Le guide de voyage du point de vue du voyageur : une forme à renouveler

Le 11 septembre 2009

Billet préalablement publié sur Bibliobsession, le blog d’un bibliothécaire bibliobsédé des bibliothèques (2.0) Si vous êtes parti à l’étranger cet été, vous avez surement emmené avec vous, par réflexe, un bon vieux guide de voyage imprimé. Personnellement, ce “réflexe” m’apparait de plus en plus comme une contrainte ! A quoi sert un guide de voyage ? Du [...]

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Billet préalablement publié sur Bibliobsession, le blog d’un bibliothécaire bibliobsédé des bibliothèques (2.0)

Si vous êtes parti à l’étranger cet été, vous avez surement emmené avec vous, par réflexe, un bon vieux guide de voyage imprimé. Personnellement, ce “réflexe” m’apparait de plus en plus comme une contrainte !

A quoi sert un guide de voyage ? Du point de vue du voyageur (bon ok c’est moi le voyageur et je suis bibliothécaire, ça doit jouer aussi), le guide répond à un faisceau de besoins d’informations qui s’expriment “en situation”. Ces informations doivent être fiables, contextualisées, abondantes, précises et récentes.

Aujourd’hui, le livre est un support d’information parmi d’autres. Il est de plus en plus naturel de le percevoir d’abord comme la matérialisation imprimée d’un ensemble de données qui peuvent très bien exister d’une autre manière, sur un écran en particulier. Songez en effet qu’une information, c’est d’abord une donnée à laquelle on attribue une forme (étymologie du mot information). Plus la forme est adéquate à la manière dont s’exprime le besoin d’information, plus celui-ci est susceptible d’être satisfait.

Pourquoi donc, partant ces besoins d’informations très forts qui surgissent en situation de voyage à l’étranger devrais-je me contenter d’une forme imprimée ? Quel objet technique pourrait mieux correspondre à mes besoins ? Mais tout d’abord : pourquoi le guide de voyage imprimé est-il inadéquat pour combler efficacement mes besoins d’informations ?

  • Le guide de voyage imprimé est linéaire, or mon besoin d’information s’exprime de manière non linéaire = je suis sans arrêt en train de tourner les pages. Le guide de voyage me fait retourner à la préhistoire de l’hypertexte : l’index et la table des matières avec le numéro de page en guise de lien.
  • Le guide de voyage imprimé est déconnecté, or mon besoin d’information est contextuel et localisé = je suis sans cesse obligé de faire l’effort de me localiser sur la carte imprimée en repérant les noms des rues, en orientant le plan, puis en déterminant moi-même l’itinéraire pour accéder à un point d’intérêt, que j’ai préalablement repéré sur la carte à partir d’une autre page…
  • Le guide de voyage imprimé est déconnecté, or j’ai besoin d’informations très récentes = je suis obligé d’acheter une version récente du guide, à la mise à jour annuelle, dans le meilleur des cas.
  • Le guide de voyage imprimé est l’expression d’un petit groupe d’auteurs mandatés par un éditeur, or j’ai besoin d’informations de qualité depuis des sources variées = je suis obligé d’emmener 2 guides complémentaires (Routard + Guide vert) pour croiser les informations et de compléter l’ensemble en me rendant à des guichets d’information. Par exemple, le Routard est très bien pour les informations pratiques, mais le Guide Vert est bien meilleur pour fournir des informations historiques sur un lieu, j’ai aussi besoin de plans pour les transports en communs dans une ville, des horaires de bus, des stations d’essence…, voire de recommandations touristiques locales = j’ai de très larges besoins d’informations à la fois d’ordre pratiques, culturelles, et l’on pourrait ajouter communautaires, comme celle qui figurent sur le forum du Routard, pour bénéficier de l’expérience d’autres internautes, le guide imprimé ne m’en apporte qu’une part minime.

On aura compris qu’une forme connecté, hypertextuelle, communautaire et géolocalisée est la mieux à même de répondre à mes besoins. Comment imaginer un tel guide ? L’interface pourrait être cartographique, ou pas. Dans tous les cas, avant même de parler de la représentation de données, trois obstacles majeurs empêchent de répondre mieux à mes besoins d’information.

En situation de voyage à l’étranger, pour répondre aux besoins évoqués ci-dessus :

  • Il faut de l’énergie ;
  • Il faut échanger des données en temps réel dans un réseau ;
  • Il faut pouvoir croiser différents types de données.

Reprenons, en essayant ayant à l’esprit les supports nomades existants : GPS, liseuses, tablettes tactiles, netbook, ou encore téléphone portable évolué type Iphone.

Il faut de l’énergie. C’est le principal avantage de la forme imprimée : pas de batterie, pas de chargeur ! Toute forme qui requiert une connexion suppose une alimentation, ce qui n’est pas idéal en voyage. De ce point de vue, il est clair que les liseuses sont les plus adaptées, les autres support étant moins performants de ce point de vue, voire carrément inadaptés. Par exemple je n’ai jamais compris comment on pouvait vendre des GPS spécifiquement conçus pour la randonnée dans la nature, dont la batterie ne tient que quelques heures, alors qu’on aurait besoin de jours entiers… Gageons que cette question technique sera résolue dans l’avenir avec un coût environnemental faible, tout le monde y a intérêt.

Il faut échanger des données en temps réel dans un réseau. Là, on peut facilement dire que tous les supports ci-dessus sont inadaptés. A moins d’avoir un forfait “données à l’étranger” à un prix prohibitif surtout quand le besoin d’information est très fort pendant une période limitée dans le temps. Seul peut-être le GPS rend possible les connexions à l’étranger, mais s’il ne répond à mon besoin de géolocalisation, même doté de fonctionnalités relatives aux “points d’intérêts”, et reste bien insuffisant en informations pratiques par rapport à un guide de voyage. Encore en 2009, pour le meilleur comme pour le pire, le voyage est synonyme déconnexion. Il est cocasse de constater que nous vivons dans une mondialisation des échanges de données, alors que les personnes ne peuvent sortir de leur territoire national sans perdre la faculté de participer à ces échanges… Là encore, gageons que la situation est transitoire, mais je suis moins optimiste sur le délai étant donné le combat acharné mené par les pouvoirs publics européens pour imposer aux opérateurs français des tarifs de communication à l’étranger qui soient acceptables.

Il faut pouvoir croiser différents types de données. C’est le problème le plus épineux. Je l’ai dit, le guide de voyage qui répond à mes besoins est une combinaison de données en provenance de sources diverses. Le Routard pour la qualité de ses informations pratiques, les bases de données communautaires pour les avis sur les restaurants et les hôtels, etc. Or, si des sites de recommandations et des forums peuvent bien être accessibles depuis un terminal nomade relié à internet (à supposer que l’on soit connecté, et alimenté…), force est de constater qu’il est impossible de trouver aujourd’hui les informations des guides d’éditeurs sous forme de données ouvertes et réutilisables. N’oublions pas que ce que je cherche n’est pas une collection de signets, mais une seule interface ergonomique, sous peine de se révéler plus difficile encore à utiliser que la forme imprimée.

Je ne doute pas un instant que les éditeurs vont rapidement et massivement mettre en ligne leur guides, c’est déjà le cas pour les Guides Michelin sur Google Books. Il est clair que le mode d’accès à ces données pourra se faire sous forme d’abonnement, d’achat ou de location de fichier. C’est déjà le cas pour les guides Lonely Planet sur Iphone (en anglais).

Le droit d’auteur et la forme livre imprimé sont conçus pour protéger les données et leur accès. Le voyageur est dans une logique inverse du fait même de ses besoins d’informations. Je suis peut-être un voyageur exigeant, mais je ne peux me contenter d’un routard officiel rédigé par quelques auteurs, même en forme numérique quand des centaines de voyageurs partagent leur expériences sur le web. En tant que voyageur, j’ai besoin de ces deux types d’informations. Là où la la chaîne éditoriale et la forme livre cloisonne et même parfois duplique (voir la très grande proximité de la collection “voyager pratique” de Michelin et du Routard) les mêmes informations dans des collections de guides, le voyageur à besoin de croisements et de complémentarités indépendamment des sources d’information.

Ce qui est à remettre en cause n’est pas à mon sens ces différentes approches éditoriales mais le fait qu’elles soient proposées en ligne sous forme de silos d’informations fermés, reproduisant par là même un des inconvénients majeurs de la forme imprimée : sa finitude. Si l’on a pu croire un moment que les fameuses “données générées par les utilisateurs” pouvaient suffire à créer des guides de voyage collaboratifs autonomes, pour moi la formidable force des communautés accompagne l’action d’équipes professionnelles, rémunérées par un éditeur pour écrire des contenus. Un bon exemple pourrait être le Routard avec l’existence parallèle (c’est le problème) d’une communauté en ligne sous forme de forum indexé dans google d’un côté et de contenus imprimés offline de l’autre côté.

Le guide de voyage m’apparait donc non pas comme une forme achevée, mais comme un ensemble de besoins documentaires pouvant être satisfaits par un remix qui doit s’adapter à chaque voyageur. Or ce qui semble se mettre en Å“uvre est une logique d’accès à des silos d’informations indépendants les uns des autres.

Et si, au lieu de créer de la valeur à partir d’un silo d’information fermé, en faisant payer l’utilisateur final, l’éditeur de guide de voyage misait sur la monétisation de l’accès à sa base de donnée en échange d’une libre réutilisation de ces données ? L’ensemble des données des Guides du Routard constitue, au même titre que les autres guides, un formidable gisement de données à la fiabilité issue de leur appartenance à la Marque. Une interface combinant des recommandations estampillées “Routard” à des recommandations d’internautes sur des sites communautaires me semble une piste intéressante. Au fond, il s’agit de reproduire en ligne ce que propose le Routard in situ en aposant les plaques sur les établissement recommandés : “recommandé par le Routard”. Je n’ai pas la solution miracle au nouveau modèle économique qui est ici nécessaire, mais je reste convaincu que pour répondre aux besoins d’informations du voyageur, il faut un maximum de données fiables, c’est à-dire avec une réputation et une valeur ajoutée, ce qui est précisément l’atout des éditeurs.

Nonobstant l’inadéquation du livre imprimé, aucun des objets techniques évoqués ci-dessus n’est à ce jour à même de répondre de manière plus satisfaisante à mes besoins d’informations, ni en terme technique (alimentation), ni en terme de réseau (connectivité à l’étranger), ni même en terme de données (obstacle du droit d’auteur).

Au final, c’est un grande partie de la fascination suscitée par “la réalité augmentée” et le web de données prôné par l’inventeur du web, Tim Berners Lee, qui risquent de s’envoler si les éditeurs de guides de voyages ne se placent pas du point de vue de ceux pour qui ils agissent : les voyageurs.

N. B. : Pour compléter on lira avec intérêt : Comprendre les médias géolocalisés de N. Nova chez Fyp Editions


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