OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sécurité du web : le règne des passoires http://owni.fr/2011/05/19/securite-du-web-le-regne-des-passoires/ http://owni.fr/2011/05/19/securite-du-web-le-regne-des-passoires/#comments Thu, 19 May 2011 15:15:38 +0000 antoinechampagne http://owni.fr/?p=63482 En 1994, apparaissait le Web. L’un des premiers sites était Playboy.com. Depuis cette époque, toutes les entreprises ont ouvert une vitrine sur cette sous-partie d’Internet. Mais avec l’explosion du nombre d’ordinateurs interconnectés, sont apparus… les piratages. En effet, le problème est que ce réseau a été bâti pour faire un nombre incroyable de choses, mais pas du commerce sécurisé. Tout est troué, mal installé, mal pensé. Les contraintes liées à la sécurité empêchent de faire du commerce en rond. Elles le compliquent. Du coup, tout le monde fait l’impasse sur la sécurité. En partie, ou en totalité.

Que vous soyez puissant ou misérable…

D’autant que généralement, le seul perdant, c’est le client. Les hacks ultra médiatiques sont oubliés aussi vite qu’ils apparaissent. Et dans ce domaine, personne n’est épargné : les plus gros, les plus riches, comme les plus anonymes. Tous se font avoir un jour ou l’autre.

Pas de souci, tout cela est si vite oublié…

Ceux qui ne l’oublieront pas sont généralement des anonymes, qui n’ont pas les moyens de faire payer ceux qui sont à l’origine de leurs ennuis. Des clients lambda dont les données personnelles se retrouvent sur le Net. Noms, adresses, numéros de sécurité sociale, numéros de carte bancaire, logins et mots de passe pour tel ou tel service en ligne. Factures qui s’allongent, comptes en banques qui se vident. Bienvenue sur Internet, le réseau où ceux qui transigent avec la sécurité de vos données ne seront jamais poursuivis.


Bien entendu, ces entreprises, ces ministères, blâmeront les « pirates » qui ont accédé à ces données. Ils sont maléfiques, viennent au choix de l’Est ou de Chine, mettent en péril le gentil capitalisme.

Pourtant, on semble oublier un peu vite que le défaut de protection des infrastructures est le fait desdites entreprises, desdits ministères.

Leurs économies de bouts de chandelles ont des conséquences.

Le législateur français, à une époque lointaine, lorsqu’il réagissait avec sa tête plutôt qu’en fonction de peurs infondées et sur la base d’un savant storytelling, avait compris que, s’il fallait punir le « pirate », il fallait aussi punir celui qui ne prenait pas les mesures nécessaires  pour protéger les données qui lui étaient confiées.

Ainsi, la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (Journal Officiel du 7 janvier 1978 ) en son article 34 dispose que :

Le responsable du traitement est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès.

Et l’article 226-17 du Code Pénal dispose que :

Le fait de procéder ou de faire procéder à un traitement de données à caractère personnel sans mettre en oeuvre les mesures prescrites à l’article 34 de la loi nº 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 Euros d’amende.

Fuite de données personnelles : mise en garde partout, condamnation nulle part…

Maintenant, observons la jurisprudence en France dans ce domaine. Si les condamnations pour « piratage » sont légion (mais pas aussi dures que ce que la loi permet), celles qui concernent la non protection des données personnelles sont… inexistantes.

La dernière remonte à l’époque du Minitel. De mémoire, une femme avait mis en vente son appartement sur un serveur immobilier et ses données avaient malencontreusement « basculé » sur un serveur « rose ».

Les fuites de données personnelles sans même avoir besoin d’avoir recours à un quelconque « piratage » sont légion depuis l’arrivée d’Internet. Et pas une seule condamnation.

Le législateur (français et européen) réfléchit actuellement à un projet obligeant les entreprises à rendre public un éventuel piratage de leurs infrastructures. Voilà qui fera une belle jambe aux personnes dont les données auront fuité…

Depuis 1998, Kitetoa.com, vite rejoint par nombre de sites, dont l’excellent blog de Korben, ou le site Zataz.com, listent inlassablement les milliers de serveurs qui, mal paramétrés, laissent fuiter les données.

Que l’on se comprenne bien, pour ce qui est de Kitetoa.com, il ne s’agit pas d’expliquer des piratages, des moyens illégaux pour accéder à ces données. L’utilisation d’un simple navigateur, sans aucune identification sur le serveur suffit. Avec un peu d’imagination, on comprend ce que de vrais pirates pourraient faire.

Bilan des courses ? Rien.

De toutes ces informations rendues publiques… qu’en est-il ressorti ?

Rien.

La CNIL ne s’est jamais appropriée un seul de ces dossiers. Elle n’en a jamais transmis un seul au procureur.

Et les procureurs, justement… Aucun ne s’est jamais saisi de ces affaires, pourtant publiques. Imaginez un site listant des infractions, des actes pénalement répréhensibles. Donnant tous les détails. Il a des chances pour que des procureurs se réveillent et fassent en sorte que des vérifications soient menées. Dans le domaine de la non protection des données personnelles, rien.

Reflets.info vient de démontrer en quelques lignes que l’ensemble de la loi Hadopi est boguée et qu’il importe de tout revoir. Le problème n’est pas récent, il avait été souligné par des parlementaires pendant les débats, par exemple sous forme de questions au ministre de la culture, des questions dont certaines sont encore sans réponse. La Haute Autorité consciente du problème, s’est montrée très réceptive aux problématiques de protection des données personnelles qui refont aujourd’hui surface. Pour autant, très probablement, les avocats ont désormais en main de quoi faire annuler toute procédure se fondant sur ce texte (Maître Eolas ?).

Ce dernier événement dans la trop longue liste des sites troués charrie un sacré cortège de questions. Pourquoi ce texte a-t-il pu être voté par les députés et les sénateurs ? Pourquoi le sénateur, Alex Türk a-t-il voté un texte critiqué par la CNIL qu’il préside par ailleurs ? Pourquoi personne n’a écouté ceux qui savent et qui fournissaient leurs analyses gratuitement ? Pourquoi tant de questions sont-elles restées sans réponses ?

Le règne des costumes cravates

Depuis que le Net est là,  depuis plusieurs postes d’observation, je contemple l’action des commerciaux en costumes cravates de mauvaise facture vendre à prix d’or des projets troués d’avance. Je les regarde vanter les mérites de leurs entreprises, qui n’en ont aucun. Les marchands de vent qui viennent crier sur tous les toits que leurs logiciels protègent contre les « hackers », contre les failles passées, présentes et futures. Je les contemple enfumer leurs clients, mais aussi les représentants du peuple.

Parmi les hommes en costumes cravates de mauvaise facture, il y en a même qui s’arrogent le droit de jouer aux cow-boys du Net. C’était le cas de HBGary aux Etats-Unis et l’affaire a très mal fini. Rien ne dit qu’il n’y a pas en France une ou des entreprises qui pensent engranger des millions en suivant cette voie périlleuse. L’avenir le dira sans doute. Patience.

Quoiqu’il en soit, le réseau Internet n’a pas été conçu pour faire du commerce électronique, bien au contraire. Il est tout sauf sécurisé. Allons plus loin, il est tout sauf sécurisable. C’est juste impossible. Alors vendre du stockage de données personnelles, du paiement d’impôts, de la e-administration publique, du commerce électronique, c’est simplement laisser, en toute conscience, un crime se dérouler.

J’ai coutume de dire dans des conférences qu’il ne faut pas craindre les piratages qui font la Une des journaux. Aussi incroyables soient-ils, aussi dérangeants puissent-ils paraître. Ce qu’il faut craindre, ce sont les piratages dont on n’entend jamais parler. Ils sont bien plus inquiétants. Et ils existent.

Pour ce qui est de la loi Hadopi, dire que les particuliers doivent sécuriser leur accès Internet, c’est très con. Et c’est faire preuve d’une fabuleuse mauvaise foi. Désolé de faire une comparaison avec le monde réel, mais visiblement un sénateur comme M. Türk ne doit pas comprendre autre chose.

Imaginons que l’on oblige les particuliers à prendre des mesures pour éviter que leurs voitures ne soient volées et ne servent à commettre un délit, comme une attaque à la voiture-bélier. Sans quoi ils seraient poursuivis. Stupide n’est-ce pas ? C’est pourtant à peu près la même chose que de dire que les particuliers doivent sécuriser leurs accès.

Dire que si l’adresse IP d’un particulier est repérée en train de télécharger un film cela doit aboutir à une coupure de l’accès au Net, c’est simplement méconnaître la réalité. Avec les millions de bots qui tournent pour exploiter des Windows troués, avec les milliers de logins et mots de passe qui trainent sur le Net pour se connecter à des accès Wifi de particuliers, c’est une honte de passer une telle loi.

Tout cela a été dit lors des débats précédant le vote de la loi par ceux qui savent comment fonctionne le réseau. Personne ne les a écoutés. Depuis des années et des années, nous sommes nombreux à dire que si l’on n’attaque pas les entreprises au portefeuille, les données personnelles continueront de fuiter. En vain.

Laisser le secteur s’auto-réguler, prendre des dispositions comme PCI-DSS, c’est le laisser faire n’importe quoi (voir Sony et Hartland par exemple). C’est à peu près aussi stupide que d’attendre des financiers qu’ils arrêtent, sans aucune pression extérieure, de créer des crises monumentales.

Les seuls qui pourraient faire quelque chose, les procureurs, la CNIL, le législateur, les politiques, sont silencieux et inactifs. Il y a bien quelques écrans de fumée déclenchés de temps à autre. Sept minutes d’amende pour Google par exemple. Mais pour TMG, combien ? Pour ceux qui ont monté l’usine à gaz qu’est la loi Hadopi, combien de minutes d’amende ?


Article initialement publié sur Reflets.info

Photos flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale CyberHades; PaternitéPas d'utilisation commerciale Le Bourg Heïdi ; PaternitéPas d'utilisation commerciale AngusKingston ; PaternitéPas d'utilisation commerciale Reza Vaziri.

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Les algorithmes ont-ils pris le contrôle des marchés financiers? http://owni.fr/2011/01/21/les-algorithmes-ont-ils-pris-le-controle-des-marches-financiers/ http://owni.fr/2011/01/21/les-algorithmes-ont-ils-pris-le-controle-des-marches-financiers/#comments Fri, 21 Jan 2011 15:02:40 +0000 antoinechampagne http://owni.fr/?p=43350 Pour qui a vu la saga Terminator, Skynet évoque ce réseau d’ordinateurs qui, une fois devenu plus malin que les humains, décide de déclarer la guerre à notre espèce. Depuis quelques années, des logiciels informatiques, plus précisément des algorithmes extrêmement complexes, ont peu à peu remplacé les traders. Aujourd’hui, selon les dernières études, quelques 73% des transactions aux États-Unis, sont réalisées par des machines à la vitesse de la lumière. C’est le High-Frequency Trading

Le monde de la finance est particulièrement inventif. Surtout lorsqu’il s’agit de créer les conditions d’une crise financière globale. Il y a eu la crise de l’immobilier, celle d’Internet, des “Subprimes”. Il y aura probablement celle du High Frequency Trading (HFT).

Développée dans une relative discrétion, cette technique permet de gagner sans prendre de risques. On embauche des mathématiciens, des astrophysiciens, des statisticiens –paradoxalement peu de traders ou de financiers- et on leur demande de réaliser des algorithmes d’acheter et vendre en quelques microsecondes (une microseconde = un millionième de seconde).

« On achète et on vend à une vitesse telle que l’on peut générer quasiment à coup sûr des petits bénéfices sur chaque transaction. Et comme c’est récurrent, mis bout à bout, ça fait des millions et des millions. Le premier qui commet une erreur sur un marché est immédiatement sanctionné car ces programmes informatiques réagissent bien plus vite que des hommes », explique un banquier. Un autre raconte :

La seule fois où ça n’a rien rapporté, c’est le jour où les types ont oublié de lancer les programmes. On en rigole encore

Exemple simple : la même valeur peut être cotée sur deux marchés (Paris et New York par exemple), mais le cours peut être très légèrement différent pendant quelques microsecondes. Les algorithmes repèrent ces différences, achètent au prix bas et revendent au prix haut en une fraction de seconde.

Pour certains, la bonne santé des banques pour ce qui est de leur activité de marché serait imputable au développement du HFT. Les banques empruntent à un taux proche de zéro, revendent à un peu moins de 4%. De l’argent gratuit qui peut être réinvesti sur les marchés, via la HFT. Jusqu’au moment où le HFT part en vrille… C’est d’ailleurs ce qui s’est passé le 6 mai dernier à New York, lors d’un épisode depuis surnommé « Flash Crash ». L’indice global avait alors perdu 9% en séance, avant de se refaire. Le tout, sans aucune raison évidente. Sauf à considérer que les algorithmes ont été arrêtés et que le marché s’est asséché.

On est très loin des marchés financiers qui soutiennent l’économie réelle. Selon Nanex, une petite société américaine de diffusion de flux de données boursière a analysé des années de données à la recherche d’incongruités liées au HFT. Elle a ainsi mis en évidence que certaines places boursières avaient fourni jusqu’à 5.000 cours pour un seul titre en une seconde. On cherchera longtemps le lien avec l’économie réelle.

Mieux, Nanex a mis en lumière la dernière arme des acteurs du HFT. Depuis des années, ils se livrent à une course aux armements visant à gagner des microsecondes sur les concurrents. Cela est passé par l’achat de machines plus performantes, plus rapides, par l’embauche à prix d’or de créateurs de scenarii ou d’algorithmes, par le raccourcissement des câbles. Cela a fini par la mise en place de centres serveurs en colocation au cœur des marchés financiers. Que faire pour aller plus vite que le voisin ? Simple, l’inonder de données pourries. Un déni de service au cœur de la finance. Un acteur va ainsi envoyer des milliers d’ordres d’achats qu’il annulera dans la microseconde. Les autres algorithmes seront obligés de traiter ces informations et seront ralentis… C’est le « quote stuffing ».

La SEC (autorité des marchés américaine) qui se penche sur ce sujet sans pour autant interdire le HFT a pondu un rapport comique sur le flash crash du 6 mai. On peut y lire ceci :

Le “high-frequency trading” peut générer plus de un million de transactions en un seul jour et représente maintenant plus de 50% du volume du marché des actions. De nombreuses entreprises génèrent plus de 90 ordres pour une seule transaction. Autrement dit : une entreprise qui effectue un million de transactions par jour peut soumettre plus de 90 millions d’ordres annulés.

En d’autres termes encore, le « quote stuffing » est prépondérant sur les marchés.

Bien entendu, les investisseurs individuels sont les escargots des marchés, ceux qui permettent en partie au HFT d’être aussi rentable. Tout est pour le mieux.

Cerise sur le gâteau, les algorithmes ne perçoivent pas de bonus en fin d’année…

>> photos flickr CC Deutsch Bank AG ; artemuestra

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Crise financière et petit matin blême au Bar des Amis http://owni.fr/2011/01/21/crise-financiere-et-petit-matin-bleme-au-bar-des-amis/ http://owni.fr/2011/01/21/crise-financiere-et-petit-matin-bleme-au-bar-des-amis/#comments Fri, 21 Jan 2011 12:50:47 +0000 antoinechampagne http://owni.fr/?p=43269 Petit matin difficile au Bar des Amis. Café tiède, croissant mou. Il manque 20 centimes pour payer… Et Gérard qui me tient la jambe à propos de la crise financière mondiale : « faut que l’argent circule, ben ouais, faut que l’argent circule, hein ? Pas vrai ? Toi qu’a fait de l’éco, j’ai pas raison, hein ? ». Il tourne en boucle.

Regard vers son demi (le troisième), regard vers l’horloge. Je me lance. Je vais expliquer à Gérard pourquoi on en est là et où l’on va. Pari risqué mais pas inutile. Méfiance. Gérard n’a jamais fait d’économie, mais il a pour lui le « bon sens près de chez vous » qui fait tant défaut à ceux qui le gouvernent et qui l’emmènent vers de gros soucis.

Mon vieux Gérard, l’argent, il a cessé de circuler. C’est un peu pourquoi on en est là. Mais je te rassure, avant ça, il circulait très bien. Trop bien même. Et maintenant, il coule à flots. Et ces flots, ils risquent bien de t’emporter. Je t’explique.

- Ben ouais mais quand même, les chinois, ils bossent plus pour moins cher, du coup…

Du coup rien. Je te résume le processus.

Tout a commencé il y a quelques années. Les ménages se sont lourdement endettés. Surtout les Américains. Et comme les banquiers débordent d’imagination, surtout quand il s’agit de créer une bulle spéculative, c’est à dire, s’en mettre plein les fouilles très vite, ils ont inventé des produits financiers improbables.
Par ailleurs, les banques centrales baissent les taux.

Du coup, comme les banquiers ont beaucoup prêté, que les taux baissent, que leurs produits financiers ne valent rien tellement ils sont improbables, ils commencent à prendre peur. En regardant leurs bilans, les banques se disent que leurs collègues doivent être dans la même situation et décident de ne plus se prêter entre elles. Tu ne prêterais pas 1000 euros à Paulo qui n’a jamais un sou en poche. Et bien, pareil. L’argent ne circule plus. Et ça, c’est emmerdant. Tu as raison sur ce point.

- Qu’est-ce que je disais…

Attends. Comme elles paniquent et que l’argent ne circule plus, les gouvernements commencent à s’inquiéter. Le spectre du ralentissement de l’économie et de la récession pointe le bout de son nez. Pas fous, les banquiers en profitent. Figure-toi qu’ils ont une incantation magique pour les moments difficiles.

Une incantation qui leur permet de gagner, même quand ils perdent. Ils s’invitent dans les bureaux des politiques et ils lancent : « risque systémique » . Ca, tu vois, ça fait plus peur à un homme politique qu’un sort vaudou. Du coup, les Etats ont renfloué les banques. Mais comme la récession était déjà là, ils ont dû s’endetter. Beaucoup.

« Les marchés », ça n’existe pas

- C’est quoi cette histoire de risque systémique ?

Un truc assez marrant et simple à comprendre. Les banques se prêtent entre elles. Si une grosse banque devait faire faillite, les petites à qui elle doit de l’argent risqueraient de faire faillite par un effet domino. Les politiques ont très peur de ce concept. Pourtant, tu notes qu’il arrive que de très grosses banques disparaissent. L’effet domino ne s’est jamais produit. Cela s’explique en partie par les fonds massivement injectés par les Etats pour l’éviter. Mais pas seulement.

- OK

Ensuite, les marchés entrent en scène.

- C’est qui ça « Les marchés » ? C’est flou ça, on sait même pas qui est derrière.

Attends Gérard, pas tout en même temps. J’y reviendrai. Bref, les marchés s’inquiètent à leur tour. Les États sont tellement endettés et la récession si bien installée qu’ils se disent, à juste titre, qu’un défaut est possible. C’est à dire que les États pourraient arrêter de rembourser leur dette. Celle que l’on appelle la dette « souveraine ». Il faut dire que les agences de notation, qui font des « calculs savants » pour déterminer si les États sont solides ou pas, ne sont pas très confiantes non plus. Il leur arrive de dire des bêtises, mais sur ce coup-là, elles ont raison.

Comme les marchés ont peur, ils ne sont plus très chauds pour acheter les titres lors des nouvelles émissions de dette. Ou alors, si on leur sert un taux d’intérêt très élevé. Et encore. Du coup les pays qui ont l’économie la plus bancale se trouvent dans une situation désespérée. Car si tes perspectives de croissance sont mauvaises, cela veut dire moins de rentrées fiscales (les impôts) et du coup, moins d’argent pour rembourser ta dette. C’est le cas de la Grèce puis de l’Irlande.

- Et les prochains, c’est qui ?

Dans un ordre indifférent, on peut citer sans risque de trop se tromper le Portugal, très bientôt, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, la France, la Grande-Bretagne, etc. Face à cette situation inédite qui risque d’entraîner l’euro vers sa perte, l’Europe décide de mettre en place un fonds de soutien, le FESF. De l’argent pour les pays en faillite. Ils ne le disent pas comme ça, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.

Manque de chance, ce n’est pas suffisant. Les investisseurs ont toujours autant la trouille. Je vais te le démontrer après. En outre, lorsque le Fonds de soutien emprunte pour sauver les pays en faillite, c’est de la dette qui s’ajoute à la dette. Si j’en crois un économiste renommé, la participation de la France représente déjà (avant augmentation des plafonds de ce fonds) quelque 5% du PIB. C’est dire…

Rassurer les marchés : mission impossible

Pour améliorer leur image, les pays européens se lancent de concert dans une surenchère d’annonce de plans d’austérité. On a plus d’argent ? On arrête d’en dépenser. Mais il faut plus que cela. Et là, illumination divine, sur le modèle américain (la Fed fait ça depuis un moment avec la dette américaine) il est décidé que la banque centrale européenne va racheter de la dette des pays en difficulté. Un bon moyen pour « rassurer les marchés », se disent les politiques. Ce qui est une idiotie.

- Ah ?

Gérard… Réfléchis. S’il n’y a pas de risque, il n’y a pas de bénéfices en perspective. Au fond, quand tu mets 100 euros sur la table au Casino…

- J’ai pas assez de ronds pour aller au Casino

Bon, alors quand tu paries avec Robert, c’est parce qu’il y a la possibilité d’un bénéfice. Mais il y a aussi un risque. Retourne le truc : si Robert est sûr de perdre et toi sûr de gagner, Robert ne va pas parier. Les marchés, c’est un peu pareil. Ils carburent au risque, au doute, à l’incertitude. Lorsque qu’on ne l’annonce pas, les marchés réclament de la rigueur. Lorsqu’elle est annoncée, les marchés craignent une récession. Jamais contents.

Pour répondre à ta question de tout à l’heure, « c’est quoi les marchés », je te dirai que les marchés c’est personne et tout le monde. Ça n’existe pas. Pour commencer il y a autant de types de marchés que de bulles dans la bouteille de champagne du trader fêtant son bonus. Des marchés d’actions, des marchés d’obligations, de matières premières, de taux, de futures, de CDS, des marchés ouverts, des marchés fermés, des marchés gris, des marchés opaques.

Quand les journalistes ou les politiques disent « les marchés », ils englobent allègrement, les places financières (les bourses,) les institutions financières, les traders, les algorithmes informatiques qui les remplacent, les analystes financiers, les agences de notation… Toutes sortes de choses bien différentes.

Actuellement, les politiques tentent de « rassurer les marchés » en annonçant plus de libéralisme, plus de dérégulation, plus d’austérité, plus de privatisations. Un vrai bonheur. On vend les bijoux de famille. Sans pour autant avoir plus de recettes, puisque la récession est là. Bilan, dans peu de temps, il n’y aura plus rien à vendre et toujours autant besoin d’argent.

Et puis Gérard, tu sais comment ça finit ces trucs–là. Les Américains qui ont une retraite par capitalisation les ont vu fondre avec la crise, les trains privatisés en Grande Bretagne ont de gros soucis. La SNCF qui est dans un processus de sous-traitance maximum est sur une pente savonneuse. Quand tu as un souci avec ton téléphone, l’opérateur national et les fournisseurs d’accès se renvoient la balle en boucle infinie, la dérégulation du secteur du gaz et de l’électricité est une pure réussite, les clients de Poweo en savent quelque chose…

Sauvetage de la Grèce et de l’Irlande : FAIL…

- tu vois tout en noir toi, c’est dingue ça…

Du tout. Je constate des faits. Je peux par exemple te démontrer que le plan de soutien à la Grèce a été un coup d’épée dans l’eau…

- Patron, un autre demi ! Ah ouais ? Pourtant, ils avaient dit que ça permettrait de sauver l’euro…

Pour t’expliquer que ça n’a servi à rien, il faut que je te parle des CDS. C’est un instrument financier qui permet aux investisseurs de se couvrir. Exemple, j’achète de la dette grecque. J’ai peur que ce pays ne puisse plus rembourser, qu’il fasse défaut. J’achète alors des CDS, une sorte d’assurance contre ce risque. Ça marche pour les entreprises ou les Etats.

Bien sûr, c’est un marché très spéculatif. Mais c’est un bon indicateur du niveau de confiance des investisseurs. Des « marchés », comme disent les journalistes et les politiques. A l’inverse, se réjouir de la hausse d’un marché action, c’est idiot. Cela ne reflète pas une sortie de crise. Mais c’est une autre histoire. Bref. Les CDS…

- Ca vient ce demi ?

Avant l’annonce du plan de soutien à la Grèce les CDS de ce pays étaient à 954 points de base. Ils tournent aujourd’hui autour de 1000 points de base. Et ce, en dépit des milliards largués par l’Europe et le FMI pour « redonner confiance aux marchés ». En dépit également des multiples déclarations des politiques sur la solidarité européenne sans failles. Même principe pour l’Irlande. Regarde ce graphique montrant l’évolution des CDS de la dette irlandaise. L’annonce du recours au fonds européens de la part de l’Irlande date du 22 novembre.

Evolution des CDS sur l'Irlande

Soyons fous, entrons dans les détails. Au dernier trimestre 2010, les CDS de la Grèce ont progressé de 32% selon CMA, la dette du pays devenant dans le même temps la plus « risquée » du monde, devant le Venezuela. Les CDS de l’Irlande ont pris 35%. Un vrai succès ce plan de soutien. Tu mesures la confiance des « marchés » ? Le prochain sur la liste, le Portugal a vu ces CDS progresser de 22%. Pendant ce trimestre, la dette de l’Espagne était la septième la plus risquée. Celle de la Hongrie, la neuvième.

La France en difficulté

Pour te rassurer un peu plus, mon bon Gérard, il faut que je te dise que l’évolution de la dette Française sur le marché des CDS est l’une des pires au dernier trimestre 2010. Plus 32,5%. On atteint un record dont aucun politique ne se vante. 107 points de base contre 79 au début du trimestre. Consolons-nous l’Allemagne fait pire (+51,7%).

Les politiques commencent par le déni : tout va bien, on n’a pas besoin d’aide puis une fois que l’aide est apportée, ils poursuivent dans le déni de réalité en répétant « maintenant, tout va bien ». Malheureusement, ce n’est pas l’avis des marchés, comme tu viens de le constater.

Du coup, puisque personne ne veut accepter la réalité et arrêter les frais avant qu’il ne soit trop tard, il va falloir faire plus.

- T’es anti-européen toi, tu veux sortir de l’euro ?

Pas le moins du monde mon Gérard. Je n’ai pas d’avis là dessus. Ce que je veux te dire c’est qu’il est peut être temps de faire plus d’Europe, différemment.

Ne te leurres pas Gérard, in fine, c’est toi qui va devoir faire plus. J’espère pour toi que tu as les poches profondes et le portefeuille bien garni.

- Mais heu, attends, un état, ça ne fait pas faillite !

En effet. Je ne connais pas d’exemple d’Etat qui ait disparu de la carte parce que ses caisses étaient vides. Les caisses ne sont jamais vides. Tiens, par exemple, Nicolas Sakozy disait à ce propos :

Alors s’agissant d’ailleurs du pouvoir d’achat, qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que j’vide des caisses qui sont déjà vides ? Ou que j’donne des ordre à des entreprises à qui j’ai pas à donner d’ordres ? Si c’est ça votre conception de la politique, ben on s’trompe. On parle pas d’la même chose. Réduire le débat politique français à la seule question du pouvoir d’achat, c’est absurde.

Mais quand la Grèce a eu besoin d’aide, la France a trouvé 16,8 milliards d’euros de prêts sur trois ans. Miracle. La solution la plus évidente pour un Etat en grave difficulté est de faire tourner la planche à billet. Créer de la monnaie.

Quand on parle d’économie pour un pays, on dit qu’il s’agit de macro-économie, par opposition à la micro-économie qui concerne les entreprises. La macro-économie, c’est un peu comme une balance à multiples plateaux que l’on ne pourrait jamais équilibrer. Lorsque tu ajoutes un poids sur un plateau et que tu as l’impression d’équilibrer deux plateaux, tu en as un troisième qui bouge. Avec la planche à billets, tu vas améliorer tes problèmes de trésorerie, mais tu vas aussi relancer l’inflation. Ce qui est un problème pour ta croissance, le pouvoir d’achat, etc. Au bout du compte, tu peux même aboutir à des manifestations et pourquoi pas à des révolutions. Regarde ce qui se passe actuellement en Algérie.

En Europe, il y a un petit problème. Les Etats, en entrant dans l’euro, ont perdu cette prérogative. Ils ne peuvent plus faire tourner la planche à billet.

- Et la Banque centrale européenne, elle pourrait le faire, non ?

Et bien non. Je te cite le traité de Lisbonne :

Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite

Les banques centrales détestent faire tourner la planche à billet. Leur rôle est justement de lutter contre l’inflation. Je t’avoue que lorsque la situation devient trop tendue, c’est un crédo qui passe vite à la trappe.

Pour contourner cette situation complexe, la Banque centrale européenne a décidé de racheter de la dette des pays en difficulté. Problème, lorsqu’elle fait cela, elle inscrit à son « actif », dans son bilan, les montants ainsi récoltés. Le mot est trompeur. Elle possède ces titres qui représentent une dette des pays en question. Normal donc que ça vienne dans les actifs.

Mais réfléchissons ensemble. Si ces pays n’arrivent plus à placer leur dette sur les marchés à un taux raisonnable, c’est que personne n’en veut. Donc, lorsque la BCE gonfle ses actifs, c’est avec des titres « pourris ». C’est une expression. Ce que je veux te dire, Gérard, c’est qu’elle va inscrire 100 à son actif, mais que si elle voulait vendre ces titres, elle ne pourrait les placer, par exemple, qu’à 65. L’effet visé est de « rassurer les marchés ». Le message, c’est : « ayez confiance, nous on l’aime bien cette dette, on a pas peur, on en achète ». Sauf que « les marchés » ne sont pas idiots. Ils voient que les « fondamentaux » macro-économiques ne sont pas bons et ils continuent de flipper. La preuve par les CDS.

Après la crise financière, la crise économique…

- Et la BCE, elle peut continuer comme ça longtemps, à racheter de la dette ?

C’est un peu la question centrale. Jean-Claude Trichet, le patron de la BCE n’est pas très content du rôle que les politiques l’obligent à jouer et il le leur fait savoir. D’abord en annonçant une bonne grosse augmentation de capital qui devra être souscrite par les Etats membres. Ensuite en multipliant les appels à plus d’austérité budgétaire et à une politique « européenne » en ce domaine. :

Les gouvernements doivent appliquer rigoureusement leurs programmes nationaux d’assainissement budgétaire et déployer des efforts considérables pour renforcer leur gouvernance collective.

- On va encore morfler…

C’est justement ce que je te disais quand je te demandais si tu avais un portefeuille bien garni… Au bout d’un moment, tout le monde va s’énerver, et ça, c’est mauvais pour le business des politiques.

Contrairement à ce que te disent les politiques, la crise de la dette souveraine n’en est qu’à ses débuts. On commence à parler de modifier le traité de Lisbonne, pour faire tourner la planche à billets, on pérennise un fonds de soutien (et l’on envisage de double son montant) alors que le premier, dont on nous disait qu’il était amplement suffisant ne devait durer que jusqu’en 2013, etc.

Il n’y a pas de quoi se réjouir de cette crise européenne. Les anti-euro feraient bien de réfléchir un peu avant de crier victoire.
C’est une crise économique massive qui devrait s’installer dans le sillage de la crise de la dette souveraine. A coup de plans d’austérité, de solutions ultra libérales dont on connait déjà les effets (elles ont déjà été appliquées ailleurs), les citoyens européens vont avoir des années très, très difficiles.

Les récentes sorties de ténors de l’UMP sur la fin nécessaire des 35 heures, la restriction des allocations chômage, la révision du concept d’emploi à vie dans le secteur public ne sont que la pointe de l’iceberg qui se profile à l’horizon.

Et bonne journée Gérard…

Illustration Flickr CC Robwallace, Catherine isdøe, Ceoln

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Facebook : de la rationalité des chiffres et de l’irrationalité des marchés http://owni.fr/2011/01/07/facebook-de-la-rationalite-des-chiffres-et-de-l%e2%80%99irrationalite-des-marches/ http://owni.fr/2011/01/07/facebook-de-la-rationalite-des-chiffres-et-de-l%e2%80%99irrationalite-des-marches/#comments Fri, 07 Jan 2011 10:30:04 +0000 antoinechampagne http://owni.fr/?p=41385 Incongruité : pour une fois, Facebook ne donne pas matière à réfléchir sur la confidentialité des données personnelles, mais plutôt sur la façon dont fonctionnent les investisseurs.

Le néophyte pourrait assez logiquement penser que les investisseurs sont des pros de l’analyse financière. Que leurs décisions sont guidées par une prise en compte de tous les chiffres qui fleurissent dans les colonnes des bilans des entreprises. Ce serait méconnaitre les trois composantes les plus prégnantes des marchés financiers : d’une part, les marchés sont irrationnels, contrairement à une théorie économique bien connue telle que l’efficience du marché. D’autre part, les marchés carburent au risque. Inutile, donc, de tenter de « rassurer les marchés ». Sans risque, pas de bénéfices. Enfin, les bénéfices des uns sont les pertes des autres.

Facebook vaudrait 50 milliards…

Une nouvelle a traversé le Web ces derniers jours : Facebook est valorisé à 50 milliards de dollars. Lâché comme ça, ça ne représente pas grand-chose dans l’esprit de Mme Michu. Ni dans le mien. Et peut-être pas plus dans le votre. 50 milliards de dollars, c’est 50 suivi de neuf zéros. C’est plus d’argent, nous dit-on, que la valeur de Yahoo !, Time Warner ou eBay. C’est à peu près le double de la capitalisation boursière de Dell.

Voilà qui rappelle de vieux souvenirs… Avant l’explosion de la bulle Internet, les mêmes media que ceux qui relayent ce chiffre de 50 milliards s’extasiaient en constatant que la valorisation boursière de Yahoo ! ou d’autres était supérieure à celle de Boeing (et ça recommence). Un peu de bon sens et d’analyse financière aurait bien entendu pu éviter l’explosion de la bulle Internet : un site Internet qui vaut plus cher qu’une société fabriquant des avions, avec des usines, des stocks, c’est improbable. Il y avait donc un problème.

Revenons à 2011. Un site Internet qui vaut plus cher que Dell, le premier fabriquant mondial d’ordinateurs, ça ne vous intrigue pas ? Même un site avec plein de petites applications kikoulol…

Ce qui devrait intriguer, c’est ce qui permet de valoriser une société non cotée (Facebook) à 50 milliards et ce qu’il y a derrière.

Des artifices de la finance

Le détail de l’actionnariat de Facebook n’est pas public. En outre, la forme juridique de l’entreprise étant une “Limited Liability Company”, l’équivalent de la Société à responsabilité limitée française, il ne peut y avoir plus de 499 actionnaires. La société n’étant pas cotée, ses comptes ne sont pas publics. Petit souci donc pour faire de l’analyse financière et prendre une décision d’investissement raisonnable.

La valorisation de 50 milliards repose sur les investissements réalisés par Goldman Sachs et un groupe russe, Digital Sky Technologies et sur les cours de Facebook sur des marchés « officieux ». C’est à dire que la valorisation de 50 milliards se fait au doigt mouillé. Rien de concret ne vient conforter ce chiffre.

Goldman Sachs vient d’apporter 450 millions à Facebook et va lever auprès de ses clients les plus fortunés quelque 1,5 milliard de dollars supplémentaire. Magie de l’ingénierie financière qui a si bien fait ses preuves dans la crise des subprimes, le seuil de 499 actionnaires ne sera pas franchi. Goldman va en effet créer un « instrument spécial » (Special purpose vehicle). Ses plus gros clients seront « fondus » dans ce SPV et pour la S.E.C. (l’autorité des marchés financiers aux US), même si Goldman permet à 1000 clients d’acheter des actions Facebook, il n’y aura qu’un actionnaire, ce SPV.

Mais revenons à la rationalité des chiffres. A part pour Jean-Claude Van Dame, un plus un font deux. Dans le cas de Facebook, les investisseurs, s’ils étaient rationnels, pourraient se dire qu’ils sont en présence d’une société non cotée, dont on ne connaît pas officiellement le chiffre d’affaires, qui ne vend pas grand chose d’autre que de la publicité sur Internet… Bref, pas de quoi valoir 50 milliards. Surtout que le chiffre d’affaires qui filtre ici ou là serait de 2 milliards de dollars par an. Les analystes financiers ont un indicateur qui leur est précieux : le price earning ratio (PER). Il s’agit de diviser la capitalisation par les bénéfices.

Prenons 50 milliards de « capitalisation ». Nous avons par ailleurs 2 milliards de chiffre d’affaires. Ce qui devrait laisser, avec une marge nette de 25% (évaluée avec le même doigt mouillé que la capitalisation), quelque 500 millions de dollars de bénéfices. Nous avons donc un price earning ratio de 100. Maintenant comparons ce PER à celui de sociétés cotées dont les comptes sont publics. Comme Google (24), eBay (14,5) ou Apple (22).

Il y a comme un problème…

L’un des deux chiffres (capitalisation ou chiffre d’affaires) est une blague. Probablement le premier… Dans le cadre d’une éventuelle pré-introduction en bourse, Goldman Sachs a tout intérêt à faire monter la sauce. D’une part parce que la valeur de ses investissements dans Facebook grimpe à vue d’œil au fur et à mesure que l’estimation de 50 milliards se propage (pourquoi pas 100 milliards dans 6 mois ?). D’autre part parce que la banque se projette en tant que leader pour l’introduction en bourse. De sonnants et trébuchants honoraires en perspective.

Enfin, dans le cadre du placement de 1,5 milliards d’actions via son Special purpose vehicle, Goldman pourra engranger de juteux bénéfices. Et si l’on en croit Reggie Middleton (dont les analyses économique sont souvent très intéressantes), ceux-ci seront au rendez-vous, que la valeur de l’action de Facebook s’écroule ou qu’elle s’envole.

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>> Photos flickr CC Catherine isdøe ; maua_czarna ; artemuestra

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