­misme de nos PME innovantes.

Par­rot est l’une d’entre elles et est bien connue pour exploi­ter le CES pour ses grands lan­ce­ments. La société a encore mar­qué des points avec le lan­ce­ment de son auto­ra­dio sous Android, l’Asteroid (ci-dessous).

Voilà pour com­men­cer. Ce salon reste un émer­veille­ment tel­le­ment on y croise de nou­veau­tés, même si elles ne sont pas radicales. Les usages numé­riques sont infi­nis, les com­bi­na­toires illi­mi­tées. Il faut juste savoir conser­ver le regard d’un enfant émer­veillé lorsque l’on visite le salon. Sans comp­ter cette folle ville qu’est Las Vegas.

Retour et rap­port CES

Le rapport exploi­te une base de 4.400 pho­tos, 190 vidéos et 120 Go de conte­nus à trier, cap­tés avec mon Canon 5D Mark II. Du pain sur la planche ! Vous pouvez télécharger le rapport de Olivier Ezratty :


Vous pou­vez aussi regar­der les inter­views sous Skype réa­li­sées avec notre ami à tous Jean-Michel Billaut pen­dant toute la durée du salon (Day 1Day 2Day 3Day 4 et Day 5) !

Article initialement publié sur le blog Opinions Libre

>> photos de Olivier Ezratty / image de clé CC TechCocktail

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Le plan de résistance bancal des chaînes face à Google TV http://owni.fr/2010/12/07/le-plan-de-resistance-bancal-des-chaines-face-a-google-tv/ http://owni.fr/2010/12/07/le-plan-de-resistance-bancal-des-chaines-face-a-google-tv/#comments Tue, 07 Dec 2010 19:00:25 +0000 Olivier Ezratty http://owni.fr/?p=37928 Le 19 octobre 2010, les dirigeants des principales chaînes de la TNT publiaient une charte “sur les modalités d’affichage des contenus et ser­vices en ligne sur les téléviseurs et autres matériels vidéo connectés publiée” (pdf). Sans que son nom soit cité, la charte vise sur tout Google et son service Google TV qui fait craindre le pire aux chaînes.

Elles lèvent ainsi les boucliers pour éviter la “googlization” de leur business, à savoir la fuite de leurs revenus publicitaires vers le numéro un de l’Internet. Aux USA, les principaux networks de chaînes TV, celui de Viacom (MTV, etc) ayant réagi en dernier, n’y sont pas allés par quatre chemins. Point de charte, mais un simple refus de voir leurs contenus exploitables via Google TV, assorti d’un blocage technique de cet usage (limité en tout cas à la web vidéo streamée et non à celle qui est broadcastée, qui n’est pas contrôlable facilement) !

L’approche mérite d’être examinée un peu plus en détails. C’est une étude de cas en devenir d’une industrie qui résiste aux coups de boutoir de l’innovation technologique dans son secteur et qui cherche à préserver son modèle économique menacé. Elle pose plusieurs questions clés que je vais essayer de traiter dans cet article :

  • Quelle est la menace réelle sur ces chaînes TV qui pour l’essentiel vivent du revenu publicitaire ?
  • Leur approche défensive est-elle la bonne face à Google ? Leur plan de résistance est-il vain ?
  • Les chaînes ont-elles d’autres options ? Qui pourraient être les alliés des chaînes dans cette lutte ?
  • Quelle peut-être l’attitude de Google et de ses partenaires face à la résistance des chaînes TV ?
  • Quelle est la place du consommateur et de ses besoins dans cette petite guerre de survie ?
  • Quel est le contenu de la charte ?

L’expérience du téléspectateur sous le contrôle des chaînes

En général, une charte rassemble différentes parties qui se mettent d’accord sur un “gentleman agreement” pour réguler telle ou telle industrie ou pan de la vie publique.

Ici, les chaînes TV se sont organisées en cartel pour imposer leurs vues. Le propos est simple voire simpliste : leur contenu ne sera diffusable que via les acteurs industriels qui respecteront les principes de la charte. A savoir que le contenu et l’expérience du télé spectateur dans et à partir de ce contenu doivent rester entière ment sous le contrôle des chaînes TV. Rien que ça !

Le principe est détaillé dans la seconde page de cet oukase de trois pages. Mais avec quelque ambigüité ! Il ne précise pas si les services sont interdits uniquement dans la fenêtre vidéo de la chaine (en cas d’écran partiel) ou autour, voire avant, ou après. Une nuance importante !

Enfin, les chaînes TV affichent leur préférence pour une solution technologique qui garantisse la charte, et sans la nommer. Mais cela ressemble fort à un soutien de HbbTV, standard franco-allemand que les chaînes TV cherchent à imposer.

Le standard HbbTV

Ce standard définit la manière dont des services interactifs issus de l’Internet sont associés aux contenus TV broadcastés, quel que soit le tuyau: hertzien, satellite, câble, IPTV. Pour faire simple, HbbTV permet aux chaînes TV d’associer leur contenu TV à des services en ligne faciles d’accès à partir de la télécommande. En d’autres termes, c’est une forme de migration du Télétexte vers l’Internet pour ces chaînes.

En théorie, les caractéristiques techniques de HbbTV permettent aussi de créer des services en ligne indépendants des chaînes TV. Ils sont développés à partir de technologies de type web (HTML, etc). HbbTV va apparaitre dans les premiers téléviseurs en 2011 et pourrait être supporté par les FAI dans la même période, sachant que ce support est intégré dans les générations de processeurs les plus récentes de ST Microelectronics et apparaitra également chez Broadcom. Ce sont les deux premiers concepteurs mondiaux de processeurs pour décodeurs !

La charte est en tout cas pour le moins curieuse dans la forme: les chaînes sont d’accord avec elles-mêmes ! Elles imposent leurs vues. On peut se demander quelle est la léga lité de l’approche. Le droit semble quelque peu dépassé par les événements et la technologie !

Mais les chaînes TV pourraient ne pas en rester là et à l’envi déployer leur lobbying pour faire évoluer la règlementation. Une menace à ne pas sous-estimer pour le consommateur voire pour les autres acteurs industriels tant l’exception culturelle française peut-être le prétexte à moult galipettes règlementaires !

La menace sur les chaînes TV

Les chaînes TV réagissent ainsi pour des raisons qui se comprennent : elles vivent pour l’essentiel du revenu publicitaire et les évolutions tech­nologiques type “TV connectées” peuvent constituer des menaces mortelles pour elles.

Mais ce fut également le cas des enregistreurs numé­riques de télévision, popularisés il y a dix ans par TiVO et plutôt communs depuis que la plupart des opérateurs et constructeurs en proposent. Ils permettent de facilement zapper la publicité. Pourtant, malgré les sons de cloche alarmistes, les PVR (personal video recorders) n’ont pas sérieusement entamé les revenus publicitaires des chaînes. Il faut dire qu’en France, l’usage du PVR ne s’est pas fortement développé, handicapé entre autres par la taxe sur la copie privée qui grève le coût des disques durs intégrés dans les décodeurs.

Le pire des cas de figure serait pour les chaînes de voir Google TV se déployer à grande échelle sur les nouvelles TV connectées, et que l’on assiste à une migration de valeur de la publicité TV vers Google. Qui plus est, comme sur Internet, la délocalisation du chiffre d’affaire publici­taire hors de France priverait l’ensemble des acteurs économiques de cette manne de revenus. Google ferait son beurre avec de la publicité contextualisée liée aux besoins des consommateurs et apparaissant avant ou après les programmes, voire pendant si Google ne respectait pas la charte.

La publicité contextualisée devenant le fort de Google, il resterait un peu de “brand marketing” pour les chaînes TV. De plus, la consommation de contenus vidéo sur les Google TV serait fortement délinéarisée, et pilotée pour l’essentiel par la fonction de recherche.

Les menaces sur les chaînes TV pèseraient par ricochet sur la production cinématographique française. Les chaînes TV, et pas seulement Canal+, contribuent en effet lourdement à la production locale ! Les chaînes gratuites ont ainsi financé 110 millions d’euros et les chaînes payantes 195 millions des 1259 millions d’euros de la production cinématographique française en 2009, soit le quart. Sans compter les téléfilms !

Cela fait pas mal de “si”. Car pour que ce scénario se réalise, il faudrait non seulement que Google TV soit présent sur une masse critique de téléviseurs (on n’y est pas encore), et que l’usage suive la disponibilité de la fonction. Or, dans l’électronique de loisirs, il y a toujours un grand décalage entre la disponibilité d’une fonction et l’usage proprement dit…

L’approche défensive est-elle la bonne ?

On peut se demander si les chaînes ne se trompent pas de bataille. Le risque le plus important n’est-il pas de voir la consommation de TV et de vidéo évoluer vers d’autres contenus que ceux des chaînes ? Le risque le plus grand n’est-il pas de voir les grandes séries TV américaines diffu­sées directement via des offres type Netflix ? Ou de voir les téléspectateurs passer plus de temps dans YouTube et autres DailyMotion que sur leurs programmes habituels?

A force de vouloir limiter la manière dont leurs contenus sont consommés, les chaînes TV ne se tirent-elles pas une balle dans le pied alors qu’elles devraient proposer des usages nouveaux (un peu comme France 2 l’a fait à l’IBC 2010 dans sa démo de HbbTV sur TV LG) plutôt que de créer des interdits stériles ?

Avec leur charte, les chaînes TV  :

  • S’érigent en freins apparents à l’innovation. C’est une attitude rétrograde négative. C’est certes une question de survie, mais on ne survit pas en limitant la liberté des autres !
    Ainsi, quid des fonctions de recommandation qui permettraient de connaitre l’offre de films d’un acteur ou d’un réalisateur qui passent en direct sur une chaine, que l’on a déjà vus, mais disponibles sur d’autres chaînes ou en VOD, dans la prolongation d’une interface équivalente à celle de la Neuf Box Evolution (ci-dessous) ? Verboten ?
  • Cherchent à contrôler une réalité technologique qui leur échappe. Elles ignorent ainsi plusieurs scénarios d’usages comme le multi-écrans, où un écran tel qu’un smartphone ou une tablette pilote le contenu affiché sur la télévision.
    Dans un pareil cas, la charte des chaînes pourrait être parfaitement respectée mais pas l’esprit. Ce qui montre un peu son absurdité. Et quid des micro-ordinateurs, de plus en plus uti­lisés par les jeunes pour regarder la TV, avec un simple tuner TNT de 40€ ?

Elles devraient plutôt maximiser l’audience sur tous les supports au lieu de créer des barrières dans ces usages. Leur attitude limitant par exemple l’usage du “live” dans les solutions multi-écrans des FAI est risible, même s’il y a quelques raisons cachées plus ou moins valables (mesure de l’audience, peur de la copie, etc) ! Il en va de l’absence de TF1 et M6 dans la solution SFR Neuf Box Evolution sur smartphones et tablettes, tout comme celle des mêmes chaînes sur VLC lorsque l’on veut les visionner sur son PC chez Free ! Leur “wall-gardenisation” (si je peux me permettre) de la TV de rattrapage est un autre moyen de leur part de limiter la flexibilité d’usage des consommateurs. Elle force les utilisateurs à aller dans les portails de catch-up de chaque chaîne au lieu de permettre l’émergence de solutions multi-chaînes plus faciles d’usage !

Les risques “d’overlay” évoqués par la charte sont-ils réels ?

Ce n’est pas l’approche de Google. Celui-ci cherche surtout à habiller la recherche des contenus et à faire de la publicité ciblée avant et après visualisation des contenus. Le risque est encore plus faible sur le “live”. Si les contenus sont de bonne qualité, les téléspectateurs continueront d’en profiter. Si le “live” est toujours consommé, la publicité qu’il contient sera toujours efficace. Mais le pire, pour les chaînes, est que Google est en fait capable de capter leur valeur tout en respectant leur cahier des charges défensif ! Lorsque l’on est sur un site web via Google, il n’y a aucune trace de Google sur ce site; pourtant, Google a capté une grande partie de la valeur par le moteur de recherche et sa publicité, la plus contextuelle de toutes sur le web.

On aurait pu en tout cas rêver d’une charte plus positive et avenante, avec des engagements de services et d’innovations ! Une charte qui pro­pose plus qu’elle n’impose !

Innover plutôt que résister à l’innovation

Les chaînes TV font bloc contre la menace de Google TV parce qu’elles en ont les moyens. D’autres industries qui se sont faites Napsterisées (musique) ou googlizées (presse) n’ont pas eu cette chance. Mais elles ont connu des difficultés parce qu’elles n’ont aussi pas su évoluer en temps et en heure.

Les chaînes TV ont quelques autres options sous le coude pour lutter contre Google et la menace supposée associée :

  • Trouver de alliés objectifs.
    Les FAI pourraient jouer ce rôle. Eux aussi sont menacés par Google TV car il remet en cause leur rôle de tuyaux à valeur ajoutée avec leurs décodeurs TV. Ils ont encore leur mot à dire et peuvent innover dans leurs solutions triple play comme le démontrent notamment SFR avec la Neuf Box Evolution et Free avec la très attendue Freebox 6 qui devrait sortir avant la fin de l’année. De plus, la clientèle des FAI correspond à peu de choses près à la clientèle potentielle de Google TV, avec un nombre de foyers adressables intermédiaires situé entre les 6 millions disposant de l’IPTV et les 12 et quelques millions ayant un débit d’au moins 4 mbits/s. Pourtant, nous avons vu que les chaînes limitent aussi sérieusement ce que peuvent faire les FAI dans leur décodeur. Pour quoi s’aliéner des alliés objectifs alors que la menace est sérieusement contingentée dans leur canal de diffusion ?
  • Adopter ou amplifier une stratégie de diffusion tout azimut, un peu comme Canal+ qui cible tous les tuyaux (hertzien, satellite, câble, ADSL) et tous les écrans (TV, TV connectée, smartphones, tablettes, PC, consoles de jeu) pour maximiser la capillarité de sa diffusion.
    Canal+ est pourtant cosignataire de la charte, mais son revenu est fait d’abonnements et très peu de publicité, un modèle assez protégé par rapport à celui des chaînes qui vivent de la publicité.
  • Faire preuve de plus de souplesse pour la diffusion de contenus dans les plateformes “mono applications” telles que les smartphones, tablettes et consoles de jeu. L’absence de multifenêtrage limite les risques d’overlay à la Google.
  • Inventer des services en ligne qui enrichissent l’expérience télévisuelle.
    Tout reste à faire dans le domaine ! Dans le sport, les jeux, la TV réalité, les documentaires, les informations, les débats politiques, les séries TV, tout comme dans la “Social TV”. Sans compter les diversifica­tions cohérentes, un peu à l’instar de celle de M6 qui s’implique dans le commerce en ligne liée à la vie quotidienne en liaison avec ses conte­nus (cuisine, habitat, look, etc).
  • Enrichir leurs guides de programmes exploitables par Google et les autres.
    Ces guides sont actuellement très pauvres. Or, dans un monde d’abondance, il faudra maximiser la capacité à trouver ce que l’on cherche. Malgré elles, les chaînes devront ainsi adopter des stratégies de “Search Engine Optimization” de leurs contenus télévisuels !

Ce sont des approches qualitatives qui mériteraient évidemment une analyse plus quantitative de leur impact. Ces options seraient en tout cas d’un bien meilleur effet, car plus proactives, plus positives, plus innovantes. Il vaut mieux sur-innover que résister aux innovations du moment !

Quid de l’attitude de Google ?

Pour l’instant, Google fait un peu le dos rond !

Non seulement, il se voit opposer ces fins de non recevoir des chaînes TV, surtout aux USA, mais son offre ne reçoit pour l’instant pas un accueil très favorable. Le produit Google TV est certes prometteur mais sa première mouture est encore décevante, un peu trop “geek” à l’image des télécommandes : celle de Sony avec petit clavier intégré (ci-contre) ou le clavier proprement dit de Logitech.
Sans compter les limitations dans l’accès à la TV broadcastée, illustrée par le compliqué montage avec l’opérateur satellite Dish TV.

La capillarité de diffusion de Google TV reste très faible avec pour seuls partenaires Sony et Logitech; sans compter sur les efforts nuls de Best Buy dans la distribution pour en assurer la pro­motion auprès des consommateurs.

La donne pourrait changer en janvier 2011 avec l’annonce attendue du support de Google TV par Samsung, LG et/ou Toshiba au CES de Las Vegas. Elle pourrait créer un bon effet d’entrainement et standardiser l’architecture logicielle des TV connectées dès 2011, comme MS-DOS a standardisé le PC à partir de 1981.

C’est certes une commoditisation dangereuse des constructeurs mais un pis aller par rapport à une fragmentation suicidaire du mar ché. L’inconnue restant la latitude des constructeurs dans la personnalisation de Google TV, qui semble moins grande qu’avec Android dans les smartphones.

Face aux chaînes TV, Google est sûrement en pleine discussion. Il découvre que des négociations sont nécessaires chaîne par chaine et pays par pays; que la TV n’est pas un business facile; que les acteurs locaux sont puissants et savent se protéger.

Google pourra ainsi choisir d’intégrer le support de HbbTV dans son logiciel pour juste deux pays: l’Allemagne et la France ? Sachant qu’au Royaume-Uni, il leur faudrait supporter un autre standard équivalent, Canvas. L’Allemagne étant un marché plus porteur pour Google TV que la France, Google adoptera peut-être de facto une stratégie de contournement en s’attaquant sérieusement au marché le plus facile à pénétrer.

Google sera aussi peut-être amené à devoir supporter le broadcast et des tuners TV dans son middleware. En effet, la consommation de contenus broadcastés reste clé dans l’expérience télévisuelle, quel que soit le pays.

Google: quelle publicité pour les TV connectées ?

Il existe une autre grande incertitude concernant Google : est-ce que son modèle publicitaire est reproductible avec le même succès sur les TV connectées ? Rien n’est moins évident !

Qui dit que les taux de clics seront les mêmes sur les publicités contextuelles de la TV connectée? La télévision est-elle le meilleur écran pour aller sur un site web d’un annonceur ? On manque cruellement de recul dans le domaine. Il y a peut-être plus de peurs que de mal. Yahoo s’est déjà cassé les dents dans les TV connectées alors qu’il avait pourtant réussi à imposer ses Widgets à presque tous les constructeurs de TV connectées il y a deux ans. Même si Google s’y prend mieux, son succès n’est pas assuré. Cela ne serait ni le pre­mier ni le dernier acteur de l’informatique ou du web à se casser les dents sur le marché de la TV “du futur” !

Au moment où la Commission Européenne déclenche une procédure antitrust contre Google, l’entreprise va en tout cas découvrir à ses dépends ce que doit être une attitude industrielle “responsable” ! Et il ne suffira pas de créer un centre de recherche et un centre culturel en France !

Et le téléspectateur dans tout ça ?

On a un peu tendance à l’oublier dans cette bataille industrielle. Quels sont ses besoins ? Quel est son intérêt ?

Il faut peut-être commencer par appliquer une segmentation de l’audience, certes un peu simpliste.

La “Génération X” et celle des “babyboomers” ont une consommation plus clas sique de la TV et son pouvoir d’achat est le plus élevé. Elle ne cèdera pas aussi rapidement que la génération Y aux sirènes des solutions connectées du type Google TV. C’est un matelas d’audience et de revenus publicitaires pour les chaînes.

La “Génération Y” se détourne de la télévision mais pas de la consommation télévisuelle. Elle a déjà adopté des modes de consommation non classiques : délinéarisée, sur PC, sur mobile, le téléchargement de séries, multitâche et multi-écrans, etc. Avec ou sans Google TV, elle pose problème aux chaînes !

Les enfants et ados, plus jeunes que la génération Y, ne sont pas à oublier. Ils ont une consommation plus traditionnelle de la télévision. Mais adopteront les nouveaux usages aussi facilement que la génération Y, si ce n’est mieux.

Quoi qu’il en soit, ce sont les consommateurs qui auront le dernier mot. Même si on leur impose Google TV dans leur TV Samsung ou autre, ils l’utiliseront… ou pas ! Ils choisiront l’usage qui leur convient, en inventeront de nouveaux, sélectionneront les contenus qu’ils apprécient, cliqueront ou pas sur la publicité cliquable. Ils contourneront aussi, comme d’habitude, les éventuelles mesures techniques les empêchant de consommer les contenus comme ils l’entendent.

Heureusement que cette incertitude subsiste !

Article initialement publié sur oezratty.net

Illustrations CC: Toni Birrer, Ol.v!er [H2vPk], damienalexandre, Lee Jordan, x ray delta one, blackspot, brizzlebornandbred

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