Atlantico: cap à tribord

Lancé ce lundi, le dernier-né des pure-players français semble avoir du mal à se distinguer de ses concurrents. A y regarder de plus près, il dénote tout de même dans le paysage.

Lancé ce lundi, Atlantico.fr a t-il une élection de retard? En 2007, des anciens de Libération lancent Rue89 fleur au fusil le jour de l’élection de Nicolas Sarkozy. Quatre ans plus tard, Atlantico.fr se présente comme un site ouvertement libéral. Une tentative similaire avait été faite par Arnaud Dassier, directeur de la stratégie Web de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007 et aujourd’hui actionnaire (minoritaire) du projet. En 2011, derrière ses références et inspirations nord-américaines, le nouveau pure-player1 marqué à droite, semble pourtant proche de ses concurrents.

“Un vent nouveau sur l’info”?

Avec son slogan et le temps de développement du site (près d’un an), Atlantico était attendu au tournant, plusieurs pure players étant déjà bien installés dans le paysage médiatique français, et plutôt orientés à gauche. On pense à Mediapart qui doit fêter ses trois ans en mars, à Rue89 ou encore à Slate.fr lancé en février 2010 même si ce dernier est moins clairement orienté.

La maquette du site et l’approche éditoriale du nouveau venu s’inspirent, selon les dires de ses fondateurs, du Huffington Post et du Daily Beast, des sites lancés depuis plusieurs années déjà aux États-Unis (le design d’Atlantico.fr est d’ailleurs étonnamment proche de celui du Daily Beast). Quant au titre du média, loin des fondateurs l’idée de faire référence à leur atlantisme supposé: Atlantico serait une simple contraction des noms des magazines américains The Atlantic et Politico.

Des similitudes graphiques soulignées par le sémillant @vincentglad sur Twitter

Si l’on en croit la jolie plaquette distribuée à la sortie de la conférence de presse organisée par l’agence Alchimia pour le lancement du site, Atlantico est un “facilitateur d’accès à l’information”. “Quelque chose à mi chemin entre l’agrégateur de contenus et le site d’info qui produit ses articles à partir du travail d’une rédaction”, martèle Jean Sébastien Ferjou pour définir la ligne de son site. “Le nouveau pure player est conçu comme une plateforme d’aiguillage pour apporter le meilleur “mix” d’info à ceux qui n’ont que quelques minutes à y consacrer.”, expliquait-il dans un mail envoyé aux écoles de journalisme en octobre dernier.

A naviguer sur le site, il semble que les “architectes de l’information” et autres ergonomes aient bien fait leur boulot: la maquette est aérée et permet de bien distribuer liens, catégories, chroniques, fil de dépêches et pubs clignotantes.

L’ensemble sera animé en gardant bien en tête qu’écrire pour le web, c’est “écrire court”, puisque “les articles longs, on ne les lit plus” et que “le temps de cerveau disponible” des internautes est particulièrement faible. L’expression de Patrick Le Lay est d’ailleurs répétée avec un malin plaisir au cours de la conférence de presse par les intervenants.

Répétée aussi, l’idée de “briser la hiérarchie de l’info”. Qui sont ces anars de l’actu? Principalement des journalistes spécialisés dans l’audiovisuel, et provenant de médias privés: TF1, LCI, Le Parisien, BFM, RTL. Organisés sur le modèle d’une rédaction de site d’info généraliste, les journalistes ont commencé à travailler sur le projet dès mai 2010 sous la houlette du directeur de la rédaction Jean-Sébastien Ferjou et de Jean-Baptiste Giraud, ancien journaliste radio (BFM).

La rédaction est composée de six journalistes qui sont chargés de “faire une sélection d’articles de vidéos, de blogs pertinents sur l’actu du jour et de repérer et de programmer des contributeurs dont les posts devront éclairer l’actu ou les débats intellectuels et politiques du moment”. Si les éditorialistes sont rémunérés et les journalistes salariés, les contributeurs sont quant à eux considérés comme des invités de plateau télé, et ne sont à ce titre pas payés.

Une ligne éditoriale “libérale”, mais pas ouvertement à droite

La ligne éditoriale: c’est le point qui devait faire toute la différence. Pourtant, pendant la conférence de presse, Jean-Sebastien Ferjou ne dira jamais que son site est ouvertement à droite, précisant d’emblée quand on lui demande d’où il parle que “ce n’est pas en ces termes que les choses se posent”. Il préfère donc sous-entendre qu’il n’est pas à gauche:

Je ne suis pas passé par la case trotskisme mais ça ne m’empêche pas de faire de l’info, libéralisme et capitalisme ne sont pas des gros mots.

Quand on évoque l’hypothèse selon laquelle le site comblerait un vide à droite dans la perspective de 2012, le fondateur d’Atlantico se défend et affirme que son site n’est pas destiné à soutenir un candidat plutôt qu’un autre. Pourtant, il est clair, quand on écume la liste des contributeurs, que l’on n’a pas affaire à une bande de trotskistes décroissants. Parmi le “portefeuille d’environ 300 personnes” (économistes, juristes, historiens, philosophes) retenues pour contribuer régulièrement au site, figurent en effet l’historienne liquidatrice de l’héritage de Mai 68 Chantal Delsol; Amirouche Laïdi, le président du progressiste Club Averroès; l’écrivain Gérard de Villiers, créateurs des post-féministes SAS et ancien de la presse d’extrême-droite; Sophie de Menthon, enthousiaste initiatrice de la fête de l’entreprise ou encore Roman Bernard, rédacteur en chef du Cri du contribuable.

On y retrouve également des journalistes spécialisés dans l’analyse et la critique des médias, comme Gilles Klein d’Arrêts sur Images ou Alain Joannès, “grand pro du rich media”, qui tiendra une chronique intitulée “Arrêts sur Idées”: nul doute qu’il y “congédiera l’accessoire pour cingler vers l’essentiel“.

Un autre journaliste-contributeur, Christophe Carron, nous explique: “On me l’avait présenté comme un site anti-conformiste et un peu poil à gratter, ils aimaient bien ma façon de défendre la presse tabloïd et un peu trash”. Journaliste à Voici.fr et blogueur sur lowblogging.fr, il sera repris sur la partie “people” du site, Atlantico Light. “Quand on lit la liste des contributeurs, on voit que ce n’est pas un site de gauche ça c’est clair”, conclut Carron.

Jean-Marie Charon, sociologue des médias – et auteur d’une enquête sur la presse en ligne prochainement publiée – s’étonne quant à lui du marquage politique mal assumé par les fondateurs d’Atlantico:

Le décryptage du discours de Nicolas Sarkozy de dimanche soir n’était pas particulièrement favorable à ce que dit Sarkozy. Je ne m’attendais pas à lire ça sur Atlantico.fr. J’aurais mieux compris un positionnement plus dur et affirmé: leur positionnement n’est pas clair, c’est dommage, d’autant que le droite au pouvoir a un discours virulent et des remarques parfois dédaigneuses vis-à-vis du web.

Même sentiment chez certains commentateurs comme Pierre Haski, qui s’interroge sur Twitter:

Du côté de Mediapart, on ne tergiverse pas. Laurent Mauduit accueille sur son blog le nouveau venu dignement, dans un papier intitulé “Atlantico, la droite rance”.

“L’autre problème des pure-players c’est qu’ils ne sont pas nombreux à travailler dans les rédactions, ça pèse sur le contenu, ce ne sont pas les conditions idéales pour traiter l’info de manière complète surtout quand ils diversifient leurs activités” continue Jean-Marie Charon.

La France est le seul pays à avoir autant de pure-players. En Allemagne et en Espagne, il y a eu plusieurs tentatives mais Soitu.es a fait faillite et NetZeitung.de a réduit ses ambitions. Seuls les États-Unis en ont autant mais ils ont aussi un lectorat mondial, incomparable à ce que nous avons en France.

Le risque serait donc de voir émerger une information standardisée alors qu’Internet est par définition lieu d’expérimentations et d’innovations.

La “terra incognita” du business model

Un million d’euros, c’est le montant total des fonds levés pour lancer un site avec des moyens. Deux levées de fonds sont donc effectuées en 2010 pour assurer le lancement, initialement prévu en octobre 2010 :

  • 51% du capital est détenu par les co-fondateurs, Jean-Sébastien Ferjou, qui a investit personnellement 30 000 euros, se décrit comme l’actionnaire le plus important.
  • Le reste (49%) est détenu par une holding créée pour l’occasion, “Free Minds” qui comprend notamment Charles Beigbeder, membre du Parti radical et vice-président du conseil de surveillance de la Fondation pour l’innovation politique (un think tank libéral), Arnaud Dassier, de L’enchanteur des nouveaux médias et les nouveaux mécènes du web français Marc Simoncini, le fondateur du site de rencontres Meetic.fr, et Xavier Niel, également actionnaire du Monde et d’OWNI.

Après plusieurs faux pas, et un changement de CMS (pour finalement choisir Drupal), le site est enfin lancé le 28 février 2011. Le modèle économique repose pour le moment entièrement sur les revenus publicitaires. “Un modèle de gratuit car il est difficile de faire de l’info généraliste payante”, souligne le directeur de la rédaction. L’objectif est d’atteindre 600 000 visiteurs uniques d’ici un an et l’équilibre en 36 mois afin de “construire la marque”. Prévue dans un deuxième temps, une diversification des revenus permettrait d’atteindre le Graal de la rentabilité, mais ses contours restent flous (vente d’informations sur les entreprises, datajournalism…).

Un navire fait pour les réseaux sociaux?

Si le site n’inscrit pas à son fronton bleu-blanc-rouge le logo de l’UMP, sa stratégie de communication web rappelle les heures les plus sombres de la “com’ web” (de droite).

A peine mis en ligne, il est déjà critiqué, notamment sur Twitter. Sur la page Facebook d’Atlantico.fr, créée deux semaines avant le lancement du site – et qui a réuni une centaine de fans quelques jours avant le lancement – le logo a été dévoilé le 27 février. Dès la création de la page, un teasing sommaire est mis en place. Plusieurs journalistes web, blogueurs et internautes ont alors sauté sur l’occasion pour se gausser gentiment du plan marketing.

C’est l’agence web Palpix qui a développé l’aspect technique du site, sans être spécialisée dans la communication sur les réseaux sociaux. Les deux fondateurs, quant à eux, avouent très franchement qu’ils n’avaient pas de compétence technique particulière sur le web, et que les réseaux sociaux ne tueront pas le journalisme de liens qu’ils mettent en avant sur le site.

Pour séduire les internautes branchés web, une minute geek hebdomadaire tenue par Nathalie Joannès a pour objet d’expliquer le web aux newbies. La première chronique du genre est un portrait robot du geek et fait déjà grincer des dents les lecteurs attentifs qui ne manquent pas de critiquer sa superficialité sur Twitter.

Selon Jean-Sébastien Ferjou, ces réactions n’ont rien de grave, Twitter constituant une élite (50 à 100 000 lui précise-t-on). La question est de savoir si la “culture de l’audience” revendiquée par les fondateurs du dernier-né des pure-players arrivera à toucher au delà des CSP+ (cible avouée d’Atlantico), pour pouvoir pour peser sur le débat public d’ici à 2012.

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Crédits Photos via FlickR: Wooden ship on the Rupsa River (Bangladesh) par joiseyshowa [cc-by]

  1. site Internet d’informations non-adossé à un titre papier []

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